Lorsque j’observe les structures de jeunesse en Côte d’Ivoire dans les formations politiques et la société civile, je me pose toujours avec un étonnement amusé, la question des critères qui leur permettent de se définir comme telles et de ceux qui ne leur permettent pas de se revendiquer de ce statut (sortie du système scolaire, autonomie spatiale et financière, entrée dans la vie active, vie familiale, tranche d’âge).

C’est la prolifération de ces structures et le détournement de sens de la notion de jeunesse, qui ont permis à une génération de politiques de faire du paternalisme, d’infantiliser leur relève, de confisquer le pouvoir et d’écarter une catégorie de la population de la gestion des affaires. Celle-ci, abusivement dénommée jeunesse, incapable de s’affirmer, de prendre ses responsabilités et de s’affranchir d’une tutelle s’est enfermée dans une attitude attentiste. Ceci explique pourquoi le renouvellement du personnel politique est grippé et si lent dans notre pays et en Afrique. En faisant ses classes auprès de ses aînés, elle a pris l’habitude d’attendre tranquillement son tour, d’attendre d’être désignée ou appelée aux responsabilités. Elle a renoncé à prendre des initiatives, à démontrer ses capacités, à s’imposer par sa maturité, sa technicité et son sens des responsabilités.

En réalité, la jeunesse constitue une phase intermédiaire de la vie, se situant entre l’enfance et l’âge adulte (16 à 26 ans en Occident), marquée par un accès progressif à l’autonomie (27 ans à 30 ans). Plus spécifiquement cette période élastique suivant les pays et les systèmes culturels, est aujourd’hui plus longue en Côte d’Ivoire, car le cycle des études se prolonge de plus en plus à cause des grèves incessantes et des goulots d’étranglement rencontrés dans l’appareil éducatif, si bien que des adultes (pères de familles et autres) se retrouvent avec le statut d’étudiant à un âge avancé (plus de 30 ans) hébergés et dépendants chez des parents. Cette situation est accentuée par les difficultés à accéder à un primo-emploi. Dès lors, la jeunesse en Côte d’Ivoire concerne d’une manière générale les moins de 35 ans. Vouloir avoir des structures de jeunesse au-delà de cet âge, ou une jeunesse au-delà de ce seuil, est aberrant et pose problème dans l’articulation des générations et la façon de concevoir notre organisation sociale.

Mais il pose plus fondamentalement un problème politique avec plusieurs blocages de la société. L’accès aux responsabilités s’appuie davantage sur le soutien ou la mobilisation communautaire. Nos cadres sont obligés de s’appuyer sur leurs communautés pour obtenir une promotion. Le contrôle social des moins âgés placés dans des structures d’encadrement ou d’embrigadement, c’est selon, ne permet pas aux adultes de plus de 35 ans, de prendre de la distance vis à vis de certains comportements et conduites qui leurs sont transmis à cette occasion, alors qu’à partir de cet âge l’indépendance, le jugement critique et le choix philosophique s’imposent. Mieux, on doit être en mesure d’apporter quelque chose à la société et d’assumer ses responsabilités. Cette tranche d’âge de jeunes adultes constitue le levain qui pousse une société vers le haut, avec des qualités nouvelles, une capacité de révolte, une imagination rêveuse tirée par des idéaux intacts, des connaissances et une technicité utiles au progrès. Elle ne peut pas être une locomotive à la remorque d’une génération usée et dépassée, mais le sang nouveau dont la société a besoin pour se régénérer. Il faut donc arrêter avec ces faux jeunes de plus de 35 ans qui écument ici et là. C’est non seulement un abus dans la terminologie, mais un problème pour le bon fonctionnement de notre société.

Pierre Aly SOUMAREY