C’est autour du thème « Façonner un avenir de droits : La liberté d’expression comme moteur de tous les autres droits de l’homme », que les journalistes et communicateurs professionnels de la Côte d’Ivoire, à l’instar de leurs confrères du monde entier ont célébré la 30ème journée mondiale de la liberté mondiale de la presse, le 03 mai dernier. Et ce, dans un écosystème médiatique fortement politisé et polarisé, logeant ainsi la Côte d’Ivoire à la 54è place dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse 2023 de Reporter sans frontière (RSF).
De la 37è place au niveau mondial en 2022, la Côte d’Ivoire occupe au dernier classement mondial de la liberté de la presse 2023, la 54è place sur 180 pays ; la baisse constatée est du fait de plusieurs facteurs, à en croire Reporter sans frontière (RSF), dans son dernier rapport sur la liberté de la presse en Côte d’Ivoire, contenu dans la 21e édition du Classement mondial de la liberté de la presse, publié le 3 mai dernier.
Précisément selon RSF, la Côte d’Ivoire dispose d’un paysage médiatique parmi les plus politisés et polarisés d’Afrique de l’Ouest. Certains journalistes n’échappent pas aux convocations devant la justice et aux agressions. Les suspensions de journaux ne sont pas rares. « Les journalistes sont parfois convoqués pour être interrogés par les procureurs, et certains font l’objet d’agressions physiques ou verbales. Il n’est pas rare que des journaux soient suspendus », rapporte Rsf.
« La liberté de la presse est encore étroitement liée au contexte politique. L’influence de certains partis et responsables politiques dans les médias est très grande. La RTI reste un média d’État au service de l’image du gouvernement et du président de la République », précise RSF en ce qui concerne le contexte politique de la Côte d’Ivoire dans lequel l’écosystème des médias tente de s’affranchir.
Le cadre légal du pays, pour RSF, « ne contient aucune disposition privative de liberté en cas de délit de presse. Elle maintient toutefois le délit d’offense au président de la République », lequel délit, reste ambigu et imprécis, pour survoler comme une épée de Damoclès sur les rédactions portées à la critique de la gouvernance publique animée par le président de la république Alassane Ouattara.
En matière sécuritaire, RSF n’omet pas de signifier qu’en Côte d’Ivoire « les journalistes d’investigation, sont souvent visés par des tentatives de corruption, des intimidations, ou des arrestations et les locaux de leur rédaction peuvent faire l’objet d’attaques. Mais d’une manière générale, tous les professionnels des médias font face à des problèmes de sécurité dans l’exercice de leur fonction, tant de la part des militants de partis politiques, que des forces de l’ordre.»
Le tableau peint par RSF, en ce qui concerne la réalité de la liberté de la presse Ivoirienne, laisse pantois pour ce pays d’Afrique de l’ouest où la communication gouvernementale à travers les médias d’Etat, présente le pays comme un modèle démocratique et un exemple en matière de gouvernance, et partant de respect de la liberté d’expression.
Le 25 avril dernier, au Sofitel Hôtel Ivoire d’Abidjan, en face du Congrès Ivoirien, le Chef de l’Etat Ivoirien, Alassane Ouattara, a une fois de plus présenté l’embellie économique du pays et un bilan « extraordinaire » de sa gouvernance, de quoi à faire rêver plus d’un dans le monde entier, et pourtant, la question de la liberté de la presse demeure un handicap préoccupant sur la terre d’Eburnie.
Les journaux de l’opposition, notamment le quotidien le Temps, proche du PPA-CI de Laurent Gbagbo continue de souffrir le martyr avec les nombreuses sanctions à son encontre. Des sanctions de son directeur de publication, Yacouba Gbané aux interdictions de parution, le Temps reste dans le collimateur de l’ANP, l’autorité de régulation de la presse écrite et de la presse numérique qui, à première lecture tente de faire respecter les dispositions légales qui encadrent le journalisme dans le pays, mais qui en réalité essaye, selon les partisans du PPA-CI, de museler pour une raison ou une autre les journaux proches de l’opposition significative.
En témoigne, les arguments émis par l’ANP, concernant la dernière suspension du journal le Temps et de Yacouba Gbané le 30 mars 2023, au regard des articles 31 et 91 de la loi N°2017-867 du 27 décembre 2017 portant régime juridique de la presse telle que modifiée par la loi 2022-978 du 20 décembre 2022 relatif notamment au respect du droit à l’image, à la vie privée, à l’honneur et à la réputation ainsi que l’article 11 du code de déontologie qui recommande au journaliste de ne jamais publier d’image sans s’être préalablement assuré qu’elle ne viole pas la présomption d’innocence, ne porte pas atteinte à la dignité et à l’honneur, ne participe pas à la manipulation de l’information et de la désinformation, n’expose pas l’intégrité physique et morale du ou des sujets.
Des faits, il ressort selon l’ANP, que dans son édition N°5659 du lundi 20 mars 2023, le journal a publié en page 6 deux articles dont celui annoncé à la Une et intitulé : « Convocation du SG du PPA-CI aujourd’hui / Qui est la juge qui entendra Pickass ?», illustré de la photographie de madame le doyen des juges d’instruction du tribunal de première instance d’Abidjan en charge du dossier et dans l’article intitulé « Savoir s’envoyer », l’auteur « dans une vive critique » présente l’appareil judiciaire et les magistrats comme un instrument du pouvoir exécutif servant à opprimer les opposants ivoiriens, sans en rapporter la moindre preuve et profère des menaces à leur encontre en ces termes : « Que les juges prennent garde ».
De l’avis de Dr Alfred Dan Moussa, Directeur général de l’Institut des Sciences et Techniques de la Communication (ISTC) qui, en prélude à la journée mondiale de la liberté de la presse, le 02 mai 2023, à la maison de la presse à Abidjan-Plateau, a laissé entendre que : « la liberté de la presse en Côte d’Ivoire en 2023 n’est pas un mythe, la liberté de la presse est une réalité car, aucun journaliste n’est interdit d’antenne ou de signature au moment où le monde célèbre la journée de la liberté de la presse. »
Et pour le président de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI), Jean-Claude Coulibaly, des efforts ont été consentis par les pouvoirs publics pour que la liberté de la presse soit effective dans le pays, mais beaucoup reste à faire
Et pourtant, l’organisation non gouvernementale internationale, RSF, rapporte que le paysage médiatique ivoirien est parmi les plus politisés et polarisés d’Afrique de l’Ouest et « les journalistes sont parfois convoqués pour être interrogés par les procureurs, et certains font l’objet d’agressions physiques ou verbales. Il n’est pas rare que des journaux soient suspendus ».
La dernière journée mondiale de la liberté de la presse, a été l’occasion pour les journalistes Ivoiriens, de marquer un arrêt et de faire le bilan de l’état de santé de leur liberté d’expression subtilement contrôlée et restreinte par une puissance publique à travers ses satellites de régulation.
Apeurés et tétanisés, ce sont plusieurs journalistes d’opinion et d’investigation qui s’autocensurent au grand dam de l’avenir de la presse et de la liberté de la presse ivoirienne qui, est selon Antonio Guteres « le fondement même de la démocratie et de la justice. Grâce à elle, nous disposons de tous les faits dont nous avons besoin pour façonner notre opinion et dire la vérité aux détenteurs du pouvoir. »
Adingra OSSEI