Laurent Gbagbo, le résistant
(Notre Voie, 21 mars 2013) – Détenu injustement à la prison de Scheveningen, à La Haye, Laurent Gbagbo continue d’être le leader charismatique d’une Afrique à la recherche de sa souveraineté. Mais combien parmi ses détracteurs le connaissent-ils réellement ?
Intervenant le 28 février dernier devant la Cour pénale internationale lors de l’audience de confirmation des charges, le président Laurent Gbagbo a indiqué qu’il se bat depuis toujours pour la démocratie. Aussi a-t-il invité tous ceux qui le soutiennent à comprendre que la démocratie est la voie du salut pour l’Afrique. Ces propos de Laurent Gbagbo résument son parcours politique. Comme pour dire aux uns et autres : « ma vie est ainsi faite ».
En effet, pour tous ceux qui ont connu son parcours et sa vision politique, la présence du président Laurent Gbagbo à la prison de Scheveningen, à La Haye, ne devrait surprendre personne. La Cpi demeurait pour eux, le trophée qui manquait à son tableau de chasse. Convaincus pour la plupart que sa conviction profonde d’une Afrique souveraine et digne conduirait un jour Laurent Gbagbo devant la justice des hommes qui gouvernent ce monde. Ils frémissaient quand ils l’entendaient souvent déclarer : « Je veux construire un Etat moderne avant de partir de la présidence. C’est la seule raison pour laquelle je suis venu au pouvoir. Je ne suis pas venu pour être riche, mais pour laisser mon nom. Pour graver dans la mémoire collective mon passage à la présidence. Surtout que mon ambition est de construire l’Etat moderne, l’Etat prospère et démocratique ». Ses admirateurs étaient convaincus que leur leader paierait un jour les frais de son courage politique. Conviction forgée quand, dans les années 60, son père a été jeté en prison pour un prétendu complot visant à déstabiliser le régime du premier président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny. Adolescent, il s’était déjà juré de s’engager dans la politique pour faire de son pays un Etat moderne, prospère et démocratique. « J’ai lutté pour la démocratie avec courage alors qu’on ne savait même pas si le mur de Berlin s’écroulerait et qu’on connaîtrait la démocratie », devait-il rappeler récemment devant la Cpi.
La lutte de Laurent Gbagbo pour une Côte d’Ivoire démocratique n’a pas été facile. Le chemin a été long et semé d’embuches. Enseignant et syndicaliste actif dans les années 1970, il connut très tôt la prison et l’exil. Laurent Gbagbo a ainsi été emprisonné à Séguéla puis à Bouaké de 1971 à 1973 parce que le pouvoir jugeait son enseignement subversif. A l’issue des mouvements de grève lancés par le Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares) en 1982, Laurent Gbagbo est contraint à l’exil en France. C’est justement pendant ces années de galère que le pouvoir Pdci a tenté vainement de porter atteinte à son honorabilité et à son intégrité. Le président Houphouët-Boigny lui envoya plusieurs émissaires pour lui proposer de fortes sommes d’argent pour le décider à mettre fin à son exil. Il déclina, chaque fois, l’offre. Par contre, il conditionnait son retour au pays à l’instauration d’un cadre de discussion sur un multipartisme effectif en Côte d’Ivoire. L’embryon du Front populaire ivoirien verra le jour au cours de ces années. Son exil en France sera donc l’occasion pour faire connaître suffisamment le Fpi et son programme de gouvernement. Quand Laurent Gbagbo constatera plus tard que le pouvoir Pdci a continué à lui verser son salaire malgré sa longue absence du pays, il le dénoncera vigoureusement au cours de plusieurs conférences publiques une fois rentré au pays. Il ira même plus loin pour demander au gouvernement de retirer cet argent de ce compte qu’il ne considère plus comme sien depuis le 7 juillet 1982 – date à laquelle il a reçu l’arrêté rectoral n° 82-373 du 7 juillet 1982 lui signifiant son abandon de poste et signé de Charles Valy Diarrassouba, alors recteur de l’Université nationale de Côte d’Ivoire – pour le reverser au Trésor public. Mais le pouvoir ivoirien qui ne s’avoue pas vaincu, va faire retirer du compte la somme de 200.000 FCFA, le 30 août 1985 pour faire croire que Laurent Gbagbo signe des chèques depuis Paris sur Abidjan. Peine perdue. Face à la rumeur qui enfle, son épouse, Simone Ehivet, saisit le gérant de la banque où le compte de Laurent Gbagbo est domicilié. Le gérant à son tour porte l’affaire devant la police qui mettra le grappin sur un certain Adama Koné. Il est né en 1957 à Yamoussoukro, village natal de feu Félix Houphouët-Boigny. Il portait la carte nationale d’identité n°430/00685/76 au moment du retrait de la somme d’argent.
Gbagbo, un homme intègre
« Le jour où je suis devenu président de la République, j’ai réuni tous mes enfants. Je leur ai dit : «Ce poste, je vais l’occuper avec honneur. Je vais faire en sorte qu’on ne dise jamais que votre père a volé 5 francs. Je vais faire en sorte que celui qui porte mon nom n’ait pas honte. Je vais faire en sorte qu’on ne regarde pas mes enfants en disant : «Voilà le fils du voleur ou le fils du traître». Mais vous, le seul héritage que je vous laisse, comprenez-le dès aujourd’hui, c’est mon nom. Qu’il m’arrive quelque chose tôt ou tard, je n’ai aucun compte à l’étranger. Je n’ai aucune maison à l’étranger. Le seul héritage que je vous laisse c’est mon nom. Soyez dignes de ce nom, parce que ce nom est propre. S’il n’était pas propre, j’aurais été écrasé par mes adversaires pendant toute ma lutte. C’est cela ma foi et c’est cela ma voie. Parce que j’estime que c’est par cette voie-là que les jeunes Africains peuvent avoir un réveil. Mon rôle, ce n’est pas d’accumuler l’argent. Mon rôle c’est d’aider les jeunes à gagner de l’argent, pour gagner leur vie. Voilà le sens de ma lutte», confiait-il à ses enfants et petits-enfants.
Une fois au pays, le Front populaire ivoirien est porté sur les fonts baptismaux lors d’un congrès constitutif tenu les 19 et 20 novembre 1988. Laurent Gbagbo en devient le secrétaire général. Dès cet instant, il engage avec ses camarades, la lutte pour la réinstauration du multipartisme en Côte d’Ivoire. Et le 21 avril 1990, le pouvoir cède sous la pression de la rue. Le 28 octobre de la même année, Laurent Gbagbo brise un mythe. Il est le premier candidat déclaré à une élection présidentielle en Côte d’Ivoire contre le président Félix Houphouët-Boigny. Il s’en sort avec 18,3 % des suffrages. Et depuis cette date, Laurent Gbagbo devient le leader incontesté de l’opposition ivoirienne.
Les élections législatives du 25 novembre 1990 portent sa marque déposée. Elles sont les premières élections sous le signe du multipartisme en Côte d’Ivoire. Et pour la première fois, plusieurs voix peuvent se faire désormais entendre à l’Assemblée nationale. Sur 175 sièges, le Fpi en obtient 9, le Parti ivoirien des travailleurs (Pit) de Pr. Francis Wodié obtient 1 député qui est Wodié lui même. Laurent Gbagbo est aussi élu député de la circonscription de Ouragahio dans le département de Gagnoa.
Laurent Gbagbo connaîtra une fois encore la prison en 1992 sur instigation d’Alassane Dramane Ouattara alors Premier ministre du président Houphouët-Boigny. En mai 1991 puis en février 1992, les étudiants manifestent contre leurs conditions et de travail. Le pouvoir envoie nuitamment sa soldatesque à la cité universitaire de Yopougon pour déloger les étudiants “récalcitrants”. Le bilan est lourd. Des dizaines d’étudiants sont blessés. Plusieurs sont portés disparus. La commission d’enquête mise en place par le pouvoir incrimine l’armée ivoirienne. Mais le président de la République refuse de prendre des sanctions contre les militaires dont la responsabilité est mise en cause. Laurent Gbagbo qui appelle à manifester est arrêté le 18 février et condamné le 6 mars à deux ans de prison ferme. Il a été libéré en août 1992. Entre temps, le 7 décembre 1993, Houphouët-Boigny meurt. La gestion de son héritage divise ses héritiers. Ouattara réjouit l’opposition.
Laurent Gbagbo et le parti d’Alassane Dramane Ouattara, le Rdr, dans le cadre du Front républicain, n’iront pas à l’élection présidentielle du 22 octobre 1995 avec le président Henri Konan Bédié dont le pouvoir refuse la réforme du code électoral pour permettre le vote des jeunes à 18 ans et l’utilisation du bulletin unique. Le chef de file des socialistes sera une fois encore réélu député dans la circonscription de Ouragahio, le 30 décembre 1996, lors d’élections législatives partielles. Et quand arrive l’élection présidentielle du 22 octobre 2000 contre le général Robert Guéi, il remporte le scrutin avec 59,4 % des suffrages.
Le sens de la parole donnée
Laurent Gbagbo a toujours eu le sens de la parole donnée. Loin de lui l’idée de se venger de ces geôliers d’hier, Laurent Gbagbo, une fois à la magistrature suprême, a appelé à faire équipe avec tous ses adversaires comme il le leur avait promis. Il avait justement l’habitude de dire que c’est en respectant sa propre parole que le citoyen ordinaire peut respecter la parole de l’autorité. Comme le démontre cet exemple pris parmi tant d’autres. «J’invite le RDR à rejoindre le gouvernement de coalition nationale où siègent déjà le FPI, le PDCI, l’UDPCI et le PIT. Chers amis, chers camarades, vous avez votre place, nous vous attendons. Cet appel répond à un engagement que j’ai pris avant les élections. D’abord au nom du Front populaire ivoirien (Fpi), à la Fête de la Liberté 2000, le 6 août 2000 précisément, en indiquant qu’une transition civile allait commencer après les élections. Ensuite devant les Présidents Eyadéma du Togo, alors Président en exercice de l’OUA, et le Président Kérékou du Bénin, Président en exercice du Conseil de l’Entente. Il a été convenu que le vainqueur de l’élection présidentielle appelle toutes les formations politiques dans un gouvernement de coalition nationale. Il s’agit, aujourd’hui, d’honorer cet engagement au nom de la République, au nom de la réconciliation nationale que notre peuple appelle de tous ses vœux».
Laurent Gbagbo sait aussi s’effacer quand l’intérêt de la nation l’exige. Alors que Guillaume Soro a revendiqué l’attaque des institutions de la République de la nuit du 19 septembre 2002, Laurent Gbagbo a fait de lui son Premier ministre pour que la Côte d’Ivoire retrouve la paix et avance. Mieux, il a tout mis en œuvre pour que MM. Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara soient candidats de façon exceptionnelle à l’élection présidentielle d’octobre 2010 en utilisant l’article 48 de la Constitution ivoirienne.
Connaître Laurent Gbagbo renvoie forcément à faire siennes plusieurs valeurs et vertus. La simplicité, l’humanisme et la justice. Et c’est pourquoi le nombre de ceux qui se reconnaissent en lui, augmente chaque jour. Il n’y a rien d’autre qui l’explique. Laurent Gbagbo est un combattant de la liberté qui est aujourd’hui combattu pour avoir engagé le bon combat pour la souveraineté de son pays. Et qui lui vaut aujourd’hui, d’être poursuivi devant la Cour pénale internationale création de ceux qui lui font la guerre.
Robert Krassault