Ce débat pose outre la question sous-jacente du choix idéologique et du périmètre de l’action publique de l’Etat au regard de ses fonctions régaliennes, le problème du principe de la contre-partie comptable d’une telle dépense, si elle était mise à la charge de l’Etat, au regard de l’obligation résultant de la loi organique relative aux lois de finances imposant un équilibre budgétaire à l’Etat. C’est une règle de comptabilité publique et de gestion des finances publiques dans un pays. Dès lors, les charges de l’Etat doivent être impérativement couvertes par des recettes ou des ressources d’un montant égal. Aussi, en fonction de ce principe, toute proposition de charge supplémentaire doit être impérativement assortie d’une proposition de financement. Les idées sont généreuses et imaginatives, mais elles doivent se financer pour permettre leur adoption et leur réalisation effectives. Ne soyons ni utopiques, ni démagogues.
Sur le plan idéologique, en tenant compte d’une approche dynamique plus conforme aux théories Keynésiennes permettant de se définir à soi-même un équilibre économique et financier général d’ensemble, autorisant un déficit budgétaire structurel en vue d’un retour différé à l’équilibre, il convient de définir des objectifs et des programmes qui autorisent de penser qu’ils permettent de la croissance, donc un retour à l’équilibre dans le temps. C’est ce qui autorise l’État à emprunter, donc à continuer à s’endetter pour financer des actions productives. D’un point de vue strictement néo-libéral, il ne s’agit pas au cas d’espèce (charge de la Carte d’Identité) d’une dépense se rangeant dans cette catégorie. Or, la même opposition, non seulement ne fait aucune proposition de ressources budgétaires supplémentaires pour couvrir ce cout, mais dénonce régulièrement l’importance du volume de notre Dette extérieure.
En effet, nos dépenses ne sont pas entièrement couvertes par nos recettes intérieures. Dès lors, toute nouvelle dépense se traduirait mécaniquement par un endettement additionnel, sauf suppression, à hauteur égale, de dépenses initialement programmées dans le Budget. Une telle option implique la mise en œuvre préalable d’un collectif budgétaire, donc de délais pouvant être incompatibles avec le calendrier des inscriptions sur les listes électorales. Une dépense sans ligne budgétaire est un chèque sans provision. C’est délictueux sous certains cieux. Ces aspects techniques et idéologiques prouvent à suffisance que la question ne saurait être tranchée aussi facilement qu’il ne parait, sauf démagogie de la part des politiques et ignorance de la part du grand public. En la matière, contrairement aux débats pré-positionnés politiquement sur les réseaux sociaux et aux apparences qui naissent des représentations médiatiques, il n’y a aucune évidence. Cela ne coule pas de source.
J’avais dit aussi précédemment que sur un plan strictement juridique, le Droit de timbre attaché à la délivrance de la Carte Nationale d’Identité est un impôt assis sur la personne et une contribution citoyenne au paiement du cout partiel ou total d’un acte administratif. Ce rappel permet de déterminer la nature des campagnes du refus de vouloir s’y soumettre entreprises par certains. Il convient de rappeler aussi que dans le même temps, nos députés, nos politiques et nos syndicats ne cessent de réclamer des augmentations de leurs traitements, ce qui ne peut contribuer à dégager de nouvelles ressources (Par exemple, réduction du train de vie de l’Etat et contraction de la masse budgétaire des dépenses de fonctionnement). L’expérience de la gratuité dans le passé a eu un cout social et économique qui est volontairement tu, contrairement à ce qui est dit ici et là (augmentation du cout du carburant et annulation de certains projets sociaux).
La référence à l’antériorité qui a eu lieu en pleine crise militaro-politique et institutionnelle est inopérante. Cette mesure était exceptionnelle et temporaire. Elle répondait à un contexte politique particulier qui n’existe plus désormais. Dès lors, il n’existe plus, aussi, objectivement de raisons d’y recourir à nouveau, sauf nouvelles données de force égale. Les motifs avancés aujourd’hui sont économiques. Ils concernent le pouvoir d’achat de l’Ivoirien. Ce motif est fallacieux, car en réalité le pouvoir d’achat moyen surtout le PIB par tête d’habitant a progressé de façon significative de 2008 à 2019 (1200 USD contre 1800, soit une augmentation de 50%) et le taux de pauvreté a été réduit dans le même temps (46 % contre 52 %). Preuve pour s’en convaincre, il suffit de valoriser le nombre de bouteilles de bières ouvertes chaque jour en Côte d’Ivoire (maquis et domiciles privés réunis) à raison de 500 francs CFA la bouteille, multipliés par 365 jours, multipliés par 10 pour couvrir en nombre d’années la durée de la validité de la carte d’identité. C’est des centaines de milliards de francs dépensés ainsi dans la futilité ou dans un besoin non essentiel, c’est selon. Un peuple écrasé par la pauvreté ne peut se le permettre du point de vue du comportement rationnel.
Il faut enfin rappeler également, que les États les plus riches de la planète, auprès desquels le poids de la richesse produite par la Côte d’Ivoire, en comparaison, est très insignifiant, font payer pour partie à leurs populations les actes délivrés par leur Administration et les formalités accomplies par elle, pour couvrir le cout de certains services et prestations. Cette pratique est celle de la quasi-totalité des pays du monde y compris celle de nos voisins de la sous-région de dimension et de réalités similaires. D’où nous vient donc l’idée d’un pays exempt d’impôts ? De ce point de vue fiscal, le soutien que des Députés de l’opposition apportent à cette contestation, viole la volonté souveraine de la représentation nationale, en ce sens que le Code Général des Impôts qui fixe les modalités et les conditions d’application de cette disposition générale relève de la Loi. Celle-ci a été votée par l’Institution à laquelle ils appartiennent et il y a continuité.
Peut-on décemment ignorer ou nier la primauté de la Loi dans un Etat de droit ? Suivant le parallélisme des formes, ce qu’une loi institue une autre loi peut la défaire. Dans une telle éventualité, nous serions confrontés à un bouleversement philosophique général sur la fiscalité des personnes et à une rupture du principe rigoureux et inflexible de l’égalité des citoyens devant la Loi, relativement aux nombreuses problématiques qui ne manqueraient pas de surgir dans sa mise en œuvre (limites temporelles de la mesure, pertinence d’un régime fiscal excluant une condition de ressources contrairement aux objectifs recherchés, sélectivité des personnes éligibles au bénéfice de cette mesure temporaire, au regard du sort réservé à ceux qui ont acquis de nouvelles cartes d’identité à ce cout et à la désignation de la vague de renouvellement concernée relativement à la continuité permanente et indéterminée du processus du renouvellement des cartes d’identité dans un pays).
CONCLUSION : Il nous faut sortir d’une mentalité d’assistanat et d’une conception politique de l’État-Providence. C’est l’occasion d’inviter l’État à supprimer toutes les dépenses de complaisance qui sortent du champ de ses missions régaliennes (exemple le financement des activités cultuelles des différentes confessions religieuses, etc.) et à redéfinir avec plus de parcimonie celles qui répondent à des enjeux nationaux et sociaux de progrès. Le débat, ici, se situe sur la définition de l’échelle des priorités et sur les choix socio-économiques de notre développement dans tous les domaines, y compris celui de la vie démocratique et élective. Les motivations politiques avancées par l’opposition méritent considération (sécurité, protection de la nationalité et inclusion démocratique), cependant, elles sont insuffisantes, faute de contre-parties financières, car dans tous les cas de figure, il y aura un cout à supporter quel que soit le secteur ou le poste budgétaire, si de nouvelles recettes ne sont pas trouvées pour compenser la charge induite par un tel dispositif. Sinon il faudra dans un premier temps creuser davantage le déficit (déjà à 3% voire 4% dans les limites extrêmes de la norme UMOA), pour dans un second temps augmenter les impôts pour réduire ce même déficit. Autrement dit on aura déplacé le problème, en différant son paiement, sans rien résoudre. Mais elles sont surtout insuffisantes en raison d’une base de raisonnement inexacte au départ. Le pouvoir d’achat moyen de l’Ivoirien a cru selon toutes les statistiques disponibles et les Instituts qui font autorité en la matière. Affirmer le contraire est totalement inexact. La pauvreté n’est pas une novation par rapport au passé. On ne la découvre pas aujourd’hui, sauf mauvaise foi, alors que la tendance de son évolution s’est inversée. Elle n’en constitue pas moins une réalité toujours assez forte. Néanmoins, elle permet tout de même de supporter le cout de la Carte d’Identité par les populations. Pierre Aly SOUMAREY