Le 23 Août 2022, le Chef de l’État camerounais a signé une lettre circulaire relative à la préparation du budget de l’État pour l’exercice 2023. A l’analyse, il s’agit d’une revue à la baisse des grandes ambitions et autres grandes réalisations que Paul Biya disait avoir pour le Cameroun en 2011 après le comice agro-pastoral d’Ebolowa, allant par exemple dans le sens de la construction d’une usine à tracteurs sur place au pays en vue de booster la production locale. Après avoir multiplié la création des usines à gaz et autres éléphants blancs, le président camerounais se résout maintenant à recommander l’importation de ces équipements. Je m’en vais livrer dans cette note quelques raisons pour lesquelles la politique de l’import-substitution telle qu’appliquée par le gouvernement est vouée à l’échec et ce qui aurait pu bénéficier des « hautes directives » du chef de l’État dans un pays normal.
Politique de l’import-substitution
Je me propose d’abord d’expliquer la politique de l’import-substitution en vue de permettre au lecteur de comprendre la mauvaise foi qui existe dans la lettre du président camerounais. Quand on parle d’import-substitution, il s’agit d’une politique d’industrialisation par substitution des produits importés par les produits locaux. Cela veut dire que l’on passe des importations à la production locale. Le but est de n’importer que ce que l’on ne produit pas ou ne peut pas produire localement. Pour ce faire, l’on décourage les importations et encourage la production locale. Concrètement dans la loi des finances, cela suppose d’une part, l’augmentation des droits d’assise sur les produits importés que l’on peut fabriquer localement en vue de les rendre moins compétitifs par rapport aux produits locaux, et d’autre part l’attribution des mesures incitatives à la production locale. Toutefois, le défi est de maintenir l’équilibre des prix sur le marché dans la mesure où le bénéficiaire reste le consommateur à ne pas sanctionner.
Analyse critique
On peut se demander si ce n’est pas ce que prévoit la lettre circulaire du président camerounais. En effet, on y retrouve une mesure portant sur « la suppression des exonérations sur les importations portant sur les produits fabriqués localement ou disposant de substituts locaux, ainsi que celles nuisant au développement de certaines filières, afin d’encourager leur production locale et leur compétitivité ». Cela signifie que non seulement le gouvernement n’appliquait pas les droits d’assise les produits importés, mais il les subventionnait même à travers les exonérations, ce qui a contribué à détruire le tissu économique local. Dans le secteur de l’élevage porcin par exemple, ce genre de mesure a décimé le secteur dans une région comme celle de l’Est où 88% des éleveurs répertoriés en 2010 avaient abandonné le secteur en 2020. En 2023, le gouvernement camerounais promet de lever les subventions sans augmenter les droits d’assise, ce qui ne résoudra pas le problème de la non-compétitivité de la production locale. La seule vertu sera, comme l’observe aussi le FMI, de faire baisser la corruption dans la mesure où ces subventions étaient un mécanisme de détournement des deniers publics à travers la réception du versement des commissions et des rétro-commissions. Le consommateur n’en avait jamais bénéficié. Par exemple, lorsque le kilogramme du riz sortait du Port Autonome de Douala à FCFA 165 entre 2008 et 2018, le consommateur ne l’avait jamais acheté autour FCFA 200. Le prix avait toujours été au-dessus de FCFA 400, comme le prix du riz produit localement.
On peut lire aussi dans cette lettre-copier-coller des années antérieures que le gouvernement devra en 2023 « orienter la commande publique en biens et services vers la production locale, notamment dans la filière « bois », à travers l’acquisition d’une part significative des équipements mobiliers des administrations publiques auprès des entités de production locale ». Plus loin, on peut lire qu’il faut « accélérer la politique d’import-substitution, à travers notamment la mise en œuvre du plan de soutien à la production et la transformation des principaux produits d’importation (riz, maïs, blé, soja, mil, sorgho, poisson, lait et produits pharmaceutiques) (…) la poursuite de la politique de l’import-substitution à travers le renforcement des incitations fiscales au profit des investissements visant la production et la transformation locale des matières premières (…) l’allègement de la charge fiscale sur les biens d’équipement et de production importés (…) le réajustement des droits et taxes de douane sur certains biens importés, afin de promouvoir leur remplacement graduel par les produits fabriqués localement ». Le chef de l’État camerounais s’attaque aussi aux manuels scolaires et instruit son gouvernement de « poursuivre l’opérationnalisation de la Politique nationale du livre, du manuel scolaire et des autres matériels didactiques travers l’élaboration et la mise en œuvre des textes d’application de la loi N ° 2021/024 du 16 décembre 2021 portant organisation et promotion de la filière du livre ». Comme on dit au Cameroun, le « vieux a tué avec ça ». Allons-y point par point :
- Nous nous félicitons déjà que le gouvernement ait pris la pleine mesure de la nécessité d’appliquer enfin la politique de l’import-substitution et d’exprimer sa volonté de faire produire localement. Cela signifie que notre mobilisation n’est pas vaine. Le problème qui demeure est qu’ils prennent cela du mauvais bout. Le but de notre prochaine mobilisation est de les pousser à rentrer dans l’orthodoxie.
- Une lettre circulaire de mauvaise foi : Le président camerounais ne peut pas rabâcher chaque année des mesures déjà prises antérieurement sans évaluation. Si Paul Biya n’évalue pas son gouvernement d’années en années, qui le fera à sa place ? Je donne deux exemples : En ce qui concerne la filière bois qui l’intéresse, la Fédération camerounaise de bois (Fécabois) avait déjà trouvé anormal depuis les années 2015 que l’on continue d’importer des meubles dans l’administration camerounaise alors que l’on disposait localement l’expertise et la matière première nécessaires pour répondre à la commande publique. Il leur manquait uniquement certains types d’équipement. Le projet d’équipement monté à cet effet avait été financé par la Banque Mondiale à hauteur de FCFA 3,5 milliards. Ils ont dilapidé ces fonds à travers les réseaux de l’église catholique et les défuntes communautés urbaines de Yaoundé et de Bertoua. Paul Biya leur a fait quoi ? En ce qui concerne la politique nationale du livre et des manuels scolaires, le même Paul Biya avait nommé au poste de ministre de l’éducation nationale il y a 24 ans un proviseur de lycée. Tout le monde était content. Le type n’était pas encore dans la mafia. Il a relancé l’imprimerie CEPER à Yaoundé qui a produit les collections « Champions ». Les livres coûtaient environ FCFA 1000 aux parents. Tous les parents étaient contents. Bizarrement, c’est le MINEDUC qui n’aura pas passé un an à son poste. Le même Paul Biya l’avait viré pour le remplacer par les « ennemis de la République » qui n’ont pas tardé à fermer CEPER pour reprendre avec les importations des manuels scolaires. Ils ont fermé CEPER avec ses machines jusqu’aujourd’hui. Les parents déboursent désormais plus de FCFA 3000 pour acheter un livre à leurs enfants. En 2021, l’enthousiasme du Premier Ministre l’avait conduit à exiger de la Commission nationale en charge des manuels scolaires d’assurer 50% d’impression des livres localement. Ils l’ont envoyé balader et il n’a rien fait. En 2022, le pauvre fils de Ndian n’a plus « tenté le diable » et 100% des manuels scolaires ont été imprimés à l’étranger au grand dam des imprimeries publiques et privées disponibles au pays. J’y reviendrais assez largement parce que l’édition, l’imprimerie et la librairie dont il est question représentent un marché d’environ FCFA 600 milliards au Cameroun. Ce n’est donc pas une mince affaire. La question réelle est de savoir ce que Paul Biya ferait en 2023 si l’on n’appliquait pas sa lettre circulaire. Le connaissant, nous pouvons dire à l’unisson qu’il ne fera RIEN ! S’il faisait quelque chose, alors les membres de son gouvernement ne s’amuseraient pas autant !
- Absence d’autorité pour faire appliquer la politique d’import-substitution : Le commerce international est une affaire de gros intérêts. En 40 ans de règne, Paul Biya a montré son incapacité à faire appliquer la politique de l’import-substitution. Il cède régulièrement sous pression des lobbies étrangers. Je prends aussi quelques exemples pour illustrer mes propos : La présidence de la République avait validé contre l’avis des négociateurs et autres économistes camerounais (et africains) la signature des accords APE avec l’UE. La nullité des lettres circulaires du Président camerounais relatives à la préparation du budget est que le gouvernement ne peut pas augmenter les droits d’assise sur les produits importés sans dénoncer certains accords économiques. Comme on dit au Cameroun, Paul Biya « nous embrouille le cerveau » avec sa lettre qui n’est pas applicable en l’état actuel de la législation en vigueur. Je voudrais indiquer qu’une telle lettre avait déjà existé en 2021 et que la loi des finances avait simplement intégrer une exonération fiscale de 7 ans pour la banane de France produite au Cameroun et une exonération pour les préfabriqués comme les bétons d’Italie ayant permis la construction du stade d’Olembé à Yaoundé. Paul Biya savait très bien que cela ne servait à rien à l’économie nationale. Il savait déjà qu’il fallait produire localement le riz, le blé, l’huile de palme, le maïs, etc., que les Camerounais consomment au quotidien. Nous devons donc veiller à présent pour que de telles mesures ne reviennent plus dans la loi des finances 2023 et pour qu’elle contienne plutôt des mesures propices à l’économie camerounaise.
- Faute technique : Le Cameroun est dans une situation de sous-production structurelle. Contrairement à ce qui est annoncé dans cette lettre circulaire, il n’est pas envisageable de supprimer les exonérations sur les produits importés sans au préalable prendre des mesures idoines pour la production locale. Il faut plutôt réguler le marché et s’assurer que ces subventions bénéficient pleinement aux consommateurs. Dans les années 1980 sous le régime militaire, le Nigéria avait essayé une telle mesure de suppression brutale des importations et avait plutôt aggravé la crise sociale. Ce pays en a tiré les leçons. Ils ont plutôt conditionné le bénéfice des exonérations sur certains produits importés par l’apport des preuves de l’investissement dans la production locale. Ce faisant, ils ont transformé progressivement leurs importateurs en producteurs locaux en garantissant la stabilité du marché. Dans un contexte de déficit structurel au niveau national, il serait suicidaire pour le Cameroun dès 2023 de stopper les exonérations sur les produits importés sans au préalable encourager la production massive au niveau local. C’est pour cela qu’en prélude à la politique fiscale de 2023, le gouvernement devait commencer dès à présent à encourager la production du riz, maïs, blé, etc., pour le deuxième cycle de l’année 2022. Puisque ce n’est pas le cas, nous sommes fondés de dire que la politique de l’import-substitution en 2023 est déjà vouée à l’échec. Il faudrait travailler pour plus tard !
- Faute stratégique : Comme on dit au Cameroun, le président de la République « a gratté là où ça ne démange pas ». S’il voulait promouvoir la politique de l’import-substitution, il aurait touché à certains points spécifiques. Je vais en citer quelques-uns. Par exemple, le point sur le foncier. Comment va-t-on promouvoir la production massive au Cameroun lorsque la terre n’appartient pas au Camerounais ? En 2020, il y avait environ 114 Unités Forestières d’Aménagement (UFA) qui appartenaient aux étrangers et qui concentraient l’essentiel des terres arables du pays. Allez-y savoir pourquoi l’horloge de la réforme foncière est restée bloquée au Cameroun depuis 1974 (depuis 48 ans). Pour faire simple, il n’y aura pas de réforme agraire possible au Cameroun sans réforme foncière préalable ! Aussi, comment les paysans vont-ils financer l’agriculture si l’État de leur pays ne reconnaît pas leur propriété foncière susceptible de garantir leurs prêts ? Tout ce qu’on demande à Paul Biya, c’est de prendre une ordonnance pour reconnaître que la terre appartient aux autochtones en vue de leur ouvrir l’accès au système financier et à l’assurance agricole. Comment voulez-vous que les jeunes s’intéressent à l’agriculture sans sécurité sociale ? Quel jeune ingénieur agronome laissera-t-il le travail dans la fonction publique ou les multinationales où il a la protection sociale pour se lancer dans la production locale où il n’a pas de statut ?
- Pas d’industrialisation sans recherche et développement (R&D) et donc, sans innovation. Si réellement Paul Biya aimait le Cameroun et exprimait sa volonté de booster l’Agriculture en 2023, il devait plutôt ordonner à son gouvernement d’augmenter le budget de l’innovation qui représente environ 0,5% du budget national. Par exemple, le taux de mécanisation est de 2% au Cameroun depuis plus de 40 ans. Vous comprenez que ces gens qui nous gouvernent n’ont aucune envie que l’on produise localement un jour. Ils ont enterré l’usine d’Ebolowa avec 1000 tracteurs qu’ils auraient pu mettre à la disposition des producteurs locaux. Comment peut-on faire pour produire massivement sans mécanisation ? Le MINADER indique depuis 2021 qu’il existe 200 000 hectares de terre rizicole au Cameroun prêtes à la culture : mais, comment fait-on pour cultiver 200 000 hectares en un cycle de 3 mois sans mécanisation ? Comment fait-on pour transformer les produits locaux sans machines ? On nous explique qu’il faut exonérer les équipements sans nous dire que cela n’est pas à la portée des jeunes camerounais. Par exemple, un simple séchoir d’une capacité de 5 tonnes par jour qui permettrait de réussir la transformation locale des tubercules en farine panifiable, coûte environ 1,5 million d’euro. Quel jeune entrepreneur peut-il prendre le risque d’un tel investissement à ses débuts ? Quelle banque accompagnera une telle folie ? Et pour montrer qu’ils ne sont pas sérieux du tout, ils ont créé ce 23 août 2022, une plateforme des producteurs de farine en excluant les meuniers qui disposent déjà des infrastructures nécessaires. C’est-à-dire qu’ils investissent pour créer une énième Usine à gaz au fameux MINEPAT qui en fait désormais sa spécialité. J’y reviendrai largement dans le cadre d’un autre rapport parce qu’il s’agissait-là du détournement des idées que nous avions proposées et de l’utilisation abusive de notre image dans cette affaire foireuse. En opposant les artisans aux industriels, c’est comme si l’on choisissait de mettre un vélo en compétition avec un avion. Imaginez vous-mêmes le résultat. J’y reviendrais en détail. En 2022, le taux d’utilisation des semences améliorées n’est que de 3%. Si le gouvernement camerounais était sérieux, alors il augmenterait le budget de la recherche. Comment allez-vous réussir la production locale sans investir massivement dans l’augmentation de la productivité. Les semences améliorées peuvent permettre de multiplier la production locale par dix ! Mais alors, on attend quoi ? Le peu de semences qui existent est distribué à contre saison comme si l’intention était de ne rien produire du tout !
- Non promotion du « made in Cameroon » : Que faut-il encore pour organiser un autre comice agro-pastoral au Cameroun ? Est-ce si compliqué ? En attendant, le Mincommerce avait prévu dans le budget 2022 la bagatelle somme de FCFA 341 millions pour aller visiter les autres foires à travers le monde en vue de promouvoir le « made in Cameroon ». Massa! Ils le font depuis des décennies au lieu de dépenser localement cet argent pour changer le mindset des Camerounais. Le Président Camerounais fera-t-il comment pour réussir durablement la production locale lorsque les Camerounais consomment étranger ? Si l’on avait un million de tonnes de riz de Yagoua disponibles au Cameroun, qui achèterait ? Qui achète le peu que l’on cultive ? Vous comprenez pourquoi nous disons souvent que le gouvernement nous copie sans comprendre le mécanisme de fonctionnement de l’import-substitution. L’on ne peut pas encourager la production locale sans investir dans le changement de la représentation que les consommateurs ont des produits locaux. Cela passe par la création de toute une Agence nationale dédiée au Made in Cameroon. C’est un enjeu de communication majeur.
Bref, nous aurons l’occasion de faire un rapport beaucoup plus détaillé sur la production locale au Cameroun d’ici au vote du budget 2023 en novembre prochain. Nous ne laisserons pas le gouvernement tranquille jusqu’à ce que les mesures idoines soient prises. Heureusement que ces gens risquent de se faire balayer par une crise sociale qu’ils auraient eux-mêmes provoquée. L’indice de prix publié par l’INS pour le premier semestre 2022 indique que le renchérissement du coût de vie se poursuit. Jusqu’à quand ? L’avenir nous dira.
Louis-Marie Kakdeu
Membre du Shadow Cabinet du « Social Democratic Front » (SDF)
Économie, Finances et Commerce.