Le Gouvernement dans sa méthodologie n’a pas su ou n’a pas manifesté la volonté de définir les objectifs à atteindre pour nous permettre de tourner la page de cette querelle sur la fiabilité et la neutralité de notre processus électoral, en vue d’intégrer celui-ci définitivement dans les acquisitions incontestables de notre patrimoine démocratique.
Au cœur de cette querelle du droit électoral, apparaît la notion de sincérité du scrutin. Dans sa perception macroscopique, il s’agit de traduire avec fidélité la volonté de l’électeur, telle qu’elle s’est exprimée dans les urnes. Cet objectif majeur correspond à l’exigence démocratique consacrée par notre Constitution, que les juges de l’élection reprennent d’ailleurs comme critère fondamental, pour fonder leurs décisions. Celui-ci englobe toutes les autres notions démocratiques, juridiques et comptables : liberté d’expression et de choix, égalité des citoyens devant le droit de vote, droits politiques du citoyen, image fidèle de la volonté populaire, exactitude du décompte du vote, etc. …
Toute la question est de savoir comment garantir cette sincérité du scrutin. Les moyens pour y parvenir sont certes nombreux et variés, mais ils doivent tous obéir à une logique et être subordonnés à cet objectif majeur. Or, nous nous sommes hélas enfermés dans une logique de représentativité et d’équilibre des forces politiques, plutôt que d’efficacité dans la réalisation de cet objectif majeur.
1 – Sur la mise en œuvre du principe de l’égalité devant le suffrage :
Appliqué à l’ensemble du corps social, ce principe implique que l’exerce de ce droit soit reconnu à tous les citoyens réunissant les conditions prévues par la Loi. Ceci adresse d’une part, les inscriptions sur les listes électorales (délivrance des documents d’identité et campagnes d’inscription plus larges et plus longues pour permettre une amélioration significative de la taille du corps électoral ), l’égalité de la représentation des territoires (découpage de la carte électorale afin que chaque électeur, chaque région, puisse disposer du même poids électoral dans la représentation du corps social et de la pluralité culturelle) et d’autres part, l’égalité des conditions de la compétition pour tous les partis politiques et tous les candidats aux élections ( accès aux médias publics, financement des campagnes électorales, etc.).
En 2015, il a été offert aux candidats à la présidence de la république cent millions de francs pour battre leur campagne sans aucun texte pour justifier cette initiative (La volonté d’un candidat ou le pouvoir discrétionnaire du Chef de l’État ne saurait se substituer à la Loi, et dans tous les cas il s’agit de pérenniser une pratique sur la base d’un principe de droit). Il a été refusé à certains candidats l’accès aux médias publics (La RTI n’est pas l’interprète de la Loi et elle n’est pas une juridiction pouvant statuer sur la qualité d’un candidat, tout comme elle ne peut se soustraire à l’autorité d’une décision du Conseil Constitutionnel). En 2010 ce principe du « one man, one vote » (Nelson MANDELA) n’a pas été respecté dans la Décision du Conseil Constitutionnel. Aujourd’hui, l’égalité des circonscririons électorales est contestée, à tort ou à raison. Ces expériences et ces réalités n’ont malheureusement pas été intégrées dans la réforme de la Loi électorale et je le regrette fortement.
En effet, la question du découpage électoral, est un enjeu démocratique assez important, car sa mise en œuvre peut nous détourner de la finalité recherchée, si elle était manipulée. Faute de parvenir à assurer le principe d’égalité à ce niveau du processus, le résultat électoral qui pourrait être obtenu dans un tel système inégalitaire et arbitraire, ne pourrait être que déloyal et artificiel et fausserait le principe de l’égalité de la représentation du corps social pour permettre de refléter fidèlement la volonté du corps électoral pris comme une entité. Ce serait une perversion démocratique. Dès lors, cette question méritait d’être inscrite dans l’examen critique de notre processus électoral, en vue d’une éventuelle réforme consensuelle si de besoin. Il eut été préférable en effet de confier à un organe indépendant, comme la CEI cette attribution (Pouvoir du découpage électoral) et de réviser dans la même foulée, la loi édictant les critères objectifs de ce découpage (équilibre démographique et des forces politiques en présence, règles de proportionnalité) pour permettre aux juges (Conseil d’État et Conseil Constitutionnel) de pouvoir exercer un contrôle sur leur bonne application. Ceci nous aurait sorti de la suspicion politique et de l’arbitraire de l’État, en excluant l’intervention du pouvoir politique dans un processus qui peut avoir pour effet de déterminer la physionomie d’un scrutin, s’il n’est pas conduit de manière indépendante, neutre et objective. En dehors de la question de l’équité du découpage, il y a la question de sa réactualisation périodique pour intégrer les évolutions démographiques qui apparaissent au fil du temps. On aurait même pu aller beaucoup plus loin en délimitant les compétences de ce qui est dévolu à la Loi et au Décret en matière électorale, pour limiter la toute-puissance du pouvoir politique et de l’État, en trouvant des formules d’association avec la CEI à toutes ces opérations.
2 – Sur la mise en œuvre du principe de liberté des acteurs de l’élection.
Le principe de liberté implique que la CEI ne subisse aucune sorte de pression et aucune influence, ni de l’extérieur de la part de l’État ou du Pouvoir, ni de l’intérieur de la part des forces politiques en son sein. C’est la condition indispensable pour garantir sa neutralité. Dès lors, sa liberté d’expression, de jugement et d’action pourrait être mieux assurée et utilisée avec plus d’objectivité. Or, le projet de réforme conserveun représentant du Président de la République qui ne se justifie aucunement, et refuse obstinément de dépolitiser la structure. Nous avons besoin de stabilité. Or, la configuration des forces politiques évolue constamment et constitue une réalité éclatée et disparate dont il est non seulement difficile d’assurer l’équilibre, mais également la neutralité. Je regrette véritablement cette option. Par ailleurs, nous savons tous que la société civile non seulement n’est pas neutre (organisations satellites et associations inféodées à des formations politiques pour la plupart), mais ne répond pas à des critères objectifs de représentativité et d’équilibre de la société. Dès lors, leur mode de désignation ou de cooptation peut poser problème et fausser la neutralité et l’équilibre de la nouvelle structure. Sur le critère de représentativité nous pouvions faire intervenir la chambre des rois et des chefs traditionnels et les chambres parlementaires, pour leur demander de désigner en leur sein par vote leurs représentants à la CEI (légitimité découlant du suffrage universel et de nos us et coutumes).
Je suis amer que nous ayons perdu de vue la finalité de notre réforme, parce qu’enfermés dans notre conflictualité politique, plutôt que de construire un dialogue constructif et ouvert, pour définir des moyens de performance. Même, la liberté des actes préparatoires relatifs à l’organisation des élections et l’autonomie financière de la nouvelle structure n’ont pas été prise en compte dans le projet de réforme. Il est d’autant plus regrettable que les dysfonctionnements des CEI locales et les incidents ayant émaillé les dernières élections, heureusement très marginaux, n’aient pas été pris en compte pour éviter leur reproduction et veiller à la régularité du déroulement du vote, même s’ils n’ont pas eu une influence déterminante sur l’issu de scrutin d’ensemble. Il ne demeure pas moins, que certains agissements ont été le fait des agents de l’Autorité même chargée des opérations électorales dans les communes concernées. Dès lors, ces actes étaient incompatibles avec la sérénité, l’impartialité et l’objectivité du scrutin et ont été de nature à porter atteinte à la liberté des électeurs, à la sincérité du scrutin et à la paix sociale. On peut regretter qu’il n’y ait pas eu de poursuites judiciaires spectaculaires à leur encontre pour l’exemple. Les manœuvres frauduleuses en matière électorale tuent la démocratie. « La lutte contre la fraude est une mesure de salubrité civique ». Dès lors, il est fortement recommandé qu’il y ait des sanctions pénales et que celles qui frappent leurs auteurs soient particulièrement dissuasives par leur sévérité, quels que soient les acteurs du processus.
Comment rester sourd à de tels avertissements et indifférent à de tels agissements ? Comment ne pas constater que c’est une reforme à minima ? Comment ne pas en déduire une absence de volonté politique dans la recherche d’un large consensus ? La paix se construit en réunissant les conditions permettant son épanouissement naturel. On ne l’assure pas uniquement par l’exercice de la force légale, celle-ci a besoin également d’être légitimée au-delà des représentations et idéologies qui soutiennent la construction de l’État par des actes emportant l’adhésion populaire et respectant un certain nombre de normes et de principes démocratiques participant du contrat social et politique de la Nation. Je suis furieux contre cette façon de faire. Il convient de rappeler que l’élection est un acte majeur de la démocratie. Elle doit mobiliser toute notre attention et la réforme des outils qui concourent à sa réalisation doit s’accomplir dans des conditions sérieuses. Il ne peut s’agir ni d’une mascarade ni d’une affaire à expédier.
3 – Sur la mise œuvre du principe d’exactitude du décompte du vote
Il nous faut adresser cette question centrale à travers l’utilisation des nouvelles technologies informatiques permettant d’éliminer l’intervention humaine. C’est toute une perspective nouvelle qui s’ouvre tant sur la fiabilité du traitement des données du vote que sur l’amélioration des conditions matérielles du vote, pour permettre une plus grande participation des citoyens, une rapidité dans la production des résultats, et un recours à des modalités de vote électronique variés, Cette direction n’a pas été explorée par la réforme, alors qu’elle permet de garantir l’exactitude du vote et la neutralité de son traitement.
CONCLUSION :
Dans mes analyses prospectives je prédisais une réforme limitée, mais allant au-delà de la simple satisfaction de l’injonction contenue dans la Décision de la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples. Cette réforme est en deçà de toutes attentes et porte en elle les germes d’une tension, faute de répondre aux objectifs majeurs de la sincérité du scrutin. Nous sommes malheureusement dans une logique arithmétique et quantitative. L’équilibre des forces au sein de l’Autorité organisant l’élection ne garantit absolument pas la sincérité du scrutin. Preuve : l’absence de ce type de structures dans les grandes démocraties. Nous avons plutôt affaire au rôle et à la place de l’État dans un système démocratique, à une culture politique, à des comportements civiques et à l’efficacité d’un processus pour atteindre l’objectif majeur recherché. Pierre Aly SOUMAREY