CDVR-jeudi21

L’intervention de Charles Konan Banny, Président de la CDVR

Monsieur le Président de la République,

Voici venu le moment solennel de la remise du rapport de deux ans d’activités de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation. Conformément aux prescriptions de l’ordonnance N° 2011-167 du 13 juillet 2011, portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la CDVR, nous venons vous rendre compte de l’exécution du mandat que vous avez bien voulu nous confier. Mais avant d’en arriver au contenu du rapport, permettez-moi de rappeler le contexte de la création de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation.

Monsieur le Président,

Dès la période de la campagne électorale en vue des élections présidentielles de 2010, vous avez pris la mesure de la déchirure du tissu social ivoirien. Et, alors que rien ne vous y contraignait de façon pressante, vous vous êtes engagé à inscrire la réconciliation nationale en tête de vos priorités de futur président de la République.
Malheureusement, les élections présidentielles se sont soldées par une crise extrêmement grave, venant confirmer l’urgence et la nécessité de la mise en œuvre d’un processus de réconciliation nationale.
Peu après votre entrée en fonction, vous avez traduit en acte vos promesses de la campagne électorale en matière de cohésion sociale. En effet, le 1er mai 2011, sous les yeux de trois illustres témoins, vous avez fait connaître votre choix d’une Commission Vérité et Réconciliation pour aider à guérir le mal ivoirien. Nous vous avons demandé, pour notre part, de placer le travail de la commission sous le sceau du dialogue pour tenir compte de la spécificité culturelle ivoirienne. Ainsi est née la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation.

Monsieur le président de la République,

La profondeur de la crise ivoirienne appelait des réponses objectives et vigoureuses. La création de la CDVR fut la réponse la plus appropriée à la situation parce que la réconciliation ne se décrète pas. C’est une œuvre de longue haleine qui requiert un environnement pacifié, la recherche de la vérité, l’administration d’une justice équitable et le refus de l’impunité.
Vous avez inscrit toutes ces exigences dans l’ordonnance qui fixe les attributions de la CDVR. Je voudrais en rappeler la teneur afin que la mission qui nous a été confiée soit bien entendue.

« Article 5 : La CDVR a pour mission d’œuvrer, en toute indépendance, à la réconciliation et au renforcement de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire.

À ce titre, elle est chargée :

– d’élaborer une typologie appropriée des violations des droits de l’homme susceptibles de faire l’objet de ses délibérations ;
– de rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les événements sociopolitiques nationaux passés et récents ;
– d’entendre les victimes, obtenir la reconnaissance des faits par les auteurs des violations incriminées et le pardon consécutif ;
– de proposer les moyens de toute nature susceptibles de contribuer à guérir les traumatismes subis par les victimes ;
– d’identifier et faire des propositions pour leur réalisation des actions de nature à renforcer la cohésion sociale, l’unité nationale ;
– d’identifier et faire des propositions visant à lutter contre l’injustice, les inégalités de toute nature, le tribalisme, le népotisme, l’exclusion ainsi que la haine sous toutes leurs formes ;
– d’éduquer à la paix, au dialogue et à la coexistence pacifique ;
– de contribuer à l’émergence d’une conscience nationale et à l’adhésion de tous au primat de l’intérêt général ;
– de promouvoir le respect des différences et les valeurs démocratiques. »
Monsieur le Président de la République,

La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation est à la fois une suite de mécanismes de la justice transitionnelle et un moteur du dialogue entre les populations de la Côte d’Ivoire. Son rôle est de créer les conditions d’une éradication de la violence et des violations des droits humains en vue d’aboutir à la réconciliation des Ivoiriens.
Le rapport que nous allons vous présenter rend compte du chemin parcouru par le processus de réconciliation depuis la création de la CDVR et des opérations restant à réaliser.
La démarche de la CDVR s’articule en plusieurs points : la phase préparatoire, la recherche des causes profondes de la crise, les prises de dépositions et les enquêtes, les audiences, le Mémorial, les recommandations et les réparations.

Sur la base de cette démarche, la CDVR a conçu un rapport en plusieurs volumes : le premier volume parle des activités de la CDVR et des résultats obtenus, un autre volume est consacré à la recherche des causes profondes de la crise, un autre traite de la recherche de la vérité, c’est-à-dire des prises de déposition, des enquêtes et des audiences publiques, un autre encore est relatif aux réparations, le dernier volume, quant à lui présente le Mémorial de la crise et les recommandations.
La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation possède des caractéristiques propres qui la distinguent de ses homologues.

Les activités de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation se sont poursuivies dans un environnement non encore débarrassé des conflits et des tensions politiques. En effet, les affrontements continuaient encore au moment où la CDVR entamait ses travaux. Sa création et les contacts avec tous les regroupements politiques et sociaux ont tout de même permis de décrisper l’atmosphère.

À la différence des autres Commissions Vérité et Réconciliation de par le monde, la CDVR a été créée avant la consultation des citoyens. C’est donc à la Commission qu’est revenue la responsabilité de l’organisation des consultations nationales. Ailleurs, les consultations nationales ont servi de base aux textes portant création de ces Commissions et permis d’obtenir des indications sur la qualité des personnalités appelées à les diriger. Ces consultations nationales préliminaires ont fourni également les repères pour fixer la profondeur historique de la recherche de la vérité.

Les consultations nationales ont permis à la CDVR non seulement de savoir que les Ivoiriens attendent qu’elle mène des investigations sur les violations intervenues entre 1990 et 2011, mais également sur leur perception de la société ivoirienne ainsi que sur les réformes qu’ils espèrent voir mises en œuvre.
Le modèle ivoirien n’offre pas non plus de contrepartie incitative pour amener les “perpétrateurs“ à faire des aveux. Ailleurs, comme en Afrique du Sud, les auteurs de violations qui consentaient à se présenter devant la Commission pour avouer leurs méfaits bénéficiaient en échange d’une amnistie.

Enfin, seule à ce jour parmi les Commissions Vérité et Réconciliation, la CDVR a installé des commissions locales. Au nombre de 37, ce sont de véritables structures déconcentrées qui font, à l’échelon régional, le même travail que la Commission à l’échelon national.

Au cours de la phase préparatoire, qui a été particulièrement longue parce qu’il a fallu organiser des consultations nationales et créer les conditions psychologiques de la réalisation du processus, tous les instruments utiles à l’exécution du mandat de la CDVR ont été mis en place.
Dès son installation le 28 septembre 2011, la Commission s’est attachée à prendre les textes et à créer les organes nécessaires à son fonctionnement. C’est ainsi qu’a été élaboré un règlement intérieur, adopté en décembre 2011, qui détermine son organisation interne. Le président de la CDVR dirige et coordonne les activités de la Commission. Il est assisté dans sa tâche par un Comité exécutif qui comprend, outre le président, les trois vice-présidents. L’organe de décision de la CDVR est l’Assemblée plénière des commissaires. Pour l’exécution pratique de la mission, quatre commissions spécialisées ont été créées : la commission Heuristique, la commission Auditions et Enquêtes, la commission Réparations et la commission Mémorial. Le conseil consultatif, constitué de personnalités éminentes du monde politique, religieux, militaire ou de la société civile, prévu par les textes et chargé d’émettre des avis sur les questions relatives à l’exécution des attributions de la CDVR, n’a pu être formellement installé.

Par ailleurs, en vue d’atteindre son objectif d’un processus participatif, consultatif et inclusif, la CDVR a créé dans toutes les régions du pays, des structures déconcentrées appelées Commissions locales. Au nombre de 19 au départ, elles sont passées à 37 en cours de mandat pour être en conformité avec le nouveau découpage administratif.

Nous avons conçu un plan d’action stratégique, élaboré des manuels de procédure de gestion administrative, financière et comptable et un manuel d’acquisition des biens, pour une gestion efficiente.

À la nomination du président de la Commission et avant même l’installation de celle-ci, d’intenses consultations ont été menées par le président de la CDVR qui a rencontré à partir du mois de juin 2011, toutes les structures représentatives de la société ivoirienne : partis politiques, syndicats, associations de femmes et de jeunes, guides religieux, chefs traditionnels, élus nationaux et locaux, leaders d’opinion, responsables de l’administration territoriale et communautés étrangères. Ces consultations ont permis d’intéresser tous les habitants de la Côte d’Ivoire au processus de réconciliation. A l’occasion de ces rencontres qui se poursuivent encore aujourd’hui, tous les interlocuteurs se sont engagés à participer au processus de réconciliation nationale et à appeler les personnes et communautés placées sous leur autorité à en faire de même.
Nous avons mené également des activités symboliques et consultatives pour renforcer l’adhésion des populations au processus.
Dans toutes les régions, des rituels de deuil et de purification de la terre ont été organisés. Ces cérémonies que la commission a voulu œcuméniques, ont permis de gagner la confiance des populations et d’obtenir leur adhésion au processus.

La CDVR a conduit des consultations nationales qui ont fourni des informations capitales sur l’amplitude historique des événements à interroger, sur le type de violation à considérer et sur les réparations attendues par les populations. Ces données ont été exploitées par la Commission Auditions et Enquêtes pour la fixation de ses objectifs et l’élaboration de sa démarche. Les résultats de ces consultations seront vulgarisé après la remise officielle du présent rapport au Président de la République.
La recherche de la vérité porte donc sur toutes les violations graves des droits de l’homme commises entre 1990, date du retour au multipartisme, et 2011, période de la crise post-électorale, parce que tel est le choix de la grande majorité des populations consultées.
La phase opérationnelle des activités de la CDVR a débuté avec les travaux de la commission heuristique. La commission heuristique est une commission spécialisée chargée de rechercher les causes profondes de la crise. La CDVR est persuadée qu’en connaissant les causes profondes des événements, la société se donne les armes pour en combattre les effets, que, pour mieux se réconcilier, il faut d’abord comprendre.

Les travaux de la Commission heuristique se sont conclues par un important colloque dont les conclusions ont permis de mieux appréhender les ressorts de la crise ivoirienne. Ses résultats ont été traduits en recommandations consignées dans le volume consacré aux causes profondes de la crise ivoirienne.
La Commission heuristique ayant posé les bases de la compréhension de la crise, la commission chargée des prises de déposition et des enquêtes a pris le relais.
Le travail de la commission Auditions et Enquêtes a commencé par la compilation des données disponibles sur les violations des droits de l’homme en Côte d’Ivoire. En effet, aussi bien le gouvernement ivoirien que les organisations de défense des droits humains ont diligenté des enquêtes sur les violations survenues en Côte d’Ivoire et, souvent, ont établi des typologies fiables que la Commission s’est appropriée. Ainsi, près de quarante mille (40 000) fiches de déclaration ont été répertoriées. Elles subissent une révision en vue de les mettre en conformité avec le protocole interne de la Commission avant audition et enquêtes de confirmation éventuelles.
Nonobstant cette base de données déjà disponible, la CDVR prévoit de faire officiellement appel aux victimes de la période 1990-2011 pour audition et enquêtes.
Sur la base des enquêtes déjà menées par les tiers, la Commission Enquêtes et Auditions a réalisé ce qu’il est convenu d’appeler un “mapping“, c’est-à-dire une géo-typologie des violations des droits humains constatées en Côte d’Ivoire. Cette géo-typologie a permis de gagner du temps et d’identifier les zones les plus marquées par les violations en vue de mieux répartir l’effort de recherche de la vérité.

Les auditions des victimes et des témoins de violations qui sont prévues permettront de recueillir des témoignages qui révèleront ce qui s’est passé et d’identifier ceux qui ont subi des dommages et des préjudices durant la crise. Ces auditions fourniront la base d’une typologie des violations et des dommages subis, ainsi que des données sur les victimes, le nombre de violations commises et leur nature légale et juridique. Cela conduira à des recommandations en vue des réparations ultérieures.
Les cas emblématiques retenus par la commission alimenteront les audiences publiques qu’attend la population. Les audiences publiques représentent pour la CDVR l’aspect cathartique du processus. Au cours de ces séances, les “perpétrateurs“ et leurs victimes se retrouvent dans le même espace et répondent aux questions du juge-arbitre qu’est la Commission. La théâtralisation de cette étape participe à la réparation psychologique des violations. En effet, en se racontant et en écoutant la parole des auteurs, la victime est apaisée. Elle met ainsi un visage sur la violation qui l’a brisée et évacue son angoisse et ses frustrations. Les audiences publiques préparent à la restauration de la coexistence entre victime et bourreau, car c’est là que s’amorce le dialogue entre eux.

À l’issue du dialogue des audiences, la Commission peut obtenir des protagonistes qu’ils fassent la paix si le “perpétrateur“ a reconnu sa faute et exprimé des regrets. Le pardon est la conséquence logique de cette entente. Cela dit, la personne qui a subi des préjudices ne peut consentir à pardonner que si les torts font l’objet de réparations appropriées.

La réparation des préjudices subis par les victimes et la réhabilitation de celles-ci commande les actions suivantes :

– Œuvrer à obtenir que les victimes pardonnent à leurs bourreaux. Les procès-verbaux des délibérations de la Commission sur le sujet seront disponibles au plus tard deux mois après la fin de chaque audition.
– Mettre en place des programmes de cicatrisation (programmes psychosociaux, assistance psychologique, formation des communautés locales aux compétences d’aide psychosociale, mise en place de groupes d’entraide, mise en œuvre de formes symboliques de cicatrisation). Le commencement d’exécution de tous ces programmes devra se faire sans tarder.
– Assurer la réparation des préjudices et la réhabilitation des victimes. Les mesures de réparation et de réhabilitation approuvées par la Commission seront transmises sous forme de recommandation au président de la République.
La réparation des conséquences des violations massives des droits de l’homme est un investissement important pour un pays. Elle peut aider à l’intégration ou la réintégration de tous ses citoyens, aider à démonter de fortes divisions qui menaceraient de créer de futures violences. En outre, elle peut aider à traiter certaines formes historiques de la marginalisation, qui en gardant certaines catégories de personnes en marge de la société et de l’économie, leur enlèverait toute possibilité de développement.
La question du financement est donc avant tout une question de volonté politique. Elle pose également la question de l’importance de la réponse au droit des victimes, ainsi qu’un message sur l’équité et l’égalité des chances entre tous les citoyens dans la stratégie de sécurité du pays.
La réparation est une question qu’il faut aborder sur le long terme, qui exige un appui politique excédant la vie d’un seul gouvernement, ainsi que l’adoption de normes juridiques pour en assurer la continuité.

La conception d’un programme de réparations nécessite un large dialogue. Cependant, ce dialogue, pour être en mesure d’atteindre ses objectifs a besoin d’être encadré par quelques idées. Les idées et les expériences présentées ont pour but d’aider à guider le dialogue et les évaluations des besoins des victimes d’une façon qui permettrait d’arriver à des propositions réalistes. Cela pourrait permettre aux recommandations de répondre aux besoins des victimes et de pouvoir être mises en œuvre effectivement.
Si l’on ne peut nier la volonté politique publiquement exprimée par le Président de la République et l’amélioration globale de la situation des droits humains, il convient de relever que la mission de la CDVR a subi des entraves qui en ont retardé la poursuite :

– L’absence d’accord préalable entre les parties avant la création de la CDVR.

À la différence de ce qui s’est produit dans les autres pays qui ont créé des Commissions Vérité et Réconciliation, la CDVR est née en pleine tourmente, alors que les affrontements se poursuivaient et que les parties belligérantes n’avaient pas conclu un accord. Cette situation a rendu plus difficile le travail de la CDVR qui doit mener à la fois des activités de justice transitionnelle et des missions de médiation.
– Les tensions liées aux attaques et aux arrestations
Alors que la CDVR s’efforce de persuader tous les Ivoiriens de la nécessité d’aller à la paix et d’accepter de s’inscrire dans le processus de réconciliation, on relève des attaques armées en certains points du territoire, entraînant des arrestations.
– L’impression que la justice est sélective
Alors que la Commission a fait publiquement sienne la règle du « Ni vengeance ni impunité », recommandée par les Nations Unies, et que le président de la République a déclaré qu’il était profondément attaché à une justice équitable, certains citoyens ont l’impression que la justice ivoirienne est sélective.
– La réticence de certains acteurs
Le credo de la CDVR est que le processus soit inclusif, participatif, ouvert et consultatif. Cependant, malgré les appels de la CDVR, certains acteurs parmi les politiques et la presse hésitent encore à s’inscrire dans le processus.

LES RÉSULTATS OBTENUS PAR LA CDVR

Les résultats de la Commission spécialisée heuristique

Les causes profondes de la crise ont été identifiées après près d’un an de travaux de la Commission heuristique. Un certain nombre de facteurs de risque ont été mis au jour ou confirmés. Des recommandations ont été faites. Elles sont consignées dans le volume du rapport consacré aux recommandations.
Les résultats de la Commission Auditions et Enquêtes
La Commission spécialisée chargée des auditions et des enquêtes a identifié les violations des droits de l’homme survenues au cours des différentes crises en Côte d’Ivoire depuis 1990.
Elle a procédé à la collecte des rapports d’organismes nationaux et internationaux portant sur les violations et atteintes aux droits humains perpétrés au cours des différentes crises.
Quarante mille (40.000) déclarations de victimes ont été déjà répertoriées. Ces déclarations ont permis de constituer une importante base de données de départ pour les auditions et les enquêtes.
Une géo-typologie et une cartographie précise des violations de droits humains survenues en Côte d’Ivoire depuis 1990 ont été confectionnées.
La cartographie servira de repère à l’identification des zones et des régions les plus marquées par les violations des droits humains. Elle facilitera le travail d’audition et d’enquête sur le terrain et permettra de dresser la typologie desdites violations par zones et par régions.
Un personnel qualifié possédant une expérience avérée en matière de procédures d’auditions et d’enquêtes a été recruté pour les opérations sur le terrain. Il a reçu à cette fin une formation qualifiante qui le rend apte à conduire les opérations de recherche de la vérité.
L’installation des Commissions locales et des plateformes d’ONG
Pour tenir compte de ses spécificités culturelles et sociales, la Côte d’Ivoire a pris le parti de placer la CDVR sous le sceau du Dialogue et de l’immersion dans la société.
C’est ainsi qu’elle a décidé de faire reposer son travail opérationnel sur des Commissions locales, structures déconcentrées installées dans toutes les régions du pays.
Certes, toutes les régions du pays n’ont pas été affectées au même titre par la crise ivoirienne, mais toutes en ont subi le contrecoup et doivent, dès lors, être intégrées au processus.
Par ailleurs, le souci est de permettre au plus grand nombre d’Ivoiriens de prendre part au processus de réconciliation en cours. Ce processus se voulant ouvert, inclusif, participatif et consultatif, les commissions locales offrent à tous et à chacun l’occasion d’apporter leur contribution à la restauration de la cohésion sociale rompue.
Pour respecter le choix d’une immersion totale dans la société, la CDVR a associé tous ceux qui sont en position de lui fournir un avis éclairé – préfets, maires, élus locaux, guides religieux, etc. – à la désignation des membres des Commissions locales. Les Commissions locales reflètent donc au mieux la société ivoirienne réelle. Elles sont composées de quatre cents (400) personnes environ dont 115 femmes, 77 chefs religieux, 72 chefs traditionnels, 62 jeunes, 34 ressortissants de la CEDEAO, etc.
Missions des commissions locales

Dix missions principales sont assignées aux Commissions locales. Elles doivent :

1- contribuer à la sensibilisation des citoyens et des communautés locales sur les différentes phases du processus ;
2- proposer des procédures culturelles spécifiques pour faciliter le dialogue local en relation avec les organisations spécialisées partenaires ;
3- organiser et conduire le dialogue communautaire et intercommunautaire ;
4- assurer la prise des dépositions des victimes en relation avec les centres d’écoute ;
5- constituer, en relation avec le Coordonnateur régional, des bases de données locales et régionales sur les préjudices et les victimes, à partir des dépositions ;
6- établir et proposer une typologie locale et régionale des crimes et violations des Droits de l’Homme ;
7- procéder à une recension régulièrement actualisée et à une pré-estimation des préjudices subis par les victimes ;
8- présélectionner les cas des violations les plus graves ou les plus symboliques en vue de les proposer pour inscription au rôle des audiences publiques ;
9- être l’interface des ONG travaillant à l’échelon local, au cours des différentes phases du processus ;
10- constituer une base de données locale et régionale devant figurer éventuellement au Mémorial.

La CDVR s’appuie sur plusieurs réseaux d’organisation de la société civile pour atteindre les couches les plus variées de la population. C’est ainsi que les commissions locales et les plateformes d’ONG permettent à la CDVR de pénétrer les zones les plus reculées et d’intégrer au processus le plus grand nombre. En effet, à l’initiative de la Commission, les ONG se sont organisées en plateforme sur toute l’étendue du territoire national afin de servir de relais opérationnel aux commissions locales. Il en est de même à l’étranger où des plateformes d’organisations ivoiriennes ont été créées.
Une part active a été confiée aux femmes dans le cadre de la réconciliation. A toutes les associations de femmes qu’il a rencontrées, le Président de la CDVR a délivré le même message qui a reçu un écho favorable. Conformément aux mêmes principes, le Comité exécutif de la Commission a reçu diverses associations de jeunes. En outre, toutes les commissions locales ont en leur sein des représentants des femmes et de la jeunesse.

Monsieur le président de la République, en dépit des efforts soutenus de la commission et des progrès considérables accomplis par son action, il reste encore des activités à mener.
Si les ressources sont disponibles à temps, les équipes d’enquêteurs formés depuis plusieurs mois seront déployés sur le terrain, puis suivra la sélection des cas emblématiques à inscrire au rôle des audiences publiques.

La démarche de la CDVR a pour but de faire disparaître les sources de la rupture de la cohésion sociale. Après les avoir identifiées et écouté les victimes, la CDVR fera des recommandations en matière de réparation et pour la restauration de la cohésion sociale.

Certaines recommandations étant actuellement disponibles, nous souhaitons les soumettre au Chef de l’État. Elles sont issues des consultations menées auprès des populations ivoiriennes sous diverses formes : directe et indirecte.

Sont appelées consultations directes : les rencontres de la Commission avec toutes les couches socio-économiques de la population, les jeunes, les femmes, les leaders politiques, les organisations de la société civile, les victimes, les perpétrateurs etc.

Sont dits indirects : les colloques, les ateliers, les états généraux et les communications des organisations et des associations diverses.
Ces recommandations, après avoir fait l’objet d’examen et de sélection par la CDVR, ont été ordonnées autour des prescriptions de l’ordonnance N° 2011-167 du 13 juillet 2011, portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation.
Si certaines de ces recommandations emportent l’agrément du Chef de l’État, il serait hautement souhaitable qu’elles connaissent une mise en œuvre par voie législative, réglementaire ou toute autre voie que les autorités estimeront appropriée.

AU TITRE DU RENFORCEMENT DE LA COHESION SOCIALE ET DE L`UNITE NATIONALE (art 5. al 5 ordonnance 2011-167 du 13 juillet 2011)

Rendre effective l’application de la loi foncière de 1998 en édictant les textes réglementaires nécessaires ;
Gérer la pression foncière liée au phénomène migratoire ;
Renforcer l’autorité des chefs traditionnels dans la gestion du foncier rural ;
Promouvoir les échanges socioculturels inter et intra ethniques en vue d’une meilleure intégration sociale.
Reprendre le recensement général de la population en vue d’une meilleure planification ;
Reconstituer et fiabiliser les registres d’état civil.

AU TITRE DE LA LUTTE CONTRE L’INJUSTICE LES INEGALITES, LE TRIBALISME, LE NEPOTISME, L`EXCLUSION ET LA HAINE SOUS TOUTES LEURS FORMES (art 5. al 6 ordonnance 2011-167 du 13 juillet 2011)

Prendre en compte le genre dans l’élaboration des politiques de développement.
Développer et financer davantage la politique d’alphabétisation et le renforcement des capacités des femmes en vue de favoriser leur indépendance financière et leur leadership ;
Mettre en œuvre une politique qui favorise la parité dans l’attribution des postes nominatifs et électifs au sein des institutions de l’État.
Élaborer et mettre en œuvre une politique nationale de protection sociale ;
Réduire les inégalités au niveau du développement régional et de la répartition des revenus au profit des différentes couches de la population;
Promouvoir l’auto-emploi.

AU TITRE DE L’EDUCATION A LA PAIX AU DIALOGUE ET A LA COEXISTENCE PACIFIQUE (art 5. al 6 ordonnance 2011-167 du 13 juillet 2011)

Bâtir une armée attachée aux valeurs d’intégrité et de respect de la morale républicaine ;
Doter les Forces Armées et de Sécurité de moyens appropriés et modernes en vue de rendre les interventions ou opérations rapides et efficaces dans leur mission de protection et de sécurité ;
Favoriser la relation entre les Forces Armées et de Sécurité et les populations par l’organisation de journées portes ouvertes et par le développement de services sociaux au profit des populations vivant dans des zones à risque et rurales ;
Accélérer le désarmement et la réinsertion des ex-combattants pour une meilleure maîtrise de la surveillance du territoire national ;
Former les Forces Armées et de Sécurité au Droit Humain ;
Renforcer l’éducation à la culture de la Paix.
Intensifier la sensibilisation des journalistes sur le respect de la déontologie dans l’exercice de leur métier ;
Engager les médias dans l’éducation civique et morale.

AU TITRE DE LA CONRIBUTION A L’EMERGENCE D’UNE CONSCIENCE NATIONALE ET A L’ADHESION DE TOUS AU PRIMAT DE L’INTERET GENERAL (art 5. al 7 ordonnance 2011-167 du 13 juillet 2011)

Mettre en œuvre avec diligence le plan national de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption ;
Créer un observatoire de suivi du fonctionnement des services publics ;
Établir des mécanismes d’approbation par l’Assemblée nationale des propositions de nomination aux hautes fonctions de l’État ;

AU TITRE DE LA PROMOTION DU RESPECT DES DIFFERENCES ET DES VALEURS DEMOCRATIQUES. (art 5.al 8 ordonnance 2011-167 du 13 juillet 2011)

Garantir la séparation des pouvoirs ;
Éduquer à la culture démocratique ;
Concrétiser la libéralisation de l’espace audiovisuel.

CONCLUSION

I. Tâches réalisées au 28 septembre 2013

• La Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, a exécuté les tâches suivantes :
– création d’un climat propice à la réconciliation par la rencontre avec toutes les composantes de la société ivoirienne suivi des recommandations faites au Chef de l’Etat en octobre 2012 ;
– Les consultations nationales sont pour ainsi dire achevées ;
– Deuil des violences et purification des terres ;
– Renforcement des capacités des commissaires et des agents.
• Les commissions locales ont été toutes installées et font un travail remarquable de proximité.
• La Commission a achevé la première phase des activités opérationnelles : les causes profondes de la crise ont été identifiées à l’issue d’un grand colloque national tenu au mois de juillet 2013.
• Tout le dispositif pour la prise des dépositions et les enquêtes est prêt depuis le mois de juillet 2013.
• Quarante mille déclarations de victimes ont été traitées.
Je voudrais à ce stade de mon propos rendre un hommage mérité aux partenaires techniques et financiers de la Côte d’Ivoire pour leur concours inestimable. Leur présence constante à nos côtés a largement contribué à la bonne conduite des activités de la CDVR.

II. Tâches restant à accomplir

Les tâches suivantes restent à accomplir :
– Rendre publics les résultats des consultations nationales ;
– Engager les auditions des victimes, auteurs et témoins présumés des violations des droits humains et les enquêtes consécutives ;
– Tenir les audiences publiques ;
– Procéder à l’estimation des réparations dues à celles et ceux qui ont subi des préjudices attestés, conformément à la politique de réparation arrêtée par la Commission,
– Lancer les activités du Mémorial dont l’essentiel est conçu,
– Rédiger le rapport final.
Conformément à l’ordonnance N° 2011-167 du 13 juillet 2011, portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la CDVR, tel est, Monsieur le Président de la République, l’état d’avancement de la mission que vous avez confié à la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation.
Merci de votre attention, Monsieur le Président de la République.

Fait à Abidjan le 21 novembre 2013.
Pour la CDVR