Pour lui-même, c’est parce que Laurent Gbagbo, son ex-patron à la présidence de la République, n’a pas su reconnaître ses sacrifices. Mais pour d’autres, c’est parce que l’ancien directeur de protocole de Gbagbo bloquait à son profits les aides que le président faisait pour soulager la détresse de nombre d’Ivoiriens qui le sollicitaient, mais aussi parce que son train de vie gênait le discours d’austérité de son ex-patron … Tout ceci est sans doute vrai. Sauf que la vraie histoire de la chute d’Eugène Allou est ailleurs. L’un de ses proches nous l’a racontée.
La fin de l’histoire de l’ancien directeur de protocole de Laurent Gbagbo est certes dramatique, ponctuée de crises de colère parfois incompréhensibles contre son ex-patron mais cela dit, elle avait bien commencé. Cette histoire a en effet pris toutes les caractéristiques d’une ascension fulgurante. Car Eugène Allou était un modeste administrateur du siège du FPI avant de devenir l’homme incontournable de la galaxie Gbagbo et l’affranchi d’une présidence ivoirienne qui a gardé ses souvenirs, de l’aveu même de ceux qui l’y ont côtoyé. Comme un éléphant dans une maison de porcelaine, Allou y a fait d’énormes dégâts. Ses victimes s’en souviennent encore. Aussi bien ceux qui en parlent pour se soulager que ceux qui n’ont que le silence pour méditer et y puiser quelques réflexions sur la méchanceté humaine.
Directeur du protocole en remplacement de la figure mythique de Georges Ouégnin, Eugène Allou a connu en effet des années de gloire à la présidence. Il avait en effet tout pour se sentir hors de portée de toute menace : des années dans l’ombre de l’amitié du chef associées à une grande complicité. Parfois, l’ex-directeur du protocole s’est cru plus grand que son employeur. Certes Abidjan bruissait plus des rumeurs des nuits arrosées que le directeur de protocole de Gbagbo s’offrait ainsi que de celles des voitures rutilantes qui transportaient ses vamps. De toute façon, Gbagbo avait réussi à avaler des couleuvres bien trop dangereuses que celles-là. Car Eugène Allou était un homme de fêtes qui arpentait les couloirs aux lumières tamisées et un brin tourbillonnants des boîtes de nuit. Sa grande amitié avec l’actuel ministre de l’intérieur Hamed Bakayoko viendrait de là. Finalement, Eugène Allou s’est lui-même offert une boîte de nuit cinq étoiles à Gagnoa, cédée par ses temps de vaches maigres à un jeune footballeur qui l’a rachetée cash. Mais Laurent Gbagbo n’a jamais bronché. Tout comme sur la porche et les nombreuses voitures qui rendaient le garage familial minuscule…
Cela dit, le directeur du protocole avait un autre défaut. Il n’aimait pas aller au travail. Ses weekends commençaient en effet le mercredi jusqu’au prochain lundi. Sa destination favorite était Arrah où il avait son ami que nous nous garderons de citer puisqu’il n’est pas l’objet de cet article. Eugène Allou oubliait alors son travail à la présidence, auprès d’un patron qui se demandait pourquoi il était plus régulier hors de son bureau qu’à la présidence. Un jour, Laurent Gbagbo s’en plaignit directement à son épouse, enfin son ex-épouse qui vit désormais en France. Celle-ci fit le retour mais ne put jamais changer les habitudes de son époux qui répondait qu’il n’avait pas de leçons à recevoir de son patron.
Vint alors la disgrâce. Lorsqu’il eut envie de le virer, sans l’en informer, Laurent Gbagbo donna des instructions à son ministre des affaires étrangères qui n’était alors que Gervais Kacou pour le faire savoir à Eugène Allou. Ce jour-là, Eugène Allou était encore à la présidence où il était à table avec Laurent Gbagbo lorsque son téléphone sonne. Son interlocuteur l’invite à le rencontrer. Ce qu’il fit en quittant la résidence du couple présidentiel. « Le président m’informe de vous annoncer qu’il a décidé de vous affecter dans un pays étranger comme ambassadeur ». La surprise est grande pour Allou. Il retourne à la présidence en toute hâte pour le reprocher discrètement à son patron. « Même si j’ai fait quelque chose de grave, tu aurais dû m’en parler d’abord. Comme ça, je pourrais m’expliquer ». Mais Laurent Gbagbo botte en touche. « Je vais te permettre de tenter une autre expérience », lui répond-il, décidé à ne pas fléchir. Pour essayer de conjurer le mauvais sort, le directeur du protocole se fait alors interviewer par Notre Voie, le journal du parti dont il est aussi le directeur de la publication. Il y explique qu’il n’avait pas connaissance de sa prochaine affectation et que le président Gbagbo prendrait le temps de l’en informer si telle était sa décision. Quoiqu’il en soit, il n’hésiterait jamais à travailler avec lui partout où il plaira au président de l’affecter. On le voit, l’enjeu est ailleurs mais la tentative n’est pas fructueuse et l’affectation au Cameroun est confirmée. Allou ne s’en remit jamais ni émotionnellement ni du point de vue des privilèges qu’il s’était taillé à la présidence. Et il suffoque visiblement. Mais ses habitudes ne changent guère. Voyant que le message du président n’était pas passé, son épouse le quitte et s’installe en France. Elle revient à Douala lorsque le président y est de passage. L’ancien directeur du protocole, lui, en profite pour faire connaître au président Gbagbo ses états d’âmes. Il lui explique qu’il aimerait être affecté en Italie. « On verra ça lorsqu’on sera à Abidjan », lui répond Gbagbo qui n’est pas du tout emballé par la proposition de son ex-compagnon.
Mais Eugène Allou ne veut pas se le faire répéter une deuxième fois. Une fois à Abidjan, il explique au ministre des affaires étrangères que le président de la République avait donné son accord pour qu’il soit affecté en Italie. Celui-ci entreprend alors les démarches, envoie un courrier de présentation à l’Italie qui répond en donnant son accord. Le ministre des affaires étrangères informe dès lors le président de la République de l’issue de ses démarches, lui indiquant que l’Italie avait donné son ok pour la nomination de l’ancien directeur du protocole comme le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en Italie. Laurent Gbagbo entre alors en colère puisqu’il n’est pas au courant et n’a pas donné son accord. « Qui commande ici ? », tonne-t-il. Le ministre des affaires étrangères est confus. « Etant donné vos liens avec lui, j’ai pensé que vous lui aviez donné votre accord. Je m’en excuse ». Gbagbo ne s’arrête pas là. Il demande à son ministre de saisir par un autre courrier l’Italie pour l’informer du contre-ordre. Celui-ci est bloqué. Allou se charge alors de faire intervenir ses proches pour que le président de la République fasse droit à sa demande et accepte qu’il soit affecté en Italie. Mais Gbagbo refuse à nouveau, prenant sur lui d’informer l’Italie que le besoin de changer d’Ambassadeur n’avait pas été dûment exprimé. Contraint de regagner le Cameroun, l’ancien directeur de protocole participe donc activement à la chute de son ancien patron en dépit de l’excellente communication qu’il sert sur la question des caisses d’armes découvert au Cameroun et devant atterrir à Abidjan. Le reste, on ne le sait que trop..
Sévérine Blé
Source : Aujourd’hui |N°600 du Mardi 18 Mars 2014