ONUCI FM Interview

« Prudence et langueur ont vaincu plus de résistance qu’audace et provocation. » 

Jacques Lamarche

Une contribution du Dr. Prao Yao Séraphin, délégué national au système monétaire et financier à LIDER

Le président Jacques Chirac affirmait quelque temps après l’avènement de la démocratie sur le continent que celle-ci était un luxe pour les Africains. Comme toujours, habitués aux réactions épidermiques et émotionnelles, les africains s’étaient élevés au sud du Sahara pour clamer tout haut que le président français n’était pas réaliste. 23 ans après la conférence de la Baule, les dictatures sont toujours présentes. Après la valse des conférences nationales et des élections pacotilles, les pays africains retournent peu à peu au système de parti unique. N’ayant pas compris que le multipartisme ne se confond pas à la démocratie, les pays africains et parfois les politologues les plus écoutés ont succombé à cette tentation. S’il est vrai que la démocratie est universelle et qu’il faut l’appliquer  en Afrique en respectant ses principes élémentaires, il aurait fallu l’appréhender en corrélation avec le vécu quotidien de chaque peuple. Ce qui n’a pas été le cas.

Si le bilan du multipartisme est très maigre en Afrique, un fait mérite une attention particulière : on gagne désormais les élections avec des alliances. Les cas sénégalais et maliens sont les exemples les plus récents.

Après les élections ratées de 2010, les partis politiques ivoiriens s’apprêtent pour les prochaines élections présidentielles de 2015. La présente réflexion trouve son ancrage dans ce contexte et elle s’adresse à tous ceux qui sont contre la politique économique et sociale des tenants actuels du pouvoir. Son ambition est claire : il s’agit de rappeler aux opposants du régime la nécessité de mettre en place une coalition pour battre M. Ouattara en 2015.

L’étude de cette question nous conduit, dans une première section, à critiquer ce que nous appelons « l’échec tendanciel » du régime actuel. La deuxième section propose un programme rassembleur comme la réponse aux maux des ivoiriens. La troisième s’interroge sur l’attitude à adopter pour battre M. Ouattara. Enfin, la quatrième section aborde la question du leader de cette coalition.

De la multiplication des erreurs à l’échec tendanciel du régime actuel

M. Ouattara a multiplié les erreurs depuis qu’il est au pouvoir en Côte d’Ivoire. Les ivoiriens n’ont pas compris comment « le candidat du vivre ensemble » s’est transformé en ennemi de la république. Pour ne pas lui prêter des intentions, reprenons ses propos : « Il s’agit d’un simple rattrapage. Sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40 % de la population, étaient exclues des postes de responsabilité. S’agissant des hauts cadres de l’armée, j’ai eu à négocier avec les officiers des ex-Forces Nouvelles [FN, ancienne rébellion nordiste], qui voulaient tous les postes. Et j’ai réussi à imposer cet équilibre dans la hiérarchie militaire, jusqu’au niveau de commandant : le n° 1 issu des FN, flanqué d’un n° 2 venu de l’ancienne armée régulière. Tous grades confondus ; il y a 12 % de nordistes dans la police, 15 % dans la gendarmerie et 40 % environ dans l’armée… Sur ce terrain-là, on ne peut rien me reprocher. ».  Depuis lors, M. Ouattara est devenu le Président de son clan et d’une communauté. Le risque, c’est qu’une réclamation communautaire peut créer des tensions communautaires. Finalement, c’est une minorité qui prend en otage la république.

Le régime Ouattara ne s’est pas arrêté là. Ces derniers temps, c’est la république qui est en danger avec le projet de bradage de la nationalité ivoirienne. Et pourtant les résolutions 2062 et 2112 de l’organisation des nations unies en Côte d’ivoire ont appelé à l’adoption de projets consensuels concernant le foncier et la nationalité.  En effet, Le conseil de sécurité de l’Onu, siégeant à New York le 30 juillet 2013, a clairement exhorté, à travers l’article 18 de sa dernière résolution 2112 sur la Côte d’Ivoire, le gouvernement «à prendre des mesures concrètes et tangibles pour prévenir les violences intercommunautaires et en atténuer les conséquences en essayant de dégager un large consensus national sur la façon de régler les questions d’identité et de propriété foncière». Le régime Ouattara est devenu sourd et autiste et  fait à sa tête. Le régime actuel n’a pas compris que la république ce n’est pas la distribution automatique de la nationalité ivoirienne à guichet ouvert.

Toujours sur le plan de la cohésion nationale, le régime pratique une justice à géométrie variable où les uns sont en prison et les autres en liberté. On a même constaté ces temps-ci à une sorte de justice sélective et des libérations sélectives. Dans le régime Ouattara, c’est la pratique de la justice punitive. Mais  cette justice punitive et sélective, nous a conduit dans une impasse sociale et politique.

Sur le plan économique, le gouvernement Ouattara a proclamé non sans fierté un taux de croissance positif pour l’année 2012. Le régime Ouattara a multiplié les superlatifs au sujet de sa croissance sans que les populations n’en ressentent le moindre impact. Les retombées de cette croissance n’excède point l’épaisseur d’une feuille de cigarette car les ivoiriens vivent dans une impécuniosité absolue. Pour ceux qui ont festoyé le 11 avril 2011, ils ont vite compris que sous le sapin, il y avait un cadeau empoisonné.

Pour répondre à ces détracteurs, le régime Ouattara demande aux ivoiriens de patienter. Mais ce qu’il oublie, c’est que la croissance à crédit appauvrit tôt au tard. C’est comme un commerçant qui se réjouit d’une recette élevée alors même que ses coûts excèdent les recettes.  L’échec  tendanciel du programme économique et social du régime est avéré. Les ivoiriens ne peuvent rien espérer d’un tel régime.

En définitive, malgré les nombreuses assignations interpellatives, le régime Ouattara persiste dans la destruction de l’âme et le fondement spirituel du pays. L’entendu des errements de sa gouvernance renseigne sur les valeurs intrinsèques du Président actuel. Les ivoiriens doivent passer à autre chose.

Répondre aux maux des ivoiriens par un programme rassembleur

Tous les politologues les plus éclairés sont unanimes pour dire que le régime actuel ne peut être battu qu’avec une coalition. Cette dernière s’exprimant comme une réunion entre plusieurs personnes autour d’une idée, d’une étude ou d’un thème particulier à discuter sur tous les aspects dans le but d’aboutir à une décision ou à un résultat commun.

En réponse à la déshérence dans laquelle est tombé le peuple ivoirien, la première action à mener c’est de s’unir contre la forfaiture du régime actuel. Celui pour qui le pouvoir était devenu un supplice de tantale a fini par démontrer que le pouvoir est pour lui un instrument de vengeance. C’est une large coalition qui peut sauver aujourd’hui la Côte d’Ivoire et rien d’autre. Cette coalition peut regrouper les partis du CPD, le FPI, le PIT, l’ARD-PDCI, le MFA, le CPR du Dr. Doumbia Major et tous les partis qui sont en alliance avec chacun des partis de cette large coalition. Signalons que le  CPD est une plate-forme d’échanges, de réflexions, de propositions et d’actions en vue de l’amélioration des relations et de la consolidation de la confiance entre le gouvernement et 11 partis de l’ex-majorité présidentielle mise en place le 28 avril 2012 à l’issue d’un conclave organisé par le gouvernement. Comme le disait Sartre, la vérité n’est pas dans un seul rêve mais dans beaucoup de rêves.

La coalition sera inopérante sans un programme. La coalition doit chercher le vote populaire et non le vote communautaire. C’est pourquoi, il faut un programme rassembleur autour des sujets qui intéressent tous les ivoiriens. La coalition doit aborder la question de l’emploi, du foncier rural, de la retraite, de l’indépendance monétaire, du régime politique, de l’éducation, de la santé etc. Elle doit également  réaffirmer la république.

Conscients de l’urgence d’une organisation de masse pour être en mesure de défendre, contre l’offensive des fossoyeurs de la république, les conquêtes démocratiques, nous devons sans attendre mettre en place cette coalition. Le doyen Fologo pourrait par exemple convoquer une première réunion où tous ces partis cités plus haut se concerteront d’abord pour aplanir les incompréhensions et ensuite mettre en place les secrétariats thématiques et fonctionnels.

Comment battre Ouattara en  2015 ?

Dans la mesure où la politique économique et sociale du Président Ouattara est suicidaire pour les ivoiriens, il doit avoir une réaction du peuple. Mais un combat se fait de façon méthodique. A l’instar d’une guerre, pour gagner, il faut  sortir victorieux de chaque bataille. Justement, les premières batailles de la coalition doivent se focaliser sur les points suivants : surveiller le recensement général de la population, revoir l’enrôlement et inclure les exclus d’hier et les nouveaux majeurs,  la recomposition de la CEI, la date des futures élections présidentielles et le processus etc. Nous devons imposer à ceux qui détruisent la Côte d’Ivoire. Autant, il est impossible de cacher le soleil avec une main, autant il est impossible de contenir la mer avec son bras. Si nous sommes unis, nous gagnerons toutes ces batailles car celui qui sait où il va, tout s’écarte sur son chemin.

Hier, le RHDP s’est imposé avant les élections, la coalition doit s’imposer car on ne peut pas se laisser définir par les autres.

La coalition devra avoir un message qui s’adresse à tous les ivoiriens et surtout vers ceux qui sont au « centre » sur le plan idéologique. Les expériences des grandes démocraties nous enseignent suffisamment. Les écarts entre le vainqueur et le vaincu étant souvent limités, la question majeure pour les principaux candidats est de savoir comment gagner ces voix qui vont faire la différence, quelques centaines de milliers si on est au niveau de notre pays. Faut-il rassembler en priorité son camp ou aller chercher les électeurs chez les indécis, voire dans l’autre camp ? En 1974, V Giscard d’Estaing dépasse François Mitterrand de 424 599 voix sur plus de 26 millions de suffrages là où en 1965, Charles de Gaulle avait 2 463 964 voix d’avance, contre le même adversaire.

Aux U.S.A., en 2000, 554 683 voix, sur plus de 100 millions de votants, séparent G Bush de Al Gore. Pendant longtemps, il a été admis qu’une élection se gagne au centre : c’est là que se trouvent les électeurs indécis, ceux qui peuvent basculer d’un côté ou de l’autre. Il est inutile de chercher à rallier un électeur qui se trouve au cœur du camp d’en face : il y a très peu de chance qu’il soit sensible à mes arguments. Rassembler son camp et gagner les indécis/ indépendants, c’est la gageure pour tout candidat.

Une fois qu’on aura formé le présidium de la coalition et ses secrétariats thématiques et fonctionnels, la coalition étendra ses structures à l’intérieur du pays pour préparer les présidentielles. C’est à ce prix que nous pourrons battre M. Ouattara.

Quel leader  pourra battre M. Ouattara ?

Le rendez-vous de 2015 opposera les artisans de la nation aux fossoyeurs de la république. De ce point de vue, celui qui pourra battre ne doit pas être un anti-Ouattara mais un Pro-Côte d’Ivoire.  Au-delà de nos incompréhensions, nous devons considérer la Côte d’Ivoire car ce qui nous unie est plus important que ce qui nous divise. Nous trouverons toujours avec l’esprit qui anime notre peuple, quelqu’un pour battre M. Ouattara en 2015. Nous ne devons pas oublier que ce qui faisait justement la force d’un Charles de Gaulle, et son caractère exceptionnel, c’est qu’il trouvait des électeurs largement au-delà du camp traditionnel de la droite, en raison de son passé pendant la guerre et de son statut d’homme au-dessus des partis. Celui qui pourra battre M. Ouattara devra être celui qui apaisera le Sud et le Nord du pays car depuis 2002, la fracture invisible entre le Nord et le Sud du pays s’est matérialisée avec la crise postélectorale et la gouvernance de M. Ouattara. En tout cas, la Côte d’Ivoire doit passer avant les égoïsmes individuels car comme le rappelle Pompidou, pour être Président, il ne suffit pas d’être un grand homme, il faut l’être au bon moment. Et ce moment dépend de Dieu.

Conclusion

La Côte d’Ivoire souffre de la gouvernance de M. Ouattara. Le peuple ivoirien est perdu et désespéré. Il ne reconnait plus ses repères. Face à cette tragédie, ne rien faire est suicidaire, ne rien dire est coupable. Le seul dessein de cette réflexion a consisté à apporter cette modeste contribution comme gage de notre volonté à voir notre peuple à nouveau uni et heureux. Nous croyons à l’instar de Churchill que “là où il y a une volonté, il y a un chemin”. Aux générations actuelles, nous avons le devoir de lutter car nous devons passer du rêve des pionniers au rêve des héritiers.