Par Haman Mana

Yaoundé, Mballa2. Un samedi comme les autres. L’hôpital Jamot, au fond de la rue en cul-de-sac, c’est une dizaine de bâtiments rabougris, bâtis années cinquante pour abriter, surtout mettre en quarantaine les lépreux, qui ont au fil des ans, été convertis en asile pour tous les malades à isoler: les tuberculeux, les malades mentaux, et désormais, des cas de Coronavirus.

Pour cette circonstance, le directeur de l’hôpital a été appelé en pleine nuit la semaine dernière par un supérieur hiérarchique, lui demandant d’aménager rapidement de l’espace pour des malades de Coronavirus qui devraient lui être envoyés dans deux heures… Image un peu lamentable, mais révélatrice de toute l’improvisation et l’impréparation qui caractérise la prise en charge de cette maladie grave qui met le monde entier désormais à genoux.

Mais ici au Carrefour Jamot, loin s’en faut, on n’est pas à genoux. Il n’est pas midi, mais M. D, la serveuse de bouillon du carrefour a encore son petit bar animé de gaillards qui reviennent du «deux-zéros», le match de foot pour vétérans du week-end, et qui rechargent les batteries avec du bouillon de patte de bœuf bien pimenté arrosé de bière.

La conversation n’effleure le «Corona» que pour s’en éloigner et se donner bonne conscience «N’est-ce pas on a dit que c’est une maladie qui n’attaque que les gens qui vivent au pays des Blancs ?». Image d’Epinal qui fera du tort, lorsqu’il faudra réellement sensibiliser sur cette affection qui comme une trainée de poudre se répand, et avale les énergies des peuples et les corps des personnes, de manière effrayante.

L’actualité de cette pandémie autour de nous, ce sont les tweets quotidiens du ministre de la Santé, Malachie Manaouda, qui, depuis un mois, date du dépistage du «malade Zéro» au Cameroun, fait le point quotidien. Une ascension inquiétante, si l’on prête attention à la progression arithmétique des chiffres: 1 puis 3, 7, 13… Une centaine déjà cinq semaines après le dépistage du tout premier cas.

A propos du décompte officiel du ministère de la Santé, il faut ajouter un certain nombre d’éléments d’appréciation : Le «premier» cas est un voyageur venu de France, qui suite à des malaises, s’est présenté à la Clinique de la Cathédrale de Yaoundé. Dans la même période, combien de voyageurs pouvant être porteurs du Virus sont entrés au Cameroun, étant donné que les contrôles n’avaient lieu qu’à l’aéroport de Nsimalen et que Douala, la plus grande porte d’entrée au Cameroun est restée largement ouverte pendant ces semaines cruciales.

Le Dr François-Xavier Mboppi-Keou, virologue, chef du département de microbiologie, virologie, parasitologie, hématologie et maladies infectieuses à l’Université de Yaoundé 1 est formel: «Selon les études faites par nos collègues chinois, pour chaque malade il faut compter une trentaine de personnes contaminées, dans une période comme celle-ci, où les populations n’ont pas encore adopté les gestes-barrière et où il n’y a pas encore de confinement». Ce qui veut dire que la réalité des chiffres est cruelle, et que la progression arithmétique de Manaouda cache en réalité une progression géométrique, c’est à dire, exponentielle.

Ces chiffres doivent être également pris avec des pincettes, car en l’état actuel, le Cameroun ne dispose pas de kits de dépistage et de réactifs en quantité, pour pouvoir se livrer à un dépistage significatif: on ne teste que des cas symptomatiques ou réellement suspects. Le prix actuel du test en France, en laboratoire privé est de 54€ (36.000FCFA, un SMIC au Cameroun).

Selon un pharmacien, habitué des achats en gros à l’étranger, il pourrait revenir autour de 30€, s’il est commandé en grandes quantités et par un Etat. Tester massivement comme on l’a fait pour le SIDA reviendrait bien cher… Mais dans un tweet ministériel daté de ce samedi 28 mars, il est annoncé ce qui est présenté comme «Notre nouvelle stratégie de réponse au Covid-19 en 4 axes:
1) recherche active et précoce des cas par un testing généralisé,
2) prise en charge qualitative des cas avec extension des capacités
3) Régulation sociale pour éviter la propagation
4) Gouvernance et redevabilité»… Bien joué, monsieur le ministre, en termes de clarté et de langue de bois technicienne. Mais la réalité est plus glaciale…

Il faut du personnel

Jusqu’à présent, le système de santé semble tenir, si l’on fait foi aux tweets crânement sereins du ministre de la Santé. Mais personne n’est dupe: le Cameroun et sa structure de santé vont être pulvérisés, là où l’Espagne, l’Italie, la France plient. Le nombre de lits de réanimation au Cameroun à ce jour ne dépasse pas la cinquantaine. Installés tous dans les métropoles Yaoundé et Douala. S’il faut maintenir quelques dizaines de malades sous respiration artificielle. Mais la ressource matérielle n’est pas le seul problème.

Il faut du personnel. Une armée d’infirmiers encadrés par des médecins sont nécessaires pour faire face. L’essentiel du personnel infirmier dans nos formations hospitalières à ce jour ce sont des jeunes femmes sans contrat ni couverture d’autre sorte, sorties d’écoles d’infirmiers et en attente d’intégration. Le pire, c’est que les pauvres ne sont ni formées, ni même vêtues pour la circonstance. De combien de combinaisons idoines disposent notre système hospitalier pour faire face à des maladies hautement contagieuses comme c’est le cas ?

Nous courons vers une catastrophe à l’intérieur d’une autre: celle de la contamination du corps médical, faute d’équipements adaptés. Exemple: l’infirmière qui a pris les paramètres du malade zéro à la clinique de la cathédrale a été contaminée. A ce jour, combien de médecins, d’infirmières, d’ambulanciers… les morguiers le sont ou vont l’être, faute de combinaisons et procédures idoines ?

Confinement

Le ridicule chez nous ne tue plus. Il laisse sans doute l’honneur au Covid-19: L’autre jour, on a mis en «confinement» des voyageurs venant d’Europe, dans des hôtels. A Yaoundé, on apprend la nouvelle par le préfet Tsila, une cinquantaine de prostituées ont pris d’assaut les lieux, pour «apaiser» la solitude des confinés. Elles ont été arrêtées. (La suite, on ne dit pas ce qu’on a fait de ces malheureuses). C’est le signe que chez nous, le Covid-19 rencontrera le Sida et qu’ensemble, les deux virus feront la fête aux camerounais.

Image de décadence, mais aussi de déconfiture et d’inefficacité des «13 mesures» prises par le gouvernement, il y a une dizaine de jours. La faillite de la non prise en charge d’un certain nombre de secteurs de la vie quotidienne éclate au grand jour: l’exemple le plus pathétique, c’est celui des transports publics intra et interurbains. Où l’on recommande, la non-surcharge dans de vieux tacots qui ont un quart de siècle en moyenne. Il est évident que faire une course dans un taxi c’est déjà jouer à la roulette russe, lorsqu’on connaît la capacité du Covid-19 à se répandre.

La réaction du gouvernement a été lente, et plus «administrative» que scientifique. Ce n’est que vendredi dernier, 27 mars, que le ministre de la santé a signé une décision «instituant et constatant un Conseil Scientifique des Urgences de Santé Publique». C’est dire, un mois après le premier cas, mais surtout trois mois après le déclenchement de la pandémie. A titre d’exemple, c’est le 20 février dernier, il y a cinq semaines, que Diane Gashumba, la ministre de la Santé du Rwanda a été démise de ses fonctions parce qu’elle avait affirmé posséder 3500 kits de dépistage, alors qu’il n’y en avait que 95…

C’est dire que dans certains pays, on a pris les choses en main, en étant proactifs. Les grandes démonstrations sous les projecteurs des médias, comme cette pathétique conférence de presse de Madeleine Tchuinte, la ministre de la Recherche Scientifique qui a réuni la presse pour parler de chauves-souris, là où des burkinabè proposent déjà de petites solutions du cru, montrent qu’une fois de plus, on l’a fait «à la camerounaise: c’est-à-dire faire des effets, balancer des fumigènes pour donner l’impression que l’on fait quelque chose, «sous la haute impulsion de son excellence, le Président de la République», alors que dans les faits, le résultat est sans croûte ni mie.

Mais cette maladie ne se laisse pas conter pour si peu. A la fin on a l’impression qu’on a un gouvernement peu solidaire d’un ministre de la Santé solitaire. La plus belle fille du monde ne peut donner que. ce qu’elle a, le plus beau, Malachie, également.

Source
Patrice Nganang