Le sort de Charles Blé Goudé dépend désormais de la CPI (Cour pénale internationale). Depuis samedi dernier, le billet d’avion de l’ancien leader du Cojep lui a été délivré. Même s’il faut espérer, pour lui, que ce ne soit pas un aller simple, force est de reconnaître que l’ancien secrétaire général de la FESCI n’est pas étranger à ce qui lui arrive actuellement. Contrairement à ce que veulent laisser croire certains amnésiques-volontaires ou pas-, il faut rappeler que Charles Blé Goudé a commis de nombreuses erreurs par le passé qui, aujourd’hui, le rattrapent. Voici les onze principales qui l’ont coulé.
Première erreur
Le choix de l’opportunisme.19 septembre 2002. Une tentative de coup d’Etat vient de secouer le régime Gbagbo avec pour corollaire des centaines de morts dans la ville d’Abidjan. Les insurgés qui ont échoué à Abidjan se replient sur Bouaké et transforment leur mouvement en rébellion. Les Ivoiriens accusent et s’interrogent sur leur avenir. Charles Blé Goudé, pendant ce temps, est à l’université de Manchester pour un master, après avoir obtenu une licence en anglais dans des conditions douteuses. Mais l’ex-secrétaire général de la FESCI interrompt ses cours et retourne à Abidjan. « Je suis venu pour défendre les institutions de la République », a-t-il lancé dès son arrivée à l’aéroport international de Port-Bouët. En bon opportuniste, le « général de la rue » sent tout de suite qu’il peut tirer profit de cette situation. Il décide donc de sacrifier ses études pour les méandres et prébendes de la politique politicienne. Laurent Gbagbo qui connaît sa grande propension à la facilité et à l’argent, décide d’utiliser ses qualités de mobilisateur pour sauver son régime aux abois. Le 2 octobre 2002, il décide d’inonder de monde, la Place de la République et gagne son pari. Depuis cette date, Charles Blé Goudé devient le héraut de « la préférence nationale » et le chantre des thèses ivoiritaires et xénophobes. Pendant ce temps, chaque nuit, après le couvre-feu instauré par le régime d’Abidjan, des personnes sont enlevées nuitamment chez elles par des « hommes en uniformes ». Les plus chanceux sont retrouvés morts le matin, criblés de balle. Mais beaucoup d’entre eux sont portés disparus.
Deuxième erreur
Les attaques contre les intérêts français. Du 15 au 24 janvier 2003 se tiennent les accords de Linas Marcoussis. La cérémonie de signature des accords a lieu le samedi 25 janvier au centre des conférences internationales à l’avenue Kleber, à Paris, entre les présidents Jacques Chirac, Laurent Gbagbo, Omar Bongo du Gabon, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié en présence du secrétaire général des Nations unies de l’époque, Kofi Annan et de Dominique de Villepin, ministre français des Affaires étrangères. Les Forces nouvelles réclament les ministères de la Défense, de l’Intérieur et les obtiennent. Laurent Gbagbo accepte du bout des lèvres et réclame le ministère de l’Economie et des Finances. « Cela ne passera pas », prévient le président Henri Konan Bédié. Mais s’incline devant l’insistance des présidents Chirac et Bongo. La suite des événements lui donne raison. Alain Toussaint, conseiller de Laurent Gbagbo, dénonce « un chantage éhonté » exercé par les autorités françaises sur son patron. « «Lorsque Laurent Gbagbo est arrivé au centre Kléber, Dominique de Villepin avait déjà formé le gouvernement, s’emporte Toussaint Alain. Dans les couloirs de Kléber, Villepin a menacé le président de traduire son épouse devant le TPI s’il refusait ce partage du pouvoir. Il y a eu des menaces physiques et verbales de Monsieur de Villepin. Les autorités françaises ne cessent de diaboliser Gbagbo. On invente des escadrons de la mort. On veut faire de son passage au pouvoir une page sanguinaire de l’histoire ivoirienne», accuse-t-il. Charles Blé Goudé saisit cette occasion pour lâcher ses « jeunes patriotes » contre les intérêts français. Le même jour dans la soirée, les rues d’Abidjan sont en feu. Charles Blé Goudé coordonne les opérations. Le Centre culturel français est dévasté. Certaines écoles françaises comme le collège Jean Mermoz sont pillées et incendiées, l’ambassade de France assiégée. Des commerces et des résidences appartenant à des Français sont saccagés et pillés. « A chacun son petit Français », entend-on dire dans les rues d’Abidjan. Les exactions se poursuivent toute la nuit. Au petit matin, sous la pression des autorités françaises, Laurent Gbagbo lance un appel au calme. « Il faut que les gens comprennent qu’on ne sort pas d’une guerre comme on sortirait d’un dîner de gala. Quand on n’a pas gagné, on discute et on fait des compromis. Je m’en vais dire aux Ivoiriens que je n’ai pas gagné la guerre », lance-t-il. Avant de rentrer sur Abidjan l’après-midi.
Troisième erreur
Les escadrons de la mort. Mais les « jeunes patriotes » de Blé Goudé n’ont pas, pour autant, lâché l’affaire. Le vendredi 31 janvier, « les jeunes patriotes » envahissent l’aéroport pour empêcher l’arrivée de Seydou Diarra, le Premier ministre dont Laurent Gbagbo a signé le décret de nomination à Paris. Son avion fait demi-tour. Et depuis Dakar, il annonce qu’il ne rentrera pas à Abidjan tant que sa «sécurité ne sera pas assurée. Dimanche matin, Camara H., comédien et militant du RDR, est retrouvé mort à Abidjan après avoir été «arrêté» la veille par des «hommes en uniforme». Le RDR réclame la saisine du TPI pour juger les crimes commis par les escadrons de la mort. L’état-major du RDR, réfugié à Paris, n’ose plus rentrer à Abidjan. «Les escadrons agissent en toute impunité et s’en prennent principalement aux membres du RDR et leurs familles», dénonce le Pr Henriette Diabaté, secrétaire générale du RDR. Charles Blé Goudé et ses « jeunes patriotes » instaurent la terreur et vont en croisade contre ceux qu’ils appellent « les rebelles », « les assaillants » ou «les ennemis de la République ».
Quatrième erreur
La participation aux répressions sanglantes contre l’opposition. Après la conférence houleuse de Kléber, les accords de Linas Marcoussis ont du mal à s’appliquer. Laurent Gbagbo rechigne à mettre en œuvre ces accords qu’il qualifie de « médicament amer ». Pour lui, il faut endosser l’esprit, mais pas la lettre. Malgré le troisième sommet d’Accra, Linas Marcoussis stagne. Excédée, le 24 mars 2004, l’opposition décide d’organiser une marche pacifique pour protester contre les obstacles artificiels posés par Laurent Gbagbo et son clan. Une initiative que l’ancien chef d’Etat et ses séides considèrent comme une déclaration de guerre. Dans tout le pays et dans les communes d’Abidjan, Charles Blé Goudé mobilise ses hommes pour faire barrage à ce qu’il appelle une tentative de prise de pouvoir par l’opposition et leurs alliés, les rebelles. Les militants de l’opposition n’ont même pas le temps de sortir de chez eux. Ils sont froidement cueillis par la soldatesque à la solde du régime FPI. La répression dure deux jours. Le bilan est lourd. 500 morts et plus de mille blessés pour l’opposition. « C’est une insurrection », tonne Laurent Gbagbo pour justifier la barbarie. 120 morts et plusieurs centaines de blessés pour les enquêteurs de l’ONU. Les miliciens et « jeunes patriotes » de Blé Goudé prennent une part active à la répression. Une information confirmée par le ministre de la Défense d’alors, René Amani, qui impute la plupart des tueries à des « forces parallèles » qui ont infiltré les troupes régulières.
Cinquième erreur
L’utilisation des médias publics. Dans cette politique de la terreur, Charles Blé Goudé utilise beaucoup les médias publics. Pour lancer ses incitations à la haine et à la violence, il n’hésite pas à aller à la télé et à la radio, sous le regard impuissant, parfois complice, des responsables de la RTI de l’époque. Le plus célèbre de ses diatribes qui a fait beaucoup de torts et dégâts est l’appel lancé le 6 novembre 2004. Le troisième jour de l’opération « Dignité », le 6 novembre, au troisième jour de l’opération, la base militaire française de Bouaké est bombardée par l’aviation ivoirienne. Causant la mort de neuf soldats français et un ressortissant américain. La suite on la connaît. L’armée française détruit tous les appareils de l’armée de l’air ivoirienne. Blé Goudé entre alors encore en scène pour un autre épisode douloureux de la Côte d’Ivoire qui fera plus de 60 morts. « Si tu dors, réveille-toi ! Si tu manges, arrête de manger ! Tous à l’aéroport et dans la rue. Car, il vaut mieux mourir dans la dignité que dans la honte », harangue Charles Blé Goudé dans la soirée à la télévision ivoirienne. Les conséquences d’un tel discours se font rapidement ressentir dans le pays. Destructions de biens, pillages, viols et meurtres dans les rues d’Abidjan et dans certaines villes du pays.
Sixième erreur
L’acharnement contre la communauté internationale. Avant d’être inculpé par la Cour pénale internationale, Charles Blé Goudé était sous sanctions onusiennes depuis le 7 février 2006. C’est ce statut de paria de la communauté internationale qui lui a d’ailleurs été fatal au Ghana où il n’a pu bénéficier comme certains pro-Gbagbo, du statut de réfugié politique. Une situation qui a facilité son extradition en Côte d’Ivoire. Charles Blé Goudé ne l’a pas cher payé. Les sanctions du Conseil de sécurité de l’Onu à son encontre sont consécutives à son activisme de mauvais aloi contre les intérêts de la communauté internationale en Côte d’Ivoire. Pour motiver sa décision, le Conseil de sécurité de l’ONU a accusé Blé Goudé de : « déclarations publiques répétées, préconisant la violence contre les installations et le personnel des Nations Unies, et contre les étrangers; direction et participation à des actes de violence commis par des milices de rue, y compris des voies de fait, des viols et des exécutions extrajudiciaires; intimidation du personnel de l’ONU, du Groupe de travail international (GTI), de l’opposition politique et de la presse indépendante; sabotage des stations de radio internationales; obstacle à l’action du GTI, de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et des forces françaises et au processus de paix tel que défini par la résolution 1633 (2005). » Qui ne se souvient pas en Côte d’Ivoire du fameux matelas qu’il portait fièrement devant la base militaire française du 43ème BIMA de Port-Bouët le 3 décembre 2003 et les actions des « jeunes patriotes » contre le siège de l’ONUCI à Attécoubé-Sebroko. Sans compter les différents meetings et sit-in contre les patrouilles de l’ONUCI à Abidjan et à l’intérieur. On peut dire que sur ce chapitre, la communauté internationale tient sa revanche.
Septième erreur
L’implication personnelle. Charles Blé Goudé ne mesurait peut-être pas les conséquences de ses actes. Si bien qu’il n’a pas daigné user de diplomatie et de tact dans ses turpitudes. Son implication personnelle dans toutes les horreurs vécues au cours de la grave crise qu’à connue la Côte d’Ivoire de 2002 à 2011, ne souffre d’aucune contestation. Les photos, les éléments audiovisuels sont encore là pour l’attester. Blé Goudé a été de tous les combats, mais de la mauvaise manière. Les attaques contre les intérêts français ont été coordonnées à visage découvert par lui. L’élément déclencheur de l’opération « Dignité » qui a fait plus de 80 morts dans les zones CNO, le 3 novembre 2004, c’est lui. L’appel du 6 novembre, c’est encore lui. Il avait annoncé les évènements du 6 et du 7 novembre suivants en disant ceci à propos des Jeunes patriotes : « Ils s’engageront aux côtés des Ivoiriens à détruire tous les biens des Français si ces derniers ne respectent pas l’ultimatum d’un mois qu’ils leur ont donné ». L’incitation aux pogroms contre les militants supposés de l’opposition lors de la crise postélectorale, notamment à la télé, en mars 2011, c’est toujours lui. Charles Blé Goudé a été aperçu à moto au plus fort de la crise postélectorale à des barrages d’auto-défense en train de donner des consignes que l’on imagine aisément. Des photos de cet épisode ont même été prises. En atteste les meetings du 26 avril 2004, de janvier 2011 et du 21 mars 2011 au stade Champroux où il fustige la communauté internationale et lance ses appels contre les militants de l’opposition. Et la liste n’est pas exhaustive. Son implication personnelle n’est donc pas à démontrer.
Huitième erreur
Le plan de confiscation du pouvoir. Charles Blé Goudé était au cœur de la conspiration contre le peuple de Côte d’Ivoire ourdi après la défaite de Laurent Gbagbo à l’élection présidentielle. Il est le père du slogan : « On gagne ou on gagne ». Il savait ce qu’il disait lorsqu’il lançait, pour la première fois lors du meeting de la ‘‘jeunesse patriotique’’ en présence de Laurent Gbagbo à la place FICGAYO: « Y a rien en face, c’est maïs ». Avant même les résultats électoraux. Blé Goudé est l’un des inspirateurs du plan de confiscation du pouvoir du FPI. Par conséquent, hautement responsable des 3000 morts et des milliers de blessés de la crise postélectorale. Charles Blé Goudé a participé à toutes les réunions de l’état-major des FDS en compagnie de Laurent Gbagbo et de son épouse. Il est pour beaucoup dans la tragédie qui s’est abattue sur la Côte d’Ivoire de décembre 2010 à mai 2011. C’est pourquoi son transfèrement à La Haye n’est que justice pour les milliers de victimes tombées au cours de la crise postélectorale et leurs familles qui réclament réparation. Le 21 mars 2011, il mobilise une foule de jeunes ivoiriens, venus s’enrôler dans les forces pro-Gbagbo. Il organise ensuite une grande manifestation de soutien au président Gbagbo près du palais présidentiel, dans la soirée du 26 mars 2011 avec un camping sur place dans la nuit suivante. Mais, il avait mal jaugé et jugé la détermination de la communauté internationale.
Neuvième erreur
L’article 125. C’est la plus grave erreur de l’exécuteur des basses besognes de Laurent Gbagbo. Charles Blé Goudé est considéré comme le père de l’article 125, ont apparu au lendemain de son discours radiotélévisé du 25 février 2011. « Je vous donne un ordre qui doit être appliqué dans tous les quartiers. Lorsque vous entrez dans vos quartiers, vous devez occuper les points de contrôle pour surveiller les allées et venues et dénoncer tout étranger qui y rentre. Surveiller vos voisins », ordonne-t-il ce jour-là. Les conséquences de ce mot d’ordre sont tragiques. Plusieurs centaines de personnes sont brûlées vives à des barrages sauvages érigés dans tout le pays. Il suffit de porter un boubou ou une amulette pour passer au supplice du feu sous le regard extatique et extasiés des jeunes gens surexcités et déshumanisés par plusieurs années de propagande justement orchestrée par le même Blé Goudé qui ne manquait pas d’aller les saluer à l’occasion sur ces barrages avant la bataille d’Abidjan. C’est certainement aujourd’hui qu’il mesure peut-être les conséquences désastreuses de son sinistre appel qu’il refuse d’assumer.
Dixième erreur
La rançon du jusqu’auboutisme. Malgré la débâcle de son camp, Charles Blé Goudé qui a été l’un des premiers proches de Laurent Gbagbo et qui a fui en exil, ne s’est pas assagi pour autant. Il continue de préparer et mener des actions subversives contre la Côte d’Ivoire. Dans un rapport de 26 pages paru le 8 octobre 2012, des experts indépendants de l’ONU mettent en cause l’ancien leader des « jeunes patriotes » dans un projet de déstabilisation de la Côte d’Ivoire. Les conclusions de ce rapport surviennent après une série d’attaques contre les positions des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, d’août à octobre 2012 qui ont fait plusieurs dizaines de morts dans leurs rangs. Même si Charles Blé Goudé avait récusé ces accusations, n’empêche que son nom et celui du commandant Jean-Noël Abéhi, ancien chef de l’escadron blindé de la gendarmerie d’Agban, qui a été extradé du Ghana comme lui, revenaient de façon récurrente dans ces attaques. L’une de ces attaques avait même causé le mort de sept casques bleus, à Para, dans la région de Taï, le 8 juin 2012. C’est cet activisme qui incite les autorités ghanéennes à le livrer à leurs homologues ivoiriennes le 17 janvier 2013, suivi de son extradition à Abidjan le lendemain.
Onzième erreur
L’affaire des photos. Au départ, les autorités ivoiriennes n’avaient pas l’intention de transférer Charles Blé Goudé à La Haye. Le président de la République lui-même n’était plus trop favorable pour un autre transfèrement, après celui de Laurent Gbagbo, en novembre 2011. C’est la raison pour laquelle depuis que la Cour pénale internationale a levé le scellé du mandat d’arrêt de Simone Gbagbo, le 22 novembre 2012, le Gouvernement rechigne à l’exécuter. D’abord par souci d’humanisme et par calcul politique au nom de la réconciliation nationale. Les autorités estiment que toutes les conditions sont maintenant réunies pour juger les principaux auteurs de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Lorsque le mandat d’arrêt de Charles Blé Goudé a été rendu public par les juges de La Haye, le 1er octobre 2013, le Gouvernement hésite et demande une période de réflexion qui a duré quatre mois. Mais la demande d’un délai supplémentaire d’un mois a été rejetée le 3 mars dernier par la CPI. La polémique autour des photos de Charles Blé Goudé parues dans la presse, suivie d’accusation de maltraitance, au début du mois de mars, amène la juridiction pénale internationale à mettre une forte pression sur les autorités ivoiriennes qui décident d’accéder le 20 mars dernier à la demande du transfèrement « sans délai » de l’ancien président du Cojep. Les proches et amis de l’ancien lieutenant de Laurent Gbagbo qui pensaient réussir un coup médiatique ont finalement précipité son départ pour le centre pénitentiaire de Scheveningen. En ce moment, le « mythomane chauve » doit se mordre les doigts d’avoir raté son dernier coup. C’était l’erreur de trop.
Jean-Claude Coulibaly
Source: Le Patriote, mercredi 26 mars 2014