Marie-Antoinette Singleton est la fille jumelle du président Laurent Gbagbo. Elle vit aux Etats-Unis depuis treize ans maintenant et c’est de là qu’elle a suivi la crise postélectorale et le bombardement de la résidence officielle de ses parents. Active sur le plan médiatique depuis lors, elle a accordé récemment un entretien à Michel Martin dont la radio basée à Atlanta, aux Etats-Unis. Elle y parle de la situation ivoirienne, de la CPI et de sa partialité manifeste, de sa mère qu’elle a eue au téléphone une seule fois. De son père pour terminer qu’elle a rencontré à La Haye et dont le moral est excellent.
 

Marie-Antoinette Singleton

Selon le gouvernement de la Côte d’Ivoire, l’ancienne première dame Simone Gbagbo n’ira pas en procès avec son mari à la Cour Pénale Internationale. Elle va être jugée par un tribunal interne sur place à Abidjan. Nous vous livrons ici l’intégralité de l’Interview que Marie-Antoinette Singleton la fille accordée à Michel Martin de npr.org pour savoir comment sa famille a réagi aux accusations et à cette décision du régime d’Alassane Ouattara.

Michel Martin: Pour avoir une perspective différente de la crise ivoirienne, nous aimerions entendre un membre de la famille de quelqu’un qui est accusé de crimes contre l’humanité. Pour cela, nous sommes allés en Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest. Au cours des dernières années, il y a eu une brève mais sanglante guerre civile après que deux candidats rivaux ont tous deux affirmé avoir remporté la présidentielle en 2010. L’un d’eux, Laurent Gbagbo et son épouse Simone, ont finalement été arrêtés par la France et l’ONU et accusés de crimes contre l’humanité. Il est maintenant en attente de son procès devant la Cour pénale internationale. L’épouse, elle, a été inculpée mais sera jugée en Côte d’Ivoire, et non à La Haye.

Leur fille, Marie-Antoinette Singleton, vit à Atlanta et elle a parlé avec nous depuis un studio. Bienvenue, je vous remercie beaucoup d’avoir accepté de parler avec nous.

MARIE ANTOINETTE SINGLETON: Je vous remercie de m’avoir invité ce matin.

Michel Martin: Dernièrement en novembre, la CPI a inculpé votre mère sur des accusations d’assassinat, de viol, d’autres formes de violences sexuelles, d’actes inhumains, de persécutions. Ce qui doit avoir été un coup dur pour vous. Comment vous avez réagi quand vous avez entendu ça? Et savez-vous comment votre mère a réagi quand elle a appris qu’elle devait être jugée pour crimes de guerre?

SINGLETON : Oui, bien sûr, il était difficile d’arriver à ce point parce que, comme je l’ai toujours dit, mes parents ont combattu en Côte d’ Ivoire pour la démocratie. Ils ont été très actifs dans l’obtention de la démocratie en Côte d’ Ivoire. Donc pour eux de revenir à ce moment-là et d’entendre de telles nouvelles étaient vraiment dur, mais encore une fois, vous le savez, nous avons l’espoir que les choses vont s’améliorer.

MARTIN : Votre père est sous la garde de la CPI et votre mère doit être jugée en Côte d’Ivoire. Avez-vous plus ou moins confiance dans un système que l’autre?

SINGLETON : Je ne sais pas. Je ne sais pas parce que tout cela est une question politique. M. Gbagbo a été enlevé du pouvoir parce qu’il n’a pas servi certains intérêts, notamment les intérêts de la France en Côte d’ Ivoire. Je vais insister sur le fait que tout cela a commencé en 2002. Ils ont essayé de le chasser du pouvoir. Il y a tellement de preuves là-bas dehors sur ce que la France a fait, sur comment la France était fortement impliquée en 2002. En 2004, ils n’ont pas pu le faire. Donc, 2010 était la période où ils ont finalement utilisé l’ONU pour venir et faire ce qu’ils ont fait pour le chasser du pouvoir.

MARTIN : Vous avez vécu aux États-Unis pour – quoi – plus de 13 ans maintenant? Oui ?

Singleton : Oui.

MARTIN : Je me demande si la situation semble différente pour vous à partir d’ici que vous qu’il ne serait si vous viviez au pays?

SINGLETON : Cela pourrait être différent parce que je n’ai vécu aucune des guerres. Il y a eu de nombreux mouvements militaires à partir du moment où la rébellion a commencé en 2002 – il y a eu beaucoup de mouvements. Et oui, je n’ai pas été là physiquement pour vivre ces événements, vous savez.

MARTIN : Alors, je me demande comment vous savez ce qui est vrai? Comment savez-vous ce qui est la vérité ? Comment savez-vous que la version des faits de vos parents est exacte?

SINGLETON : Il ne s’agit pas des événements du côté de mes parents. C’est l’histoire d’un pays entier. Et vous n’avez pas besoin d’être physiquement là pour savoir ce qui se passe. Tout est dans les actualités. Ouattara et la rébellion sont un fait réel. Le pays a été attaqué en 2002 et c’est un fait. Des milliers de personnes sont mortes et c’est un fait. Le président de l’époque, M. Gbagbo avait en ce moment appelé la CPI à venir et gérer la situation. Ils ne sont jamais venus, c’est un fait.

MARTIN : Il y a beaucoup de discussions à propos de la communauté internationale. Nous avons juste eu une conversation avec un avocat international des droits de l’homme qui présente des cas devant la CPI. Quel rôle pensez-vous que la communauté internationale devrait jouer dans des conflits comme celui de la Côte d’Ivoire ? Celui qui s’est produit qui implique votre famille?

SINGLETON : S’ils devraient aider le pays – parce que c’est leur rôle – alors ils devraient d’abord être équitables. Ils ont besoin d’avoir raison et ils ne peuvent pas poursuivre un côté et pas l’autre. Et encore une fois, j’insiste pour que (inaudible) c’est une vieille. Mais jusqu’ici, seul M. Gbagbo est à La Haye et maintenant ils essaient d’obtenir Mme Gbagbo. Mais ne sont-ce pas les rebelles qui ont commencé cette guerre? Qu’en est-il de M. Ouattara ? Qu’en est-il de M. Soro, qui lui-même s’est déclaré le chef de la rébellion en Côte d’ Ivoire? Pourquoi n’est-ce pas un problème? Nous avons vu ce qui s’est passé à Duékoué, comment les gens ont été tués parce que les gens de M. Ouattara descendaient à Abidjan pour prendre le pouvoir. Pourquoi cela n’est-il pas un problème? Pourquoi n’ont-ils pas été arrêtés par la CPI ?

MARTIN : Voulez-vous dire que les deux parties sont sanguinaires? C’est ce que vous dites ?

SINGLETON : Non

« Jusqu’ici, seul M. Gbagbo est à La Haye et maintenant ils essaient d’obtenir Mme Gbagbo. Mais ne sont-ce pas les rebelles qui ont commencé cette guerre? Qu’en est-il de M. Ouattara ? Qu’en est-il de M. Soro, qui lui-même s’est déclaré le chef de la rébellion en Côte d’Ivoire? Pourquoi n’est-ce pas un problème? »

MARTIN : Vous dites que les deux parties sont sanguinaires ou, que dites-vous …

SINGLETON : Je ne dis pas que les deux côtés sont sanguinaires. Je dis que nous savons qui a commencé le problème en Côte d’ Ivoire et que c’est M. Ouattara et les rebelles. Mais la CPI, qui a été invité en 2003 à intervenir dans la situation, n’est jamais venu. Tout d’un coup, nous voulons réduire la crise à la crise postélectorale, ce n’est pas la vérité. S’ils veulent faire le travail, ils doivent revenir au véritable commencement – début du problème, puis faire appel à ceux qu’ils trouveraient responsables.

MARTIN : Comment sont vos parents? Avez-vous pu parler avec l’un d’eux ou les deux, récemment ?

SINGLETON : Pas récemment. J’ai vu mon père de retour en 2012 quand je suis allé à La Haye pour lui rendre visite. Je n’y suis pas retourné après çà.

MARTIN : Était-il bien? Lorsque vous l’avez vu?

SINGLETON : Ouais! Il était bien. Je veux dire, vous savez, avec tout ce qui s’est passé, je m’attendais à ce que les choses soient bien pires, mais je remercie Dieu qu’il était bien.

MARTIN : Et votre mère ?

SINGLETON : Ma mère, bien sûr, je ne l’ai pas encore vue et nous n’avons toujours pas eus d’autorisation officielle pour lui parler. Nous avons demandé à lui rendre visite. Nous n’y sommes pas autorisés. Nous avons demandé à, vous savez, lui parler au téléphone. Elle n’a pas de téléphone. On ne peut pas lui parler. Alors, vous savez, j’ai réussi à le faire une fois où quelqu’un y est allé lui rendre visite et que cette personne a eu la gentillesse de nous laisser parler sur leur téléphone. Mais, vous savez, il n’y a pas une façon de lui parler sur une base régulière et savoir comment elle va, ce qui est une autre question. Il y a beaucoup de violations des droits de l’homme dont personne ne parle.

MARTIN : Avant de vous laisser partir, croyez-vous que la réconciliation entre les deux parties est possible à ce stade? Qu’est-ce qui devrait promouvoir cela?

SINGLETON : C’est possible. Ça serait possible si le gouvernement est prêt à aborder la question d’une manière différente. S’ils veulent vraiment de reconstituer les gens, ils doivent cesser d’arrêter des personnes qu’ils appellent partisans de Laurent Gbagbo. Ils gèlent encore les avoirs des personnes, les gens sont chassés de leurs maisons, beaucoup d’entre eux sont exilés. Rien n’est fait pour les ramener. Rien n’est fait pour leur restituer leurs richesses et leurs possessions. Rien n’est fait pour ramener la paix entre les peuples.

MARTIN : Marie Antoinette Singleton vit à Atlanta, en Géorgie. Ses parents, l’ancien président et la première dame de Côte d’Ivoire, sont maintenant en attente de procès pour crimes contre l’humanité. Et elle a eu la gentillesse de nous parler d’un studio à Atlanta. Marie-Antoinette Singleton, je vous remercie beaucoup d’avoir parlé avec nous et nous avoir donné votre point de vue.

SINGLETON : Je vous remercie.

Source : in  Aujourd’hui du samedi 28 – dimanche 29 septembre 2013