Des wê lancent un ultimatum à Ouattara
(Ph. S.A)
Il n’a pas trouvé difficilement les mots pour décrire les maux qui minent l’ouest ivoirien. Le colonel Oulatta Gaho dit Pierre, député de Bangolo sous préfecture, issu du Rassemblement des républicains (Rdr, au pouvoir), a tiré la sonnette d’alarme sur la situation qui prévaut dans la région dont il est originaire. Au cours d’une conférence de presse, samedi 10 mai 2014, dans un restaurant aux Deux Plateaux, il s’est fait le porte-parole des populations Wê, estimant qu’il est difficile pour lui de ne pas en parler, de rester-là, les yeux fermés. L’officier supérieur des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) à la retraite, semblait perdre quelquefois son calme, sans pour autant perdre la tête… « Les populations estiment qu’on veut les exproprier. On veut les déposséder de leurs terres. On veut même leur arracher leurs terres. Or, Dieu seul sait que, dans la vie des sociétés, la terre, comme le sang l’est pour l’homme, représente l’âme d’un peuple. Et les Wê de la région du Cavally estiment qu’on leur arrache leur terre comme on arrachait un bébé du sein de sa mère », a accusé le conférencier. « C’est une image qui n’est pas faite pour arranger l’image de l’Etat Côte d’Ivoire », a fait valoir l’ex-Directeur départemental de campagne d’Alassane Ouattara à Bangolo pendant la présidentielle de 2010, rappelant tout ce qu’il a fait pour l’actuel chef de l’Etat. Le colonel Oulatta Gaho dit Pierre a révélé que les conclusions des enquêtes qu’il a faites sur le terrain, ne sont pas différentes du rapport d’octobre 2013 de Human Rights Watch sur les conflits fonciers à l’ouest. Or, selon lui, il avait assuré ses parents qu’ils ne seront pas expropriés de leurs terres si le Rdr arrivait au pouvoir. Le constat à ses yeux est tout autre aujourd’hui. L’ancien Commandant de la sécurité présidentielle a nommément cité des ressortissants d’un pays frontalier de la Côte d’Ivoire qui viennent, « tous les lundis et parfois tous les jeudis», dans des « cars entiers » dans l’ouest. Il a précisé n’avoir rien contre ce pays parce que son premier responsable l’a accueilli, pendant un an, dans l’une de ses résidences, quand il est sorti de prison en Côte d’Ivoire en 1997. « Les Wê s’inquiètent. C’est une véritable colonie d’exploitation », a craché le président de la Commission de la sécurité et de la défense de l’Assemblée nationale. « Quand nous apprenons que dans le mont Peko, et certainement dans la forêt du Scio, dans les parcs nationaux et dans les forêts, qu’il y a une véritable invasion massive et illégale des populations venues d’ailleurs, notamment du (…). Elles sont à plus de 90 % de gens qui occupent illégalement les forêts classées et les parcs », s’est emporté l’ex-Attaché de défense de la Côte d’Ivoire à Washington.
« Le spectre d’une 2ème rébellion »
Pour l’orateur, les Wê ont « le sentiment profond qu’ils ne sont pas en sécurité, qu’ils vivent chez eux comme s’ils étaient ligotés. Ils sont apeurés comme s’ils étaient en esclavage chez eux-mêmes, sur leurs propres terres ». A le suivre, « les Guéré ont peur depuis 2002, de parler de ce qui leur est arrivé». Outre ceux qui viennent tous les jours, a-t-il regretté, il y a une autre catégorie de personnes, qui s’est retournée contre leur tuteur en prenant leurs terres. « C’est un peuple qui est réduit à l’indigence, qui est réduit à l’esclavage sur ses terres. C’est le sentiment qu’il a. C’est un peuple qui a besoin d’être aidé. C’est un peuple qui a besoin de l’action de l’Etat ivoirien et de la communauté internationale », a poursuivi l’ex-Commandant des parachutistes d’Akouédo.
Ces problèmes, à l’écouter, pourraient conduire à une situation explosive à terme. « Il y a beaucoup de Guéré qui sont libériens. Imaginez-vous un seul instant que, si les choses continuent comme ça, des illuminés se lèvent pour dire que nous allons aider nos frères guéré de Côte d’Ivoire à récupérer leurs terres. C’est-là le spectre d’une deuxième rébellion. Mais, nous ne voulons pas qu’il y ait une deuxième rébellion en Côte d’Ivoire. En tant que soldat, je suis là pour anticiper, pour prévenir. On ne peut pas accepter une deuxième rébellion. Le peuple Wê n’est pas fait et ne peut pas faire une deuxième rébellion… », a prévenu celui qui a été Commandant des opérations dans l’ouest ivoirien pendant la guerre du Liberia. Il a fait cas d’une mission qu’il a dit avoir menée, récemment, de Sipilou à Taï. « Ce qui m’a donné froid dans le dos, c’est que les Wê de Taï et autres disent que nous donnons jusqu’au mois de juin au président Ouattara, s’il n’enlève pas les gens, (…) dans nos forêts, dans nos parcs où nous-mêmes ne sommes jamais rentrés, nous allons les chercher, nous allons les trouver dans ces parcs. Quand des populations disent ça devant des élus, il y a de quoi à ne pas se taire. Sur quoi elles comptent pour dire qu’elles vont aller dans des parcs pour aller trouver les gens là-bas ? Il faut faire attention ! Le Liberia est à côté », a-t-il averti.
Le Colonel a dit avoir le sentiment que tout ce qui se passe dans la région Wê n’est pas fidèlement transmis au président Alassane Ouattara. Il a relevé que lui-même, depuis près de deux ans, n’arrive pas à rencontrer ni le numéro 1 ivoirien, ni son épouse, ni le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la sécurité pour leur rapporter les problèmes du peuple Wê. « Les portes fermées ne peuvent plus être la solution », a signifié le Colonel Oulatta Gaho dit Pierre, ajoutant que c’est ce qui l’a poussé à rencontrer la presse.
L’officier supérieur à la retraite de marteler : « Ce que je suis en train de dire, ça n’a rien avoir avec la politique. C’est une action d’intérêt national. Tant que l’intérieur supérieur de la Côte d’ivoire est engagé, je suis engagé. Tant que la justice et les droits de l’Homme sont engagés, je suis engagé parce que j’ai servi ce pays, 31 ans, sous le drapeau… ». « Ce qui se passe à l’ouest est dramatique… L’activité économique du pays Wê n’existe plus », s’est-il plaint.
Pas de cadeau à Anne Ouloto…
Il a dénoncé qu’un élément des Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) ait tué un jeune homme dans le mont Peko et que cela soit resté impuni depuis deux ans. Il a fait savoir que les populations ne partagent pas la volonté exprimée, récemment, par le Préfet de région du Guemon, de recaser les 35000 personnes qui occupent le Mont Peko, dont 99 % sont ressortissants d’un pays voisin à la Côte d’Ivoire. Pour lui, il est inadmissible que des missions ivoiro-burkinabé soient menées dans l’ouest ivoirien sans l’implication des élus de la région. « C’est aberrant. C’est unilatéral, solitaire. Et, les gens pensent qu’il y a quelque chose de suspect en dessous. C’est une opacité vis-à-vis du peuple Wê qui ressemble à du mépris pour leurs députés, leurs élus, et à du mépris pour ceux qui les ont votés. Non, il faut qu’on arrête. Je dis qu’il faut que le gouvernement arrête d’aller de façon solitaire chez nous, sans nous concerter, sans nous associer à cette action. C’est une action fondamentale… », a craché le député.
Il n’a pas manqué de jeter de grosses pierres dans le jardin de la ministre Anne Ouloto. « Alors, on nous dit qu’il y a Anne Ouloto. Mais, Anne Ouloto, elle est de Toulepleu. Elle est Wê, mais elle ne connaît pas le peuple Wê. Elle est bonne militante du Rdr, mais elle ne connaît pas le peuple Wê. Elle n’a pas la cosmogonie du peuple Wê. Elle n’a pas sa sociologie. Elle ne connaît pas le peuple Wê. Et, pourquoi, c’est elle seule qui parle à la télévision pour dire qu’on va installer les gens, on va déguerpir ? Est-ce que c’est son rôle ça? Il faut faire attention. Il faut que les gens arrêtent de mentir au président (Ouattara)», a-t-il craché ses vérités.
A l’en croire, le Programme présidentiel d’urgence (Ppu) n’est pas arrivé à l’ouest en dépit des deux visites qu’Alassane Ouattara y a menées. « Pourquoi, on ne fait pas un plan spécial pour cette région ? », a demandé le colonel Oulatta, ajoutant qu’il en a « honte » parce que la Côte d’Ivoire est à deux ans de la présidentielle. Parlant de l’état des routes, il a indiqué qu’aujourd’hui, « c’est devenu une jungle, c’est devenu un no man’s land. Vous ne pouvez pas aller là-bas. On ne peut pas aller à l’ouest de la Côte d’Ivoire ». « Il faut rétablir le peuple Wê dans ses droits coutumiers. Il faut le rétablir dans sa dignité. Il ne va pas prendre les armes pour sa dignité. Nous voulons que ce problème soit posé de façon nationale (…). J’invite au dialogue le gouvernement ivoirien pour régler la question Wê », a insisté le parlementaire. « Amadé (Ouremi) est parti, mais son système est toujours en place », a diagnostiqué le colonel Oulatta Gaho dit Pierre.
SYLLA Arouna
Source: SoirInfo 5886 du lundi 12 mai 2014