Le poste de Vice-Président est devenu successivement en Côte d’Ivoire, un problème constitutionnel, institutionnel et politique majeur, en ce qu’il est désormais la source d’une crise profonde qui secoue toute la République.

1- Au plan constitutionnel et institutionnel

Par Pierre Aly SOUMAREY

La réforme constitutionnelle introduite fin Mars 2020 a modifié l’Article 55 qui prévoyait initialement que le Président de la République choisit un Vice-Président de la République, qui est élu en même temps que lui, conformément à l’article 56 “Le Président de la République et le Vice-Président de la République sont élus au scrutin de liste majoritaire à deux tours. L’élection du Président de la République et du Vice-Président de la République est acquise à la majorité absolue des suffrages exprimés…”. Désormais, celui-ci n’est plus élu, il est choisi par le Président de la République en accord avec les 2 chambres du Parlement. Ainsi, notre système présidentiel a retiré au Vice-président tout pouvoir politique du fait qu’il n’a plus la légitimité populaire, mais est comptable devant le Président de la République, comme le Premier Ministre qu’il choisit et nomme, et très accessoirement devant le parlement. Cette rupture dans le principe de non responsabilité de l’exécutif devant le législatif qui caractérise le régime présidentiel, vient compliquer un peu plus le modèle Ivoirien.

Nous apprendrons plus tard, que le Vice-Président Daniel KABLAN DUNCAN avait déjà matérialisé par une lettre sa démission avant ladite réforme. Cette expérience a nécessairement influencé celle-ci, à défaut de l’inspirer pour partie, dans l’incapacité de le remplacer. Depuis lors, le poste est vacant, exposant le pays à une grave crise institutionnelle, si le Président de la République était empêché ou venait à décéder, que Dieu nous en préserve et lui accorde santé et longue vie, mais nul n’est à l’abri d’un accident ou de la mort. Par ailleurs, une incongruité demeure avec la subsistance de l’article 58 qui n’a fait l’objet d’aucune modification en vue de s’inscrire dans la logique d’un vice-président choisi plutôt que élu, si bien que sa présence est prévue lors de La prestation de serment du Président de la République élu. En effet, l’Article 58 stipule que “… Le Vice-président de la République assiste à la cérémonie de prestation de serment…” Cette disposition qui n’a plus lieu d’être, a été oubliée lors de la réforme. Ce problème peut être résolu par les dispositions transitoires au visa de l’Article 181. Néanmoins, il ne s’agit plus d’une Institution nouvelle, puisqu’elle a déjà été mise place précédemment, sauf dans sa nouvelle forme. Ici encore, il faudra une interprétation. D’ailleurs, même pour l’avenir, la Constitution ne hiérarchise pas et ne donne pas un chronogramme de la prestation de serment des Chefs de l’Exécutif. Or, il eu été plus logique que le nouveau Président élu soit d’abord investi de sa charge, avant qu’il ne désigne son Vice-président, et que les législatives aient lieu avant pour permettre au Parlement d’approuver ce choix. Dès lors, celui-ci ne peut pas être présent à sa prestation de serment comme le dispose l’article 58 en l’état. Par ailleurs, cela implique que le Président de la République nouvellement élu doit obligatoirement avoir la majorité au Parlement pour réussir à faire adouber son choix, sous peine d’une crise institutionnelle dès le début de son mandat. Le Burkina-Faso vient de nous démontrer que ce n’est pas évident. Cela fait beaucoup de facteurs de risques pour une jeune République.

2 – Au plan politique et républicain

C’est faute d’avoir désigné un Vice-Président à l’investiture du Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly, pour l’accompagner dans sa campagne, que le RHDP s’est retrouvé surpris et démuni, face à la survenance de sa brutale disparition. Circonstance qui va l’obliger à solliciter la candidature du PRADO, tout en réitérant exactement la même erreur. La circonstance de cette candidature fournira à l’opposition un prétexte additionnel pour contester l’élection au plan juridique, mais endommagera profondément l’image et la crédibilité du Président OUATTARA en Côte d’Ivoire et dans le monde, pour avoir trahi son engagement et sa parole.

Les Ivoiriens ont démontré à cette occasion qu’ils ne sont pas simplement des sujets de droit ou des agents économiques, mais des êtres moraux, chez qui la valeur de la parole donnée compte. Cet acte a grandement contribué à l’affaissement de la parole politique en Côte d’Ivoire, où tous ses leaders et dirigeants politiques se sont tous, sans exception, reniés dans leur parole donnée. La grande famille des constitutionnalistes qui ont pêché par excès de confiance se sont sentis trahis. C’est toute la Nation et la République qui paye ce choix constitutionnel, ou plus exactement cette absence de choix politique. La guerre de succession du RHDP pouvait ébranler le fonctionnement de l’Etat certes, mais ne devait pas hypothéquer la paix et engager la Nation.

Conclusion :

A ce jour, le Président OUATTARA n’a pas de Vice-Président à présenter à la Côte d’Ivoire en remplacement du Président DUNCAN, le RHDP ne s’est pas désigné un Vice-Président en investissant son candidat à la présidentielle. Le nouveau Président élu n’aura pas de Vice-Président à sa prestation de serment.

Le Président OUATTARA doit régler rapidement ce problème au regard des risques qu’il représente pour la stabilité institutionnelle du pays, les risques qu’il fait peser sur la paix (une guerre de succession mal gérée et inéquitable, prétexte offert au mouvement insurrectionnel), mais également en retenant les enseignements de la fuite du peuple Baoulé du Royaume ASHANTI pour une question de succession mal réglée, et plus près de nous dans notre propre histoire, la période de troubles qui a suivi la succession du Président Félix HOUPHOUET-BOIGNY toujours pour une question de succession, pour faire un choix des plus judicieux, afin de préserver la paix et la stabilité du pays. Personnellement, je ne regretterai jamais assez le départ de DUNCAN de ce poste stratégique et essentiel à la survie du système et même de la République, et non symbolique et honorifique comme on voulu le croire assez facilement.