Par Patrice NGANANG
La guerre se perd de deux façons. Quand c’est une guerre conventionnelle, elle se perd quand une armée est vaincue, et donc, son chef d’Etat-major est obligé de signer une lettre tout aussi formelle de reddition. Une telle lettre a été lue sinon dite par exemple par Laurent Gbagbo, président de la république de Côte d’ivoire, au nom de ce qui était alors l’Armée régulière de Côte d’ivoire, les FANCI, quand il était captif dans le bunker de l’hôtel du Golfe, et ainsi les combats ont pris fin à Abidjan. Mais quand la guerre n’est pas conventionnelle, quand donc c’est une guérilla, elle se perd lorsque l’ennemi refuse de concéder la victoire à son adversaire, et donc continue la résistance. Dans un tel cas de figure, il devient impossible à la force armée régulière, de crier victoire, parce qu’une balle peut tuer un gouverneur le jour même où le général déclare victoire, et rendre caduque sa déclaration. C’est ce qui se passe au Cameroun, et qui définit le scenario de la défaite de l’Armée régulière camerounaise. Voici en six points ce qui marque donc la défaite des FNC :
- La durée du conflit. La guerre a été déclarée par Paul Biya, aux Anglophones à sa descente d’avion le 30 novembre 2017. La promesse, devant ce qui alors étaient uniquement des ‘vandales’, ou alors pour parler comme le tyran lui-même, ‘une minorité’, était évidemment que ceux-ci seraient rapidement mis en déroute par son armée qui a le soutien de la ‘majorité de la population’, qui compte plusieurs centaines de personnes et est équipée de chars, des lance-roquettes, des hélicoptères, et autres, qui ont été mis en mouvement depuis septembre 2017. Or depuis lors, les FNC ne font qu’accumuler des cadavres – une note vient d’annoncer l’enterrement d’une trentaine de soldats morts –, tandis que les jeunes anglophones qui avant-hier étaient étudiants sont devenus vipers, ont eu des armes et eux qui hier demandaient des balles les ont eues. C’est si grave que les soldats abandonnent leurs propres camarades morts dans la brousse, aux asticots et aux charognards, tandis qu’on retrouve leur cadavre jeté en route, la tête coupée et le bangala sectionné. La durée de la guerre est un acide qui démoralise les troupes régulières, à qui Biya est obligé comme nous avons tous vu, de donner en bonus 30,000Fcfa par mois par-dessus leur salaire de 80,000FCfa, pour qu’elles aillent se battre, qu’il transforme donc en mercenaires, en de gens qui ne se battent plus que pour les ronds.
- Le rééquilibrage des forces militaires. L’équilibre militaire est chamboulé évidemment quand l’Armée régulière obtient un armement plus sophistiqué – par exemple, la bombe à neutron, la bombe atomique –, pour se fabriquer une force de dissuasion telle que l’ennemi ne puisse plus imaginer entrer en conflit avec lui. Ce qui est fondamental est que, la république du Cameroun étant incapable de se fabriquer un simple fusil de chasse ou une balle, elle compte totalement sur les puissances étrangères pour lui vendre toutes les armes dont elle a besoin. Ici la prise de position de l’ambassadeur américain est essentielle. Elle sera suivie par celle de l’Angleterre dont le Parlement s’est déjà aligné, et sans doute des Etats du Commonwealth, ce qui fait que la France dont Macron soutient le tyran camerounais se retrouvera très vite seule. Or à la différence de Poutine en Syrie, Macron ne donnera jamais une arme décisive – bombe atomique, à neutrons, chimique – à Biya. Dans sa guerre aux Anglophones, ce dernier n’a donc pas de force de dissuasion absolue à la Assad, et ne l’aura jamais.
- L’absence de cette force de dissuasion absolue fait que les FNC, comme jadis les FANCI, se retrouvent, pas à pas au même niveau militaire que les vipers qui entretemps se promènent librement dans les rues des villes vidées de vie avec des MR762 en main. Les hommes de Biya doivent ainsi se battre avec les mêmes genres de fusils, que ces jeunes qu’ils ont devant eux, et qui sont les jeunes dont ils avaient brulé les bendskins il y a juste trois mois ! L’équilibre des forces est ainsi très vite établi, et c’est cet équilibre qu’a mentionné si bien l’ambassadeur américain quand il parlait de ‘crimes commis deux côtés.’ L’Armée américaine malgré toutes les guerres qu’elle mène a-t-elle jamais été accusée d’avoir commis des crimes similaires à ceux de ses adversaires, les talibans par exemple ? Jamais de notre vie ! La reconnaissance des FNC comme égales aux vipers dans la criminalité de la Deuxième Guerre civile camerounaise, c’est la nullification de la prééminence morale de l’Etat camerounais, qui ainsi aura perdu pas seulement son monopole de l’usage de la force, mais aussi sa mainmise administrative sur le territoire camerounais. La vue pathétique de gouverneurs, de préfets, ou de sous-préfets impuissants, captifs ou en chemise pare-balle en plein défilé du 20 mai, ce jour sanglant de la fête de l’unité, devant un espace vide de foule est le visage le plus palpable de cet échec, c’est-à-dire, du fait que l’Etat camerounais ne commande plus toutes ses populations, dont une partie, anglophone, visiblement lui désobéit vertement.
- L’égalité de facto des armes psychologiques. La force de la diaspora d’un pays étant proportionnelle à son caractère tyrannique, notre pays émacié se retrouve ainsi avec la diaspora anglophone la plus socialement solide qu’il y ait, mais surtout la plus organisée, noyautée qu’elle aura été depuis 1990 par la SCNC, nébuleuse exclue du jeu politique dominé au pays en zone anglophone par le SDF, mais qui aura cependant toujours été le socle d’accueil des Anglophones quittant le pays, et de laquelle est évidemment née la république fédérale d’Ambazonie. C’est extraordinaire simplement de voir l’assise institutionnelle, et donc morale, de la diaspora anglophone – docteurs, médecins, enseignants d’universités, juristes chevronnés, économistes, banquiers y compris de la Banque mondiale, hommes d’affaires, vétérans de l’armée et de la police, etc. – qui soutient la guerre contre les FNC, surtout quand nous savons que celle-ci a rapidement eu les moyens de se constituer une organisation d’intervention parapluie avec un exécutif respecté à travers la terre, l’Interim Government, et s’est même donné une chaine de télévision très suivie! Extraordinaire aura aussi été de voir l’implantation de ses messages sur le terrain par des réseaux pirates, malgré la censure du Minpostel, ce qui égalise absolument les forces de propagande, et donc, annule l’avantage qu’aurait eu le pouvoir qui a mis les médias du pays au pas de guerre dès 2017 – dès 2014 d’ailleurs.
- La défaite des FNC est donc aussi morale, car la fondation du monopole de la violence d’Etat est assise sur le respect des lois internationales qui lui donnent une légitimité – par exemple la convention de Genève sur le traitement des prisonniers, sur le traitement des soldats, par exemple la définition du crime de guerre, et autres. Or les FNC qui devant nous commettent la torture comme sur ce ‘général’ ambazonien sans doute liquidé après, qui fusillent des civils en masse comme à Santa, incendient 73 villages en cinq mois, violent des paysannes et des étudiantes, volent de la nourriture des populations, se promènent avec des cartes d’identité civiles, devant nous cessent pas à pas de se prévaloir de la supériorité morale qu’une Armée nationale a sur une milice au service d’un tyran, pour devenir, comme les FANCI en 2011, des forces pro-Biya – qu’elles sont du reste, parce que tribales dans leur recrutement, et francophones dans leur fondation d’assaut.
- Il n’est pas facile de mettre une Armée régulière à genoux quand son ennemi a commencé les mains nues, sinon avec l’arbre de la paix en main, mais seulement huit mois auront suffi ! Pour y parvenir il aura fallu pousser les FNC écervelées à utiliser contre les Anglophones, les techniques utilisées contre Boko Haram, leur seul adversaire armé depuis 1970, y compris l’accusation de ‘terrorisme’, ce qu’elles ont fait et continuent de faire – and it backfires completely ! Et cela se retourne totalement contre elles ! Il aura fallu obliger des jeunes soldats qui sont des salariés, le Cameroun ayant une armée de métier, à se battre avec les vipers qui ne sont pas payés, qui ne sont pas distingués de la population, et donc obliger des soldats de bureau qui voulaient se la couler douce en gombos après admission tribalement biaisée au concours d’entrée à l’EMIA, à se perdre dans les forêts du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qu’ils ne maitrisent pas et dont ils ne parlent pas la langue. Depuis novembre 2016, la Deuxième Guerre civile camerounaise se déploie sur le terrain de la guérilla qui ainsi, rend toute déclaration de victoire prématurée. Cette déclaration de victoire devient impossible, parce qu’ici le tyran est en guerre contre son propre peuple. Il n’y a pas d’autre chemin que la défaite – reprise du dialogue interrompu par lui seul en décembre 2016, libération des plus de 700 prisonniers anglophones, amnistie des condamnés anglophones donc, et démilitarisation de la région anglophone –, pour un homme âgé aujourd’hui de 85 ans, qui a pris le pouvoir le 6 novembre 1982 de manière absolument pacifique, qui plus est au bout de douze ans de paix véritable – ‘le Cameroun se porte bien !’, déclarait-il alors, ce qui était devenu chanson de propagande – et qui le quittera de toute évidence dans un bain de sang.
Quelle défaite ! Quelle défaite ! Quelle défaite !