Guillaume Kigbafori Soro, ex-leader de la rébellion armée de septembre 2002 qui a fait des milliers de morts et de réfugiés en Côte d’Ivoire, ex-Premier ministre et ex-président de l’Assemblée nationale ivoirienne suite à son élection dans la circonscription de Ferkessédougou, dans le Nord de la Côte d’Ivoire, ne file plus le parfait amour avec ses amis d’hier. Invité à ‘’libérer le tabouret’’ s’il refuse de prendre sa carte d’adhésion au RHDP-unifié, il a préféré prendre ses distances pour se porter candidat à l’élection présidentielle d’Octobre 2020. Peut-être a-t-il voulu, par la démission du perchoir, marquer sa désapprobation de se voir trahi par le chef, qui, selon des indiscrétions, lui aurait promis la succession, au temps de la lutte pour son accession au pouvoir d’Etat, avant de manœuvrer au profit d’Amadou Gbon Coulibaly qui, finalement, a été ‘’plébiscité’’ par ses camarades au cours d’une assemblée, il y a peu. Une condamnation, donc, à fort parfum d’un dépit amoureux qui tourne au mélodrame. Et emmène Guillaume Soro à évoquer des trous de mémoire de son ex-patron, qu’il traite, aujourd’hui, de pire dictateur.   

Le hic, c’est que les chefs d’accusation datent de 2007, au moment où Guillaume Soro était Premier ministre du président Laurent Gbagbo, et au plus fort de son idylle avec Monsieur Alassane Ouattara et ses partisans. Qui, bien que le sachant, certainement, l’a nommé ministre de la Défense, fonction qu’il a cumulée avec celle de Premier ministre, en 2010, depuis l’Hôtel du Golf où il était reclus, à Abidjan, et revendiquait sa victoire sur Laurent Gbagbo à l’issue du deuxième tour de la présidentielle de cette année-là. Curieusement, ces délits n’ont été révélés qu’à partir de février 2018, lorsque Guillaume Soro refuse de prendre sa carte de militant du Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix (RHDP, un conglomérat d’hommes et de femmes revanchards qui militent au Parti démocratique de Côte d’Ivoire «PDCI», au Rassemblement des Républicains «RDR», à l’Union pour la démocratie et la paix «l’UDPCI», dans certains partis satellites et les ex-rebelles). Ce nouveau parti politique porté sur les fonts baptismaux quelques semaines plus tôt, est présidé par Alassane Ouattara, Chef de l’Etat, Président de la République “himself”. Il est bon de rappeler que la quasi-totalité des leaders et cadres de ces partis ont été des serviteurs zélés de feu Félix Houphouët-Boigny, premier président de la République, qui, suite au décès de leur chef en 1993, se sont entredéchirés pour la succession. Jusqu’au coup d’Etat militaire de Décembre 1999 conduit par feu le Général Robert Guéi, lui aussi ancien Chef d’Etat-Major de feu Houphouët-Boigny.

Guillaume Soro rattrapé par quelques délits mineurs

Alors qu’il était, donc, invité à le faire avec diligence, ou à ‘’libérer le tabouret’’ de toute urgence, comme le disait Adama Bictogo, l’un des proches serviteurs du président du RHDP, Guillaume Soro a choisi de ‘’libérer le tabouret’’ pour, dit-il, libérer sa conscience. Avec cette condamnation, voici Guillaume Soro rattrapé par des délits mineurs, comparativement à ceux d’exécutions sommaires de milliers d’Ivoiriens innocents, de danseuses d’Adjanou abattues à bout portant, de Gendarmes égorgés dont le sang a servi de breuvage aux soldats du Mpci (Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire de Guillaume Soro), Mpigo (Mouvement patriotique des Ivoiriens du grand Ouest de N. Syntclair ) et Mjp (Mouvement de la jeunesse patriotique de Roger Banchi). Crimes pour lesquels lui et ses compagnons rebelles ont du reste été amnistiés par le président Laurent Gbagbo, la victime.

Si Monsieur Alassane Ouattara respectait les lois…

Citant des articles du code de procédure pénale, les Avocats de l’Etat ivoirien, plaignant et partie civile, évoquent l’impunité. De même que le Procureur de la République qui a requis la sentence, suivi à la lettre par le Juge, comme si cette décision leur avait été dictée par une main invisible. En temps normal, il n’y aurait rien à redire, ce d’autant plus que nul n’est, effectivement, au-dessus de loi. Mais, que cela soit sous Monsieur Alassane Ouattara parait curieux. D’autant plus curieux que le locataire du Palais présidentiel d’Abidjan-Plateau n’est pas un exemple en la matière. On aurait dit que ce qui se passe entre Guillaume Soro et ses anciens amis ne regardent qu’eux, et que c’est un dépit amoureux qui tourne au mélodrame. Seulement voilà : Si Monsieur Alassane Ouattara respectait les lois ivoiriennes, la Côte d’Ivoire n’aurait jamais connu de rébellion, encore moins une guerre civile. C’est, certainement, ce que Guillaume Soro a voulu rappeler à son mandant pendant les heures chaudes de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Au moment où Alassane Ouattara s’était ‘’rebellé’’ contre les lois ivoiriennes depuis 1993. Et le rétroviseur de l’actualité montre bien de cas qu’il est bon de rappeler.

En 2000, refus de Monsieur Alassane Ouattara de respecter l’article 35 de l’ancienne Constitution

Premièrement, en 2000, c’est à cause du refus de Monsieur Alassane Ouattara de respecter l’article 35 de l’ancienne Constitution, qui le rendait inéligible, qu’un groupe de jeunes Ivoiriens s’est retrouvé au Burkina Faso pour préparer la rébellion qui a porté le glaive dans le sein de la mère patrie. Cette année-là, en effet, le juge constitutionnel, Monsieur Tia Koné, avait recalé la candidature d’Alassane Ouattara, parce qu’il s’était prévalu d’autres nationalités, notamment Voltaïque, avec l’obtention de ses diplômes scolaires et universitaires avec cette nationalité ainsi que l’occupation du poste de vice-Gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) dévolu à l’ex-Haute Volta (actuel Burkina Faso), et Américaine, avec son mariage d’avec dame Barbara Jeans Davis, une Américaine d’origine Jamaïcaine. Alors que sa candidature avait été refusé à la présidentielle, Monsieur Alassane Ouattara s’est porté candidat aux législatives, dans la circonscription de Kong. Naturellement, il a été, encore, recalé, étant entendu que le Député Alassane Ouattara pouvait, s’il était élu, devenir président de l’Assemblée nationale, donc dauphin constitutionnel, qui assurerait l’intérim du président de la République en cas de vacances absolue du pouvoir au terme des dispositions de l’article 11 de la Constitution de cette époque-là.

Guillaume Soro : ‘’Il a bien vite oublié que cette justice qu’il manipule aujourd’hui est la même qui l’avait décrété inéligible’’

Guillaume Soro le dit si bien : ‘’Il a bien vite oublié que cette justice qu’il manipule aujourd’hui est la même qui l’avait décrété inéligible à toute élection en Côte d’Ivoire, pour nationalité et moralité douteuses. Même être député lui était impossible. La suite, nous la connaissons tous : Il est président de la République’’, assène-t-il. La rébellion avec son lot de tueries par balles, machettes, étouffements dans des conteneurs exposés au soleil, de casses de banques, de viols de femmes enceintes égorgées après coup, de vol, etc., est passée par là, Une rébellion conduite par… Guillaume Soro Kigbafory, revendiquée et justifiée dans son livre ‘’Pourquoi je suis devenu un rebelle’’. Contraint par la communauté internationale mise en branle par son patron et lui-même en tant que porte-parole de la rébellion, le président Laurent Gbagbo a usé de l’article 48 de l’ancienne Constitution pour rendre Monsieur Alassane Ouattara éligible. Reconnaît-il, aujourd’hui, après sa condamnation, qu’il n’aurait pas dû prendre les armes contre une décision de justice ? Et que, comme lui, et son mentor d’hier, nul n’est au-dessus de la loi ?

Qu’un Médecin légiste vienne lui remettre le certificat de décès avant de remettre le pouvoir à l’intérimaire

Deuxièmement, et ce avant le premier cas ci-dessus, Monsieur Alassane Ouattara avait déjà failli embraser la Côte d’Ivoire, avec son refus d’accepter l’application stricte de la loi. En décembre 1993, au décès de Félix Houphouët-Boigny, alors que l’article 11 de la Constitution de cette époque faisait du président de l’Assemblée nationale l’intérimaire du défunt président de la République, et qu’en tant qu’unique Premier ministre d’Houphouët-Boigny, il a été la première personnalité à s’être inclinée sur la dépouille du défunt à Yamoussoukro, Alassane Ouattara demandait qu’un Médecin légiste vienne lui remettre le certificat de décès avant de remettre le pouvoir à l’intérimaire. Une manœuvre dilatoire de confiscation de ce pouvoir qui n’a pas prospérer, très rapidement tuée dans l’œuf par les respectueux de la Constitution, y compris Laurent Gbagbo alors leader de l’opposition ivoirienne. Et Henri Konan Bédié accéda au pouvoir, jusqu’en décembre 1999 d’où il fut évincé par un coup d’Etat évoqué plus haut, attribué, à tort ou à raison, à Monsieur Alassane Ouattara. Déjà ici, il avait foulé au pied la loi constitutionnelle.

De mémoire d’Ivoirien (…) non seulement la déclaration des biens n’a été faite, mais Monsieur Ouattara est le président du RHDP

Troisièmement, la Constitution ivoirienne de 2000 exige du président de la République élu de déclarer ses biens personnels avant sa prise de fonction, et de démissionner de la présidence du parti politique qui l’a présenté afin qu’il se mette à équidistance des opinions partisanes, et ne se mette qu’au service exclusif du peuple dans son ensemble. De mémoire d’Ivoirien –à moins que cela ait été fait dans un numéro du journal officiel de Côte d’Ivoire dont personne n’a pu, à ce jour, se procurer un exemplaire-, non seulement la déclaration des biens n’a pas encore été faite, mais, et c’est ce qui fonde le scepticisme, Monsieur Alassane Ouattara, après avoir été le président du RDR qui l’a présenté à la présidentielle de 2010, est aujourd’hui le président du RHDP. Toutes les voix qui dénoncent cette forfaiture ne sont que jérémiades. ‘’Des torrents de larmes qui viennent glisser sur le parapluie de son indifférence’’, pour paraphraser feu le ministre de l’Enseignement Supérieur, Allassane Salif N’Diaye, ex-Maire de la Commune de Gagnoa.

Dans ces conditions, peut-on raisonnablement parler de respect de la loi ?

Quatrièmement, plus près de nous, dans cette période de lutte contre la propagation de la maladie à coronavirus, Monsieur Alassane Ouattara, lui-même, a entériné la décision du Conseil national de sécurité qui interdit le rassemblement de plus de 50 personnes. Décrétée le 16 mars, Monsieur Alassane Ouattara a foulé cette décision au pied le lendemain, en réunissant députés et sénateurs, près de 300 personnes, à la Maison des députés de Yamoussoukro où étaient aussi ministres, journalistes (nationaux et étrangers) et invités.

Dans ces conditions, peut-on raisonnablement parler de respect de la loi, de surcroit dire que ‘’nul au-dessus de la loi’’ ? A moins que, aveuglé par la peur de perdre le pouvoir qui s’éloigne qui s’éloigne d’eux jour après jour, fait après fait,, on veuille abattre des adversaires politiques. Et qu’en Côte d’Ivoire, seul Monsieur Alassane Ouattara serait au-dessus de la loi.

Mabri Toikeusse, Amon Tanoh et Aka Aouélé dans le viseur

Des mauvaises langues disent qu’il ne fait pas bon de quitter le RHDP, au risque de perdre sa liberté, si ce n’est connaître l’exil. Déjà, avec des velléités de candidature à la présidentielle 2020 qui sont prêtées à l’actuel ministre de l’Enseignement Supérieur, président de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), parti membre-fondateur du RHDP dont il est vice-président, des rumeurs de détournement de 120 milliards courent sur Docteur Abdallah Albert Mabri Toikeusse, président du Conseil Régional du Tonkpi. ‘’On attend qu’il franchisse le pas, et on déclenche la procédure’’, prévient un de ses détracteurs au sein de son parti. Il en est de même du ministre de la Santé et de l’Hygiène Publique, Docteur Eugène Aka Aouélé, président du Conseil régional du Sud-Comoé élu au titre du PDCI-RDA. Il serait encore au Gouvernement RHDP par crainte de voir ses nombreuses activités dans le domaine médical (pharmacie et laboratoires pharmaceutiques) inspectées par les services des Impôts. Quant au ministre Amon Tano qui a franchi le rubicond en démissionnant du ministère des Affaires Etrangères, ce n’est plus qu’une question de semaines, voire de jours, murmurent certains. Ces personnalités seraient dans le viseur du pouvoir d’Abidjan. Peut-être que la condamnation à 20 ans de prison ferme, 5 ans de privation de ses droits civiques, la confiscation de sa luxueuses résidence, le remboursement de plus de 4 milliards de francs Cfa de Guillaume Soro, hier chouchou d’Alassane Ouattara, aujourd’hui pestiféré, les feront réfléchir par deux fois avant de décider. A moins qu’une autre situation se produise au pays.

Laurent Nahounou
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