La Cour suprême du pays a ouvert l’année judiciaire 2023 dans un contexte de tensions autour de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo. Alors que l’opinion publique nationale et internationale se mobilise pour que justice soit faite, le gouvernement de Yaoundé semble jouer à la sourde oreille en faisant du sur place sur un dossier qui accable plusieurs personnalités de la république et dans lequel le patron de la Justice est cité nommément.
La Justice camerounaise est depuis quelques semaines sous le feu des projecteurs. Elle subit plus que jamais une pression, on dirait un test alors que l’opinion nationale et internationale demande que justice soit rendue autour de l’assassinat du journaliste Martinez Zogo au mois de Janvier 2023. La mobilisation autour de cette actualité aura certainement contribué à la décision du président Paul Biya d’instruire une commission mixte d’enquête chargée de faire toute la lumière autour de ce tragique événement.
À ce jour, de nombreux suspects ont été arrêtés, gardés à vue et sont exploités par les membres de la commission d’enquête dans les services du Secrétariat d’État à la défense (SED). Le problème est que depuis l’ouverture de cette enquête, l’opinion observe plusieurs incongruités et ne cesse d’interpeller la Justice à faire son travail. Ici, les réseaux sociaux servent de cadre idéal pour cette opinion de déverser son courroux. On pourrait donc mieux comprendre le choix du thème de l’ouverture de l’année judiciaire 2023 au Cameroun. Ainsi, « La Justice camerounaise face à l’éclosion des technologies de l’information et de la communication » est une façon pour la Cour suprême, de mettre en garde, cette opinion qui n’entend pas reculer.
Ouvrant les travaux le 22 février 2023, Daniel Mekobe Sone, le premier président de la Cour suprême, a évoqué les risques encourus par ceux qui propagent les fausses nouvelles sur les réseaux sociaux en invitant les magistrats à les réprimer. « La répression des cybercriminels et des multiples délinquants qui écument les réseaux sociaux, se présente comme une urgence pour notre pays», a martelé Daniel Mekobe Sone lors de son allocution.
L’impunité des infractions commises sur les réseaux sociaux et la transformation de ces espaces en des tribunaux populaires et virtuels constituent une double préoccupation pour le premier président de la Cour suprême. « Le temps de la justice n’est pas forcément celui de l’opinion publique, encore moins celui des réseaux sociaux », a-t-il précisé.
Une sortie qui s’inscrit bien avec l’actualité du moment. La justice camerounaise est appelée à traquer et à punir conformément à la loi de la république, tous les acteurs impliqués dans l’assassinat du chef de chaine de la radio Amplitude FM à Yaoundé. Un assassinat on ne dirait pas comme les autres dans la logique où ce n’est pas le premier du genre, mais c’est celui qui sonne comme la fin de la récréation pour les populations. Mais surtout, celui qui implique directement de nombreuses personnalités reconnues. Le colonel Justin Danwe, Directeur des opérations de la Direction générale du renseignement extérieur (DGRE) et chef du commando ayant piloté l’enlèvement puis l’assassinat du journaliste Martinez Zogo a reconnu les faits non sans citer les noms de certains hauts responsables de la république. Parmi les personnalités citées, Laurent ESSO, le ministre de la Justice garde des Sceaux et proche de l’homme d’affaires Amougou Belinga (en garde à vue au SED). Il est reproché au ministre Laurent Esso d’avoir, ordonné de “finir le travail” pour se référer à l’exécution du journaliste après sa torture. C’est justement ce qui courrouce l’opinion qui exige que le ministre mis en cause soit interpellé et entendu sur le sujet; lui qui n’a jamais donné une position officielle sur cette accusation. Un mépris selon les populations qui ne baissent pas la garde de la pression et qui viennent de lancer sur les réseaux sociaux une pétition appelant à la démission du ministre de la Justice Laurent Esso. Laquelle pétition enregistre déjà plus de 25.000 signatures. Depuis l’assassinat de Martinez Zogo en janvier 2023, les enquêtes n’ont pas encore révélé les coupables et l’opinion redoute de voir ce dossier classer comme les autres évoquant un choc de puissances et de relations entre les principales personnalités impliquées. C’est donc face à cette mobilisation que la Cour suprême par le biais de son Premier président suggère une application ferme de l’arsenal juridique existant par les tribunaux et une mise à jour de la législation camerounaise pour adapter les lois à l’évolution des technologies. Pour une première fois depuis le début de cette affaire, le ministre de la justice s’est présenté au public lors de cette rentrée de la cour suprême. Répondant à une question de journaliste, Laurent Esso a laissé entendre qu’ “il y a la justice telle que voulue par la presse, et la justice qui est le contenu des dossiers que le magistrat examine. Parfois il y a tout un monde d’écart”. Loin d’apporter des clarifications sur un dossier aussi brûlant, la rentrée judiciaire 2023 s’est plutôt érigée en une plateforme de mise en garde de l’opinion publique nationale et internationale mobilisée sur les réseaux sociaux.
Entre autres faits marquants l’audience solennelle de rentrée de la Cour suprême au titre de l’année 2023, les réquisitions présentées par le Procureur général près la haute juridiction. Luc Ndjodo a axé sa réflexion sur la problématique de la coexistence de la publicité et du secret dans le fonctionnement de la Justice au Cameroun.
Yves Modeste NGUE