(Lebanco.net) – Le recensement piétine, la réconciliation connaît quelques soucis, une dame se suicide devant le palais présidentiel.L’actualité de ces dernières semaines a été fort chargée. Et pour cause. Pour démêler l’écheveau ou plutôt pour sortit de l’ornière, nous avons tendu notre micro au président de LIDER. Le Prof Mamadou Koulibaly. Dans cet entretien, il nous propose un décryptage à l’aune de la vision de son parti en vue de l’émergence « d’une société de confiance ». Interview.
Lebanco.net : La dame, qui a tenté de s’immoler devant le palais présidentiel est morte des suites de ses blessures. Quel commentaire faites-vous de cette situation ?
Mamadou Koulibaly : C’est la première fois que cela arrive dans notre pays. C’est un drame qu’une dame dont le parti est au pouvoir soit obligée de s’immoler devant le palais de la présidence de la république, parce que ses créances n’ont pas été payées, parce qu’elle n’a pas trouvé d’oreilles attentives au sein du régime pour lui expliquer ce qui se passait et pourquoi elle n’a pas été payée. Je constate que le Nord de la Côte d’Ivoire continue de payer encore et encore pour faire plaisir à Ouattara. C’est triste, d’autant plus que le gouvernement paie sa dette extérieure. Il n’y a pas d’arriérés de dette extérieure, les échéances sont honorées convenablement, ce qui fait dire à toute la communauté internationale que la signature de la Côte d’Ivoire est crédible, puisqu’elle paie sa dette aux créanciers extérieurs. Mais que cette même signature ne soit pas bonne, ne soit pas crédible pour payer la dette intérieure, qui accumule des arriérés, est un peu triste. Et nous constatons les dommages de cette ambivalence. Les créanciers internes de l’Etat, individus, PME et PMI, se meurent tandis que le même Etat est fêté et courtisé par ses créanciers extérieurs, qui lui courent après pour lui faire de nouveaux prêts qui servent à rembourser les anciennes dettes.
Finalement, peut-on dire que cette affaire est devenue une affaire d’Etat ?
J’ai entendu un communiqué du gouvernement qui disait qu’elle sera inhumée avec dignité. Peut-être que le gouvernement se sent responsable. Sinon, un décès normal n’a pas besoin de faire l’objet d’un communiqué en conseil des ministres. Le gouvernement doit bien se sentir responsable quelque part. Il faut quand même savoir que la jeune dame était militante du RDR et que le président du RDR n’est personne d’autre que le président de la république, dont le frère cadet est à la fois le trésorier de la présidence de la république et celui du RDR. Mélange de genres, confusion de fonctions et de caisses en violation de la constitution de notre pays. La jeune dame qui s’est immolée devait le savoir sinon c’est à la direction du Trésor et de la Comptabilité Publique qu’elle serait allée pour se plaindre.
Quelles sont vos propositions pour résoudre la question de la dette intérieure, qui semble être à l’ origine du suicide de Madiara Ouattara ?
D’abord il faut, à mon avis, mettre la dette intérieure et la dette extérieure sur le même plan, c’est-à-dire ne pas payer la dette extérieure et laisser les créanciers internes souffrir. Il faut une clé de répartition équilibrée des fonds réservés au paiement de la dette, entre les créanciers internes de l’Etat et ses créanciers extérieurs. Cela signifie que les créanciers extérieurs et les créanciers domestiques doivent être traités de la même façon selon des principes juste et équitables. Ensuite je pense que le gouvernement devrait prendre des mesures de redressement effectif des finances publiques de la Côte d’Ivoire pour que les ressources de l’Etat rentrent comme il faut et soient sécurisées et que les dépenses de l’Etat soient rigoureusement justifiées et non détournées. Or ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que l’Etat n’est pas capable d’aller collecter toutes ses ressources internes : il y a beaucoup de déperdition, de fuites. Et puis les dépenses de l’Etat ne sont pas du tout rationnées : il y a beaucoup de surfacturations et de détournements. Enfin il me semble qu’il doit avoir un comportement honorable vis-à-vis des créanciers extérieurs certes, mais sans brimer les créanciers domestiques. Ce qu’il faut faire, c’est que l’Etat aille chercher son argent où il se trouve et le dépenser de façon rationnelle et rigoureuse.
Vous parlez de surfacturations. Sous Ouattara, est-ce possible ?
Avec le régime de Ouattara il n’y a rien de nouveau sur ce plan là. Les acteurs des détournements ont changé mais les actes de détournements demeurent et se sont même amplifiés avec en plus de l’impunité flagrante et de la violence consubstantielle. Les gens le savent mais, disent-ils, ils ont peur d’en parler parce que c’est comme ça et ça ne changera pas, dit-on. Ce n’est pas pour rien que Ouattara a fait sortir Meité (ex-DAF au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, ndlr) du cabinet de Bacongo, que Bictogo a été sorti du gouvernement. Mais à chaque fois, le gouvernement nous dit que des enquêtes ont été diligentées, qui sont restées sans suites. Ce sont eux-mêmes qui ont signalé les surfacturations sur les contrats de réhabilitation de l’université. Ce sont eux-mêmes qui ont présenté la dilapidation des fonds réservés aux victimes des déchets toxiques. Dans les foyers, on ne parle que des cas d’enrichissements frauduleux des gens du régime et proches du régime. La Banque mondiale, le FMI et les partenaires multilatéraux de la Côte d’Ivoire ne font qu’attirer l’attention là-dessus. Les marchés passés sans appels d’offre nationaux ou internationaux. Des appels d’offres réalisés, mais non appliqués sur coup de fil du Palais. Des contrats passés de gré à gré. C’est tout ça qu’on appelle les surfacturations et elles sont liées à la corruption et aux contrats de connivences dans lesquels notre régime ne cesse de s’illustrer au niveau mondial.
Le projet de loi relatif à la nouvelle CEI a été adopté. Est-ce que cette nouvelle loi correspond à la vision que LIDER a de la CEI?
Non, pas du tout. Quand la CEI a été mise en place en 2000, beaucoup de politiciens avaient pensé qu’une CEI avec les partis politiques, les ministères, les autres institutions de la république et le reste là-dedans allait être une CEI garante des élections parfaites. Or, l’expérience prouve que nous nous sommes trompés. Nous nous sommes trompés parce que les élections de 2000 ont été mélangées par le jeu de la commission électorale et du chef de l’Etat. Le président en exercice n’a pas accepté les résultats et a donc sabordé la commission électorale et cela a conduit à une crise, qui a fait plus de 400 morts. Cette commission électorale n’a pas été capable d’organiser des élections en 2005. La même commission électorale a organisé les présidentielles de 2010. Dans cette commission, il y avait les partis politiques, le gouvernement, le président et autres. En 2010, la commission électorale n’a pas été capable d’organiser des élections claires et cela a conduit à des milliers de morts. Les législatives organisées par cette CEI ont été escamotées. Il y a eu des morts. Lors des municipales et les régionales, il n’y avait même pas d’opposition en compétition, et au sein de la coalition au pouvoir, il y a quand même eu de la violence liée au mauvais fonctionnement de la CEI. Si vous reprenez la presse de l’époque, vous verrez que même la majorité au pouvoir a eu des critiques assez dures vis-à-vis de cette commission électorale. Donc, pour nous à LIDER, la chose est claire : nous nous sommes trompés en 2000 en appelant «commission électorale indépendante» une commission, qui était naturellement dépendante de la présidence de la République, des responsables des institutions de la République, du gouvernement et des partis politiques. C’est fort de ce constat et ayant tiré les leçons de toutes les destructions de vies humaines et de bien matériels, ayant analysé nos différentes élections depuis 2000, que nous nous disons : Maintenant, soyons sages et tirons les leçons : la commission électorale n’est pas indépendante. Et c’est ce manque d’indépendance qui provoque les crises, qui provoque les tueries qui sont passées quand même de 400 morts à plus de 3.000 morts officiellement.
Vu sous cet angle, il n’y a pas de grand changement ?
Mamadou Koulibaly. : La commission mise en place n’a rien changé du tout, à part l’échelle de grandeur : on est passé de 31 membres dans la commission centrale à 17. Mais l’ordre établi n’a pas changé. C’est très insatisfaisant, parce que cette commission électorale dépend du président de la République qui, grâce au pouvoir que lui octroie le code électoral, dispose d’une pléiade de décrets pour lui permettre de gouverner la commission électorale par procuration. Cette commission électorale répète les erreurs du passé. Elle intègre trois ou quatre ministères, alors que ce n’est pas du tout utile. Si vous regardez la loi sur la commission électorale, il est déjà écrit que celle-ci a le pouvoir de réquisitionner toutes les administrations du pays pour les besoins de sa mission. Et que si certaines refusaient de suivre, la commission électorale pouvait les poursuivre devant les juridictions compétentes. Ce sont les articles 3, 4 et 37 nouveau. Alors, avec ces dispositions, la commission électorale, pendant les élections peut réquisitionner la police, la gendarmerie, l’armée, la fonction publique, le ministère des finances, les préfets, les sous-préfets, les directeurs d’école etc. Avec ce pouvoir-là, que vont chercher les représentants des ministres dans la commission électorale ? Ça n’a pas de sens ! Donc, il faut les sortir aussi. Pour ce qui concerne les partis politiques, on a cru depuis 2000 que la commission électorale doit être le cadre, qui permet aux partis de se surveiller pour que les élections se déroulent bien. Or, l’expérience nous prouve qu’au contraire, quand les partis politiques se retrouvent au sein de la commission, au lieu de s’entendre pour qu’on aille à des élections paisibles, ces partis politiques répercutent et focalisent à l’intérieur de la commission électorale tous leurs conflits extérieurs à cette institution. Tous les antagonismes que l’on rencontre en dehors de la CEI entre le Pdci, le Rdr, le Fpi se retrouvent à l’intérieur de la commission électorale. Et quand la crise arrive, quand elle est violente dehors, elle devient violente à l’intérieur. Or, l’idée à l’origine de la commission électorale, c’est de lui donner une indépendance vis-à-vis du gouvernement, des partis, du président de la république lui-même candidat, qui lui permette de garder de la sérénité, de la hauteur pour organiser des élections sans être engagée dans le parti pris des groupes en compétition politique. Malheureusement, la présence des partis politiques à l’intérieur nous amène à une commission électorale confligène, conflictuelle. Et c’est ce qui explique que toutes les élections, depuis la mise en place de cette commission, ont été escamotées et violentes. Pourquoi vouloir à tout prix recommencer ce qui nous aura fait tant de mal ? Pourquoi persévérer dans l’erreur de la violence électorale et politique ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables de tirer les leçons du passé ? Pourquoi chaque groupe politique qui arrive au pouvoir se sent obligé de faire des erreurs au prétexte qu’elles ont déjà été faites par le passé et que cela lui donne le droit de les répéter ? Pourquoi ces attitudes absurdes ?
Finalement, qui doit rester à la CEI ?
A LIDER, nous disons : confions la commission électorale à la société civile, à des gens qui, certes, ont des choix politiques mais qui n’ont pas de cartes de partis. Que ce soit les mouvements des droits de l’homme, les associations de la société civile, les ordres d’avocats, d’architectes, de pharmaciens et autres associations, qu’on leur confie la commission électorale. Qu’on exige de cette société civile qu’elle s’y connaisse en matière électorale, qu’elle soit intègre, de bonne volonté, compétente, honnête etc. Comme ça, les partis politiques jouent sous la supervision de représentants de la société civile de Côte d’Ivoire. Mais, si le président de la République est joueur-candidat, que c’est lui qui fixe les spécifications techniques et les modalités d’établissement des cartes d’électeur délivrées à tout électeur inscrit sur la liste électorale ; que c’est lui qui fixe la date des élections et convoque le collège électoral ; que c’est lui qui fixe le format des affiches des campagnes électorales, l’heure d’ouverture et de clôture des bureaux de vote, le format des bulletins de vote, les spécifications techniques et les modalités d’établissement du nombre et les lieux de bureaux de vote, les spécifications techniques et les modalités d’établissement des affiches de campagne, de leur nombre, de la quantité des enveloppes et des bulletins de vote, des conditions et des frais d’expédition de ces documents, ainsi que tous les frais relatifs aux opérations de vote ; que c’est lui qui décide des modalités d’impression des documents électoraux et la liste des imprimeries en charge d’imprimer lesdits documents ; que c’est lui qui fixe les règles d’organisation et de fonctionnement des bureaux de vote et les spécifications techniques des urnes et isoloirs ; que c’est lui qui fixe tout cela par décrets tout en étant lui-même candidat, il a toutes les cartes en main. Pourquoi lui, candidat, a toute cette puissance et puis moi, candidat, je n’ai pas de représentant là-bas alors que, de par les dispositions de la constitution, nous sommes tous égaux devant la loi ? Il y a au départ, dans la conception de la CEI, des biais confligènes. Donc, le président sort de la commission, les partis politiques en sortent, nous sortons tous et puis on confie cette tâche à la société civile. Peut-être que cela va nous donner des chances de minimiser le nombre de morts après les élections, et que même s’il y a crise, celle-ci s’arrête à la porte de la commission électorale et que la sérénité continue au sein de la commission. Je crois que LIDER est le seul à avoir cette position. Les autres disent que c’est un gâteau, il faut qu’on y soit tous là-dedans pour le partager. Il n’y a pas de raison que certains aillent manger et que nous dehors on ne mange pas. Je trouve cette conception du pouvoir lamentable.
A vous entendre parler, on pense qu’on assistera à un remake de 2010 en 2015 !
Je le crains fort, parce que lorsque vous avez un jeu dans lequel l’un des joueurs est à en même temps l’arbitre central ou que certains joueurs sont à la fois les arbitres de touche, il est fort à craindre que le match se termine dans la bagarre. Je ne le souhaite pas, mais je le crains fort.
Apres trois années d’exercice, que peut-on retenir de l’action de M. Banny ?
Je constate que les textes fondateurs de la CDVR étaient mauvais et les moyens n’ont pas suivis. Et bien sûr, on peut reprocher à Banny sa méthodologie. Il a construit une méthodologie en fonction des moyens. Si on lui dit que l’autorité qui supervise son travail, c’est le président de la République et non le peuple de Côte d’Ivoire, qui aura envie de se réconcilier ? Et quand il met en place une méthodologie selon la vision du président de la République, on arrive au résultat qui est là. Banny essaie de réconcilier les communautés ethniques de Cote d’Ivoire, alors que les communautés ne sont pas en conflit. Elles ont été instrumentalisées par la classe politique. Et donc ceux qu’on doit réconcilier au commencement comme source de conflit, comme source de difficultés que nous avons, ce sont les partis politiques, ce sont les hommes et les femmes politiques. Mais si on oublie les politiques, qu’on rassemble les communautés ethniques, on va soigner les conséquences du mal sans s’attaquer à la racine de celui-ci. On veut soigner la fièvre politique mais quelle est la cause de cette fièvre ? Le palu ? l’Ebola ? Le cancer ? A quel moment allons-nous nous attaquer aux causes ?
Monsieur le Président, les partis posent des préalables à n’en pas finir
Mamadou Koulibaly : Oui, mais c’est à la CDVR d’avoir la lucidité, la liberté et l’indépendance nécessaires. La loi qui crée la CDVR, en son article premier, dit qu’elle est créée sous l’autorité du président de la République. Si la CDVR n’avait pas été sous tutelle du président de la République, qui est l’une des personnes qui se trouvent en conflit, juge et joueur en même temps, peut-être qu’il y aurait plus de sérénité. Si les autorités de la CDVR étaient totalement indépendantes, ce que nous présentons comme préalable ne se serait pas présenté comme tel. C’est parce que je suis juge, que le point de vue de mon adversaire me parait être un préalable, parce qu’en contradiction avec ce que je crois être juste et bien pour moi. Si c’étaient des autorités indépendantes et que chacun allait verser son plaidoyer auprès de cette autorité indépendante, pas les communautés, mais les partis politiques, Banny n’aurait pas dit que ce sont des préalables. Il aurait reçu tout le monde et puis il aurait géré. Mais si moi je suis Ouattara, je suis en conflit avec Gbagbo, que les gens de Gbagbo viennent me dire de faire certaines choses ; pour moi ils n’ont pas le droit de le dire. Ils n’ont aucun droit d’ailleurs. Ce sont des préalables que je ne peux admettre, moi le juge. Si je suis les gens de Gbagbo, que Ouattara nous dit de faire quelque chose, alors que nous considérons qu’il n’est pas président de la République, et n’a aucune légitimité, nous trouverons cela inacceptable. On ne peut pas aller à la réconciliation avec cette logique. Mais si une tierce personne dit aux gens de Gbagbo et aux gens de Ouattara, «venez, j’aimerais bien vous écouter pour qu’on se parle», alors, les deux ne vont pas dire «on ne vient pas». Les deux vont venir. Ainsi on peut commencer la discussion. La réconciliation ne peut se faire sans justice. Et dans la justice le juge ne peut pas être une des parties plaignantes sinon le juge est automatiquement le vainqueur. Et le vainqueur est aussi le juge.
Monsieur le président, le recensement piétine que proposez-vous pour qu’il y ait une adhésion populaire autour de ce projet ?
Je pense qu’au point où nous sommes arrivés, on fait beaucoup de publicité ou de campagnes pour n’importe quoi en ville. Ce qui aurait dû faire l’objet d’une grande campagne publicitaire de deux ou trois mois sur l’ensemble du territoire ivoirien par affichage, à la radio, à la télévision, aurait dû être le recensement général de la population. On aurait dû, deux ou trois mois avant, dans toutes les langues, sur toutes les radios, permettre aux gens d’accéder aux médias d’Etat pour parler et expliquer le bien-fondé du recensement, le sens du recensement, démontrer que ce n’est pas un recensement électoral ou fiscal qu’organise le gouvernement. Cette campagne n’a pas eu lieu ou en tout cas, moi je ne l’ai pas sentie. Et aujourd’hui, c’est totalement escamoté.
Tout est perdu ? Ou est-il encore possible de sauver les meubles ?
Ce qu’il reste à faire, à mon avis, c’est de prolonger encore les délais. C’est de faire en sorte de ne pas arrêter en cours de route. Si les délais qui ont été donnés se révèlent insuffisants, il faut les prolonger encore pour que tous les hameaux de Côte d’Ivoire, tous les villages de Côte d’Ivoire, tous les campements, toutes les villes, toutes les personnes, qui vivent en Côte d’Ivoire puissent se faire recenser. Il me revient que des communautés étrangères refusent de se faire recenser. Il me revient que des agents de recensement se plaignent qu’on prélève une partie de leurs indemnités pour la Cnps alors qu’ils ne sont pas déclarés à la Cnps. Il me revient qu’on a engagé des gens pour aller recenser une population estimée à 1.000 personnes, là où elle est de 15.000 âmes et cela est lié à des mauvaises estimations de la population cible. Il me revient qu’on a donné des mobylettes sans carburant à des agents recenseurs qui ne peuvent les utiliser. Il me revient que bon nombre d’agents de recensement n’ont pas été formés au travail qui les attendait. Il me revient que les recrutements de ces agents n’ont pas toujours suivi les règles édictées en la matière, la complaisance ayant été la règle. Il me revient que la sécurité des agents de recensement n’est pas correctement assurée. La liste n’est pas exhaustive. Il y a beaucoup d’insuffisances dans ce recensement. Un observatoire a été mis en place. Cet observatoire conseille des choses. Je suggère qu’on résolve les impairs constatés par l’observatoire et qu’on continue le recensement jusqu’à ce que tout le monde soit recensé. Il ne sert à rien d’arrêter cela en route, car on y a déjà mis beaucoup d’argent : 13 ou 14 milliards de fcfa, semble-t-il.
Cela va entrainer des surcoûts. Faut-il continuer malgré cela ?
Si on doit y ajouter 4 ou 6 milliards supplémentaires, à mon avis, il faut le faire et sortir de là avec un profil démographique propre et clair de notre pays : combien nous sommes ? Combien il y a d’étrangers ? Combien vivent en ville ? Combien de villages il y a, combien il y a de campements ? Est-ce que les gens vivent dans des cases, dans des villas ? Qui accède à l’électricité etc. ? On a besoin de toutes ces informations pour les programmes et les visions de la Côte d’Ivoire du futur. Sinon, si on arrête en route pour des raisons politiques ou pour des raisons financières, on aura gaspillé de l’argent pour rien, parce que les résultats partiels obtenus ne serviront à rien.
Monsieur le président, LIDER a-t-il un point d’ancrage comme le Pdci, le Rdr, et le Fpi ont des bastions dits imprenables ?
Ce que l’on appelle pour ces partis bastions dits imprenables, ce sont des groupes ethniques. Les partis se présentant comme des syndicats de groupes ethniques. C’est reconnu, tout le monde le dit. Et puis chacun se dit que c’est un bastion imprenable. LIDER n’en a pas. LIDER n’est le syndicat d’aucune ethnie, ni d’aucune région. LIDER est porteur, en tant que parti, d’espoir pour tous ceux qui ont le sentiment que l’instrumentalisation de l’ethnie, de la religion est devenue insupportable. LIDER est ouvert sur l’ensemble du pays. C’est à la fois notre grosse faiblesse, parce que nous ne pouvons pas dire qu’on a des milliers d’adhérents inconditionnels auxquels on n’a pas besoin de proposer une stratégie de résolution du chômage, auxquels on n’a pas besoin de proposer une politique de réduction du coût de la vie, auxquels on n’a pas besoin de proposer une politique d’amélioration des conditions de l’éducation, de la santé ou autres choses, parce que c’est le parti de notre tribu, de notre ethnie, de notre région, de notre religion, de notre frère, de l’un des nôtres et que cela est une raison suffisante de le voter. Mais en même temps, cet état des choses est notre plus grande force. Comme on n’a pas des militants qui nous supportent inconditionnellement à cause de leur appartenance ethnique, nous sommes obligés d’imaginer des solutions aux difficultés des Ivoiriens en général. Des difficultés qui touchent l’ensemble des populations, mais non pas des difficultés, qui touchent une région, une ethnie, une religion. La question foncière qui est source de nombreux conflits. La question du chômage, source de stress de nombreuses personnes. Celles de la retraite, de l’école etc.
Vous avez en face de vous de grands économistes comme Ouattara et Bédié. Comment comptez-vous faire la différence en 2015 ?
En continuant de proposer des solutions plutôt économiques que politiques aux différentes crises que nous avons. Si vous avez du chômage dans votre pays, la solution n’est pas politique, elle est économique. Pour le chômage, Ouattara trouve la solution en recrutant les gens en grand nombre dans l’armée, la gendarmerie, la police, en créant des emplois informels pour eux, mais ce sont des emplois publics pour l’essentiel. Donc c’est l’argent de l’Etat qui est utilisé pour payer toutes ces personnes. Et comme l’argent du budget de l’Etat ne suffit pas parce que la masse salariale augmente, il est obligé d’aller s’endetter pour le faire, et comme ça ne suffit toujours pas, il est obligé d’augmenter les impôts partout. Vous écoutez le patronat, vous écoutez les commerçants, les ménagères tout le monde dit que la vie coûte chère. Le patronat dit qu’il y a une sorte d’oppression fiscale, les ménagères disent que ça ne va pas, la vie est trop chère. Pourtant, le gouvernement, au dernier conseil des ministres, dit qu’il a tellement encaissé d’impôts qu’ils ont inventé un concept : ils attendaient 800 milliards d’impôts, ils en ont eu plus de 1000 et quelques. Ils ont appelé ça «une plus-value». Moi je trouve ça étonnant. Ce n’est pas parce que vous attendiez 800 et que vous avez encaissé 1000 de prélèvements obligatoires, que vous allez appeler cela de la plus-value ! La plus-value c’est un concept très précis : c’est quand vous avez une marchandise ou un actif que vous avez acheté à 100 francs, que vous allez vendre à 150 francs, vous dites que vous avez une plus-value de 50 francs. Le gouvernement, lui, fait de la «plus-value fiscale», semble-t-il.
Doit-on s’attendre à une méthode Koulibaly ?
Oui, je pense qu’il faut s’attendre à une méthode Koulibaly ! Au sens où, en matière de coût de la vie, je n’enverrai pas les inspecteurs, les contrôleurs sur les marchés, car je préfère réduire la Tva. Les gens vous disent que le coût de la vie est élevé, mais, vous faites semblant de ne pas vous en rendre compte. Vous envoyez des inspecteurs pour dire aux commerçants de baisser le coût de la vie. Or, le commerçant a acheté sa marchandise à un prix et il a besoin de sa marge. Il faut baisser la Tva. Dans l’Uemoa, la règle dit que la Tva peut varier de 5 à 18 %. Mais notre pays a choisi 18 % pour la plupart des produits. Pourquoi ne pas descendre plus bas, à 5 % ou 7% ? Pour que la population, à défaut d’avoir des emplois, puisse au moins acquérir un certain nombre de biens. Je dis que trop d’impôt tue l’impôt. L’administration Ouattara dit : peu d’impôt tue l’Etat. On a vraiment des logiques totalement différentes.
Où en êtes-vous avec votre procès contre l’Etat ? Avez-vous été payé?
Non, je n’ai pas été payé. Cela a été l’une des curiosités que les annales du droit en Côte d’Ivoire retiendront. J’ai un problème avec l’administration. Un juge dit que j’ai raison. Et le procureur, qui n’est pas étranger à la décision, attend que le juge dise que j’ai raison pour faire appel. Et, quelques temps après, les avocats de l’Etat font eux aussi appel. L’affaire est encore en cours, j’attends.
En principe, c’est un droit que la Constitution vous confère en tant qu’ancien président d’institution.
Mamadou Koulibaly : Oui, c’est un droit. Lui-même Ouattara, quand il était dans l’opposition, il a reçu, bon an, mal an, tous ses droits. Il avait ses véhicules en tant qu’ancien premier ministre, il avait sa sécurité, il avait du personnel à domicile, il avait son secrétariat, il avait son passeport diplomatique et tout le reste. Mais, une fois arrivé au pouvoir, il me prive illégalement de ce droit.
Pour terminer, quel est votre rêve pour la Côte d’Ivoire ?
Je rêve d’une Côte d’Ivoire réconciliée, d’une Côte d’Ivoire qui arrête de se bagarrer, qui propose à sa jeunesse un avenir qui est lisible, qui est clair, qui permet à chacun de savoir qu’on peut faire des études correctement, avoir un emploi correct, être payé correctement et puis construire sa vie. Aujourd’hui, cet avenir est complètement flou. Les gens ont peur, les gens sont méfiants. On ne peut rien construire dans la méfiance. C’est vrai qu’on peut faire des routes, on peut faire des ponts. Mais, s’il n’y a pas de confiance, c’est totalement inutile. Les gens vont se battre autour de ces routes, autour de ces ponts. Ils vont même utiliser ces ponts comme instruments de guerre, utiliser ces routes comme instruments de guerre. Ça ne sert à rien. Mais, si la confiance est bâtie, alors les routes vont être bâties non pas avec la dette extérieure, mais avec l’effort de production domestique. Aujourd’hui, Ouattara construit des infrastructures, c’est bien. Mais à côté de ces infrastructures, il y a une insatisfaction morale et sociale. A quoi ça sert de mettre le goudron, si Madiara n’a pas son argent, à quoi ça sert de dire qu’il y a des caméras dans la ville si Awa Fadiga se fait tuer et qu’il n’y a personne pour attraper le voleur, à quoi ça sert de dire qu’on a fait le troisième pont si Joël Tiémoko se fait tirer dessus à bout portant par un FRCI meurtrier et puis il n’y a pas de justice ? La réconciliation et la justice sont des valeurs qui font plus facilement le développement que le béton et l’endettement. Je rêve de contribuer à la promotion, en Côte-D’ivoire, d’une société de confiance qui nous éloigne de la méfiance ambiante actuelle.
Une interview réalisée par Lassina Christian
Lassinachristian@lebanco.net