Alassane_ouattara_presidence

 

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Par Jean-Antoine Zinsou

De nos jours en Côte d’Ivoire, dès que l’on dénonce un dysfonctionnement, on est accusé d’être un pro Gbagbo. Cela rappelle les tristes heures de la dérive de la refondation, quand toute critique faite au régime entraînait quasi automatiquement qu’on se fasse traiter de pro Alassane. Cette façon borgne de décrypter l’actualité se retrouve sur les réseaux sociaux où toute personne désireuse d’introduire un débat de fond, se retrouve rattrapée par des commentaires partisans qui défendent avec beaucoup de subjectivité l’un ou l’autre de nos deux derniers présidents. Pour ma part je préfère renvoyer dos à dos ces deux groupes qui, par leurs réactions, me démontrent qu’ils ont encore un effort à faire pour comprendre que ce qui importe le plus, c’est la défense de la nation et non pas celle des individus que nous avons porté à la tête de l’Etat. Heureusement une majorité silencieuse en Côte d’Ivoire, refuse ce clivage artificiel de la société et considère que peu importe le président, pourvu qu’il nous permette de vivre en paix et dans la bonne humeur, dans une société en pleine transition vers le développement. C’est parce que je suis habité par le rêve de retrouver la Côte d’Ivoire débarrassée de ce clivage artificiel savamment entretenu par la classe politique que je ne cesserai de m’exprimer sur ce qui me dérange dans la gestion des affaire du pays.

Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que le régime actuel a une volonté affichée de faire progresser la Côte d’Ivoire et qu’il fait des efforts pour y parvenir. Cependant il faut bien reconnaître qu’on reste sur sa faim lorsqu’il s’agit de faire le point sur les trois grands principes défendus par le président Ouattara à savoir la bonne gouvernance, la fin de l’impunité et la réconciliation nationale.

Peut-on parler de bonne gouvernance quand on assiste au détournement des ressources de l’Etat à des fins politiciennes ? Tout Etat qui se respecte dispose d’un plan directeur sur lequel tous les chantiers de l’Etat sont listés avec un coût et un positionnement dans le temps. La bonne gouvernance consisterait donc à veiller à la stricte application de ce programme au lieu de se servir d’une visite du chef de l’Etat pour faire du ravalement de façade. Aussi vrai qu’un pansement propre n’a jamais traité un furoncle, ces travaux effectués dans l’urgence ne règlent pas les problèmes et ont pour la plupart deux caractéristiques essentielles : la mauvaise qualité et la surfacturation. Vouloir faire croire que c’est la visite d’un homme qui apporte le développement est fondamentalement malsain car c’est rattacher le développement au clientélisme. Ce sont les impôts et les taxes prélevés sur l’activité du pays qui permettent à l’Etat de financer son développement. La bonne gouvernance consisterait donc à faire que la population lie la réalisation d’infrastructures, aux ressources de l’Etat plutôt qu’au bon vouloir d’un président de la république.

La bonne gouvernance pourrait aussi consister à rappeler à l’ordre certains de nos partenaires qui comme Air France se font du gras à nos dépends. Comment peut-on accepter que l’heure de vol pour un billet en classe économique sur Air France soit offerte à 192€ pour un Paris New-York, 50€ pour un Paris Bangkok et 280€ pour un Paris Abidjan ? C’est tout simplement scandaleux dans un contexte où le taux de remplissage des avions pour Abidjan est tel qu’on a augmenté les rotations et qu’on pense même à utiliser un A380. Comment pense-t-on développer notre tourisme avec des prix aussi prohibitifs ? La bonne gouvernance consisterait à empêcher nos partenaires de nous prendre pour des imbéciles.

Au temps des colonies on offrait des corbeilles remplies de bijoux de pacotille et d’alcool pour mieux exploiter les ressources locales. Aujourd’hui on nous offre deux petits bus électriques ou on nous promet un A380 dont l’envergure de 80m nécessite un aménagement lourd du tarmac et du terminal dont on ne parle pas. L’émergence des pays asiatiques repose en grande partie sur le respect mutuel qu’ils ont su imposer à leurs partenaires.

Pour ce qui est de l’impunité j’ai observé avec une certaine satisfaction le jugement rendu dans le procès des anciens dirigeants de la filière café cacao. Il faut que dans notre pays les crimes économiques soient punis sévèrement. Non pas par des peines d’emprisonnement mais par la récupération des sommes détournées afin qu’elles servent à financer la construction d’infrastructures à forte portée sociale. A cela devrait s’ajouter l’interdiction d’exercer une fonction dans l’administration, pendant une période plus ou moins longue. Du militaire dont la solde ne peut justifier un parc auto abritant des voitures de luxe et une résidence secondaire en bord de mer, au ministre qui passe des marchés de gré à gré, tous devraient faire l’objet d’enquêtes, de poursuites et de condamnation si leur culpabilité est avérée.

En ce qui concerne la réconciliation, je ne peux qu’exprimer mon désarroi devant les occasions manquées. Dernièrement la république de Côte d’Ivoire a décoré à titre posthume monsieur Christian Baldensperger plus connu sous le pseudonyme de Jean Hélène. Voilà un monsieur qui a été tué. L’assassin a été identifié, jugé et écroué. La Côte d’Ivoire a donc fait ce qu’il fallait puisque le crime n’est pas resté impuni et que les représentants de la victime n’ont pas fait appel de la décision de justice. Pourquoi la Côte d’Ivoire devrait-elle décorer ce journaliste ? Est-il décoré pour service rendu à la nation ou service rendu à un camp dans le combat fratricide que se livraient les politiciens de ce pays? A l’annonce de cette décoration j’ai tout de suite pensé à des personnes comme Marcelin Yacé ou Fabien Coulibaly, victimes innocentes d’une crise dont ils n’étaient en rien responsables. Au lieu de décorer à titre posthume un Jean Hélène, décorons nos victimes innocentes pour afficher notre volonté de tourner la page et pour empêcher que celui qui porte dans son corps les séquelles d’une mauvaise prise en charge médicale, à cause de l’embargo sur les médicaments imposé au plus fort de la crise post-électorale, ne transforme son ressenti négatif en haine puis en désir de vengeance. Et si pour la réconciliation de la nation, il faut que tous les orphelins de la crise deviennent des pupilles de l’état, qu’il en soit ainsi. Avec tout l’argent investi dans des commissions et des activités sensées favoriser la réconciliation, on aurait pu créer un fonds pour garantir l’éducation et la santé de tous ces orphelins. La réconciliation en Côte d’Ivoire doit certes passer par des actes forts posés conjointement par les deux parties belligérantes mais elle passe aussi par des actes posés séparément par chacune des deux parties. Et là, il y a beaucoup à redire sur le comportement de l’autre camp et ce sera le thème principal de ma note de la semaine prochaine.

Source: Lider News