Aujourd’hui, alors que l’Etat algérien vient de mettre en place un vaste programme de construction de parcs industriels, la presse algérienne rappelle que c’est le premier acte allant dans le sens d’une réindustrialisation du pays décidée par un gouvernement algérien depuis les années 1970, depuis les années de socialisme donc. Politique d’Etat qui, à l’époque, avait vu la naissance d’une ébauche de tissu industriel national, laissé en grande partie à l’abandon et au pillage dans les années de « libéralisation » …et de terreur, après la mort de Boumedienne et la montée au pouvoir de Chadli, les manifestations de 1988 et le « printemps » (déjà !) d’Alger qui s’en est suivi. « Printemps » qui déboucha sur une libéralisation échevelée, sur le retour des « Afghans », Algériens formés au Pakistan dans des camps créés sous l’égide de la CIA et qui aboutit à la création d’un islamo-takfirisme d’importation avec, en finale, un coup de force militaire qui allait entraîner une décennie de quasi-guerre civile …décennie de terreur aveugle et en apparence incompréhensible qui facilita, entre autre, le pillage des biens publics en détournant les regards du peuple de la défense de ses intérêts économiques et de ceux de son Etat.
Retours en arrière
Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Algérie, Etat représentant un enjeu essentiel pour l’avenir de toute l’Afrique, il faut d’abord rappeler à quel point ce pays tenace malgré toutes ses dérives se trouve situé par la force des choses dans l’oeil du cyclone. Il nous faut d’abord revenir un peu en arrière. A l’indépendance, le pays était exsangue, l’Etat était quasi inexistant et l’armée n’était encore qu’un regroupement de guérillas plus ou moins fatiguées et plus ou moins contrôlées par la direction d’un Front de libération nationale établie en partie à l’extérieur des frontières. Il faudra, par-dessus les graves divergences de départ, toute la mobilisation et la poigne de fer des dirigeants des deux premières décennies d’indépendance pour construire une administration et lancer le pays dans une politique volontariste de développement.
Il faut aussi se rappeler que, dans les derniers moments de la guerre d’Algérie, des militaires français d’origine algérienne avaient fait défection pour rejoindre l’Armée de libération nationale.
Opportunisme de la vingt-cinquième heure ou envoi en service commandé de la part de la puissance coloniale qui n’avait pas l’intention de quitter tout à fait le pays ? Nous n’avons pas encore la réponse exacte à cette question mais un faisceau d’indices semble montrer que, dès l’indépendance, le ver était dans le fruit. Et que la poigne d’un Boumedienne sut retarder l’échéance en créant une cohésion nationale qui allait résister malgré tout à la débâcle des années 1980/1990. Car en 1962, pour construire une armée moderne, les dirigeants de l’Algérie indépendante ne pouvaient se passer du savoir-faire de militaires de carrière formés par la force des choses dans l’armée française, et ils ne pouvaient pas non plus se passer des conseillers techniques français chargés encore après 1962 de « préparer » le pays à l’indépendance et de former ses futurs cadres. Car la France avait laissé comme héritage à l’Algérie quasi-entièrement alphabétisée en arabe de 1830 un analphabétisme massif dû au saccage systématique de ses écoles traditionnelles et à son remplacement par un système scolaire chétif chargé de former une très mince couche « d’indigènes » alphabétisés dans la seule langue du colonisateur. Pour ces raisons, Alger dut bien tolérer encore quelques années sur son sol la présence de bases militaires françaises et la poursuite d’essais atomiques …dont des Algériens paient encore aujourd’hui l’œuvre de mort dans le silence assourdissant des médias. Avec ces contraintes et pour imposer néanmoins son indépendance, l’Algérie contrebalança cette présence à la fois indispensable et envahissante par celle de conseillers venus du tout le camp socialiste et par l’imposition de méthodes dictatoriales qui neutralisèrent les vélléités des agents potentiels de la « Françafrique » au sein de l’Etat et de l’armée.
Est-ce un hasard si, à la mort (certains parlent d’assassinat …) du président Houari Boumedienne, plusieurs chefs militaires issus de l’armée française et ayant tardivement rejoint l’Armée de libération nationale parvinrent à acquérir une influence notable dans les rouages de l’Etat ? Et si, à la même période, l’Algérie renonça à son « orientation socialiste » et à poursuivre le rôle mobilisateur qu’elle jouait au sein du « Front du refus » face au sionisme et à l’impérialisme ?
Quoiqu’il en soit, la pente inaugurée au début des années 1980 devint vite une glissade abrupte lorsque, après avoir réprimé dans le sang les manifestants de 1988 qui protestaient contre des pénuries et des hausses de prix venues à point nommé pour justifier la fuite en avant généralisée de l’Etat dans une libéralisation tout azimut, économique d’abord, accompagnée ensuite très vite du lancement d’un pluripartisme intégral aussi soudain qu’irresponsable. Qui eut surtout pour effet d’éliminer à la fois les tenants du socialisme au sein des instances de l’Etat et les tenants d’une « réislamisation culturelle » de la société qui s’opérait à l’ombre de l’Etat et dans l’esprit d’un islam d’ouverture. Au profit des « afghans », intégristes takfiristes purs et durs revenus des champs de bataille d’Afghanistan et des camps d’entraînement de la CIA au Pakistan. Ceux-ci lancèrent soudainement la création du Front islamique de Salut qui lança une campagne virulente de démagogie contre le régime, contre les partis laïcs mais aussi contre les réislamisateurs modérés. Ce parti champignon bénéficia des subsides venus des pétromonarchies conservatrices2 et, au moins au début, de complaisances de la part de certains cadres de l’Etat, jouant sur la rivalité « laïcs/intégristes » où les deux camps étaient en fait, explicitement ou implicitement pro-occidentaux et opposés au socialisme, dans un climat délétère provoqué par les premiers scandales de corruption massive où l’on ne posait plus la question du développement autocentré, de la solidarité effective avec les mouvements de libération du tiers-monde et du contrôle social des moyens de production et d’échange. Où la privatisation faisait désormais consensus entre les « démocrates », les « islamistes », plusieurs généraux en cour et des affairistes de tous bords. L’idéologie illusoire du petit propriétaire se répandit d’autant plus facilement dans cette société qu’elle avait été tenue à l’abri des effets réels du capitalisme depuis deux décennies et qu’elle n’avait en conséquence pas bien pu prévoir ni le piège de l’endettement ni la mondialisation du capitalisme avec ses effets délétères sur toutes les économies nationales indépendantes. Il suffisait pourtant de regarder dans les pays voisins pour savoir ce que le capitalisme réel offrait à un pays du tiers monde.
Et l’Algérie de Chadli sur laquelle se refermait le piège de l’endettement manipulé par le biais de la fixation des prix mondiaux des matières premières, laissa ses frontières ouvertes aux importations massives de biens de consommation sans lendemain, assurant par le fait même l’enrichissement accéléré d’une bourgeoisie commerçante compradore qui s’appuyait sur les désirs de consommation désormais effrénée d’une masse d’Algériens frustrés jusque là par des années de contrôle socialiste des pénuries et de distribution plus ou moins égalitaire des biens que le pays pouvait se payer sans renoncer pour autant à investir priotiraiement dans son développement. Ce qui eut aussi pour effet de drainer vers l’extérieur les richesses accumulées en Algérie au cours du quart de siècle d’indépendance. Années au cours desquelles la main de fer de l’Etat avait déjà réprimé les premières tentatives de détournement des biens publics de la part de fonctionnaires parvenus sans conscience. Nouvelle bourgeoisie née souvent de réseaux incestueux avec les centres de pouvoir de l’Etat et l’armée, liée souvent aux élites « francophones » et généralement francophiles aussi, et de ce que l’on allait commencer à appeler en Algérie « l’Etat profond », au sein duquel se concentrent les privilégiés sans scrupules selons les uns, les défenseurs d’un minimum de continuité d’un Etat en déliquescence selon d’autres. « Système » dont il est difficile de mesurer l’ampleur et les limites, en particulier depuis les politiques « d’ouverture » qui ont multiplié les possibilités de liens individuels avec les puissances capitalistes, et en conséquence, les possibilités de corruption.
Le basculement vers la corruption du grand marché mondialisé
Citons comme exemple révélateur de ces métamorphoses, le cas d’Abdelhamid Temmar, poursuivi en 1975 dans une affaire de corruption alors qu’il dirigeait une entreprise publique de fabrication de papier …dont on retrouve aujourd’hui le nom à l’occasion du scandale actuel de Sonatrach. Cet homme fait partie de ce qu’on appelle le « clan des Oujdiens »3 qui défrait aujourd’hui la chronique. Promu, on n’ose trop comprendre pourquoi vu son passif, « ministre des privatisations », c’est lui qui organisa le bradage des entreprises publiques algériennes qui étaient rentables et qui n’auraient donc jamais dûes être privatisées mais qui furent néanmoins vendues dans des marchés conclus de gré à gré, comme par exemple, l’usine de jus d’abricots N’gaous, l’hôtel de luxe Riyadh et des dizaines d’autres sociétés. On estime que toutes ces privatisations ont rapporté au trésor public algérien moins d’un milliard de dollars US alors que les économistes évaluent aujourd’hui à plusieurs milliards la valeur réelle des biens vendus.
La décennie noire a facilité en fait la confiscation de beaucoup de biens publics au profit de personnages de l’ombre alors que la population, terrorisée par les égorgements de masse, de femmes et d’enfants en particulier, se terrait dans la peur et n’avait pas la force ou même le temps ne serait-ce que d’observer le pillage des biens publics, des machines, des usines, des équipements, des biens immobiliers. Terrorisme de masse venu donc au bon moment pour les pilleurs, les bradeurs et les destructeurs des restes de l’Etat socialiste. Terrorisme qui, comme par hasard, n’a presque jamais visé aucun Etat arabe conservateur aligné sur les puissances impérialistes malgré la masse des problèmes sociaux qu’on y rencontre4. Temmar fait partie du clan5 qui défrait les chroniques actuelles en remontant jusqu’à l’ex-ministre de l’énergie et des mines algérien, Chakib Khelil. Un clan pour lequel un journaliste algérien, Tayeb Belghiche, pose la question « Au delà même de la prédation, l’on s’interroge si cet homme et son « clan », pour reprendre les termes utilisés par Chakib Khelil, n’ont pas délibérément gangrené le pays afin de l’affaiblir et d’en faire une proie facile pour ses ennemis. Dans ce cas, on serait bel et bien dans une affaire de haute trahison planifiée et orchestrée dans d’autres officines. Car ce « clan » n’a aucune attache avec l’Algérie. D’ailleurs, Temmar criait toujours sa volonté de se faire enterrer à New York… » (El Watan 07/08/2013). Opinion qui rejoint celle sur les graves menaces extérieures pesant sur l’Algérie qu’on peut entendre aussi bien dans les milieux de la gauche sociale et anti-impérialiste algérienne, en particulier dans la bouche de Luiza Hanoune, députée et dirigeante du Parti des travailleurs, que chez des nationalistes et chez certains islamistes lucides qui ne sont pas tous passés avec armes et bagages au service des pétromonarchies corrompues et de leurs intérêts privés.
De Temmar passons aux têtes de l’affaire Sonatrach II. L’ex-ministre Khelil qui, en plus d’être citoyen algérien est aussi semble-t-il citoyen des USA, est sans conteste le grand responsable de la dilapidation du pétrole algérien. Il a même tenté avec constance jusqu’à sa chute toute récente de vendre tout le sous-sol algérien à des intérêts basés aux USA. En fuite dans sa patrie d’adoption, il est désormais l’accusé n°1 dans l’affaire Sonatrach II. Il fut inamovible pendant la décennie écoulée au cours de laquelle son arrogance à l’égard de ses collègues du gouvernement démontrait qu’il se croyait au-dessus de tout, ne devant sans doute à ses yeux rendre de compte qu’à sa seconde patrie d’outre-atlantique.
Mondialisation oblige, c’est par le biais d’un triple citoyen, algérien, français, canadien, résidant à Dubaï, Farid Bedjaoui, que, via l’Italie, le scandale a été ébruité. C’est en effet le Corriere della Serra qui vient de révéler que cet ex-bras droit et homme des contacts périlleux de Chakib Khelil, ayant été soumis à une enquête au cours de laquelle il n’a pas bénéficié du soutien des autres membres de son « clan », a finalement décidé de faire des révélations en remontant jusqu’à l’ex-ministre tout puissant. La société Saipem, filiale du groupe pétrolier italien ENI, est soupçonnée d’avoir versé des pots-de-vin à des cadres supérieurs de la Sonatrach pour obtenir des contrats d’une valeur totale de 8 milliards de d’euros. Ce qui a entraîné en Italie la démission puis l’arrestation de Pietro Varone, l’ex-PDG de Saipem. L’argent de la corruption passait sur des comptes basés à Hong Kong, à Singapour, au Liban et à Panama. Comptes dont Farid Bedjaoui était le propriétaire, en tant qu’agent indispensable de la corruption dont profitait tout un réseau, avec apparemment à son sommet l’ex-ministre. Aujourd’hui, c’est cinq mandats d’arrêt internationaux qui ont été émis par Alger contre des acolytes de Farid Bedjaoui, eux aussi des Algériens possédant des doubles citoyennetés, ce qui les rend difficilement extradables. L’enquête menée en Italie semble avoir forcé à éclaircir les choses en Algérie. La première affaire Sonatrach avait néanmoins éclaté en 2009 suite à des enquêtes menées par la sécurité d’Etat algérienne, le Département de la Recherche et de la Sécurité, le fameux DRS, et qui avait abouti alors à l’arrestation de plusieurs cadres supérieurs parmi lesquels Mohamed Meziane, l’ex-PDG de Sonatrach, que le ministre Khelil avait longtemps cherché à défendre.
Farid Bedjaoui est également poursuivi au Canada pour avoir récolté des pots-de-vin permettant à une entreprise canadienne de gagner des parts de marché en Algérie. Son clan, dont il était le promoteur attitré, possédait également des avoirs importants aux USA. Une équipe du FBI a mené une enquête sur ce réseau à Alger fin 2012 début 2013. On est étonné de constater à quel point les agents objectifs algériens d’intérêts étrangers ont pu croire dans le soutien inébranlable de leur parrain d’outre-Atlantique alors que la liste est longue des anciens dictateurs, militaires, affairistes de tous bords qui furent trahis par Washington, quand ils ne furent pas assassinés, dès lors qu’ils avaient cessé d’être utiles ou qu’ils commençaient à gêner la superpuissance à « la destinée manifeste ». Visiblement, les cours d’histoire n’ont pas été mieux assimilés par les affairistes algériens que par leurs alter ego des autres pays visés par l’impérialisme ! Ils auraient dû lire Macchiavel et pas seulement les cours de la bourse. Ces affairistes ont également négligé un autre aspect des choses, tant ils étaient habitués à n’avoir aucun compte à rendre à leurs compatriotes qu’ils considèrent avec leur arrogance de parvenus. C’est qu’il existe encore dans les démocraties occidentales, et malgré leur délitement très profond, non seulement des militants politiques mais également des fonctionnaires des appareils de justice ou de police qui croient toujours dans les obligations morales d’un système qui s’effondre pourtant aujourd’hui par pans entiers. Car il est contrôlé en définitive par une haute finance supranationale qui, elle, ne rend de compte à personne, ni à aucun peuple ni à ses propres agents d’influence et d’extorsion qui sont rétribués à la tache mais sans aucune garantie de soutien durable. Ce qu’on appelle les survivances de l’esprit civique expliquent néanmoins pourquoi des enquêtes aboutissent parfois et que des coupables peuvent être punis. Il en va visiblement de même en Algérie où la justice et les enquêteurs font en partie au moins leur travail, mais de cela, Chakib Khelkil et consorts semblaient encore moins convaincus que pour l’Italie ou les USA. Prolongement de l’esprit de « colonisabilité » tel qu’il fut formulé par Malek Bennabi ?
Si l’accusation visant Chakib Khelil semble étayée de façon assez crédible, il ne s’avoue pas vaincu et il a contre-attaqué en manipulant quatre journaux algériens arabophones (et donc les plus lus à l’intérieur) en leur faisant croire qu’il allait leur accorder de Washington D.C. où il se trouve actuellement un interview exclusive qu’il s’arrangea à organiser de telle manière que ces quatre journaux ont découvert le mercredi 14 août, que leurs trois autres confrères avaient, à quelques nuances prêt, publié le même entretien « exclusif ». Chakib Khelil y prétend qu’il n’est pas coupable. Mais, il accuse en des termes à peine voilés les dirigeants de Sonatrach, ce qui semble une menace à leur égard. Il plaide même en faveur des compagnies US coupables de malversations dans les années 2000 avec en particulier la fameuse Brown Roots & Condor (BRC), une société pétrolière dont 51% des parts furent détenues par Sonatrach et 49% par la compagnie US … Haliburton, dont l’un des actionnaires principaux n’est autre que Dick Cheney, l’ex-bras droit de Georges W. Bush. Or, l’affaire BRC n’a pas été uniquement qu’une affaire de corruption commerciale somme toute assez typique dans les relations des USA avec les pays du tiers-monde, mais elle a atteint le niveau d’une accusation d’intelligence avec une puissance étrangère, au profit des Etats-Unis. Dans ce contexte, on peut penser que la contre-attaque de l’ex-ministre algérien des mines bénéficie de quelques appuis outre-atlantique. A mettre en confrontation avec l’enquête menée par la FBI citée plus haut.
Des proches du Président Bouteflika, on cite même son frère, semblent avoir été également touchés par le scandale Khelil/Bedjaoui qui pourrait expliquer l’Accident vasculaire cérébral de ce dernier peu après avoir été mis au courant de l’ampleur du scandale qui pouvait à la fois sonner le signal d’un échec personnel qui risque d’être final, vu son état de santé, et de sa politique de succession visant à « civiliser » le système politique algérien. Accident dont il peine visiblement à se remettre, ce qui permet d’alimenter toutes sortes de rumeurs à Alger sur sa succession qui ne se déroule plus selon les schémas supposés jusque là, et qui pourrait faire entrer le pays dans une période de turbulences au moment même où les désordres et les ingérences extérieures se multiplient à ses frontières. Visant même parfois son territoire menacé à la fois par des commandos terroristes aux commanditaires restant dans l’ombre et par des drônes « non identifiés » rôdant à ses frontières méridionales et auxquels la défense anti-aérienne algérienne répond efficacement, preuve que ses chefs semblent décidés à maintenir la capacité de défense des intérêts de la nation, y compris en s’attaquant à des engins envoyés semble-t-il par le « partenaire incontournable » désormais installé au sud du pays7. Simultanément, c’est de l’essence et du kérosène algérien qui sont envoyés au Mali pour satisfaire les besoins de l’armée et de l’aviation françaises occupant ce pays. Montrer sa détermination tout en se rendant indispensable fait aussi partie des stratagèmes qui semblent permettre d’assurer sur le long terme une marge de manœuvre garante d’indépendance.
Liaisons extérieures dangereuses
Depuis le lancement de la « guerre contre la terreur », l’Algérie a été amenée à ouvrir ses portes à une coopération non seulement économique mais également militaire avec les Etats-Unis au point qu’une de leur installation militaire a pris ses quartiers dans le sud du désert algérien8. Les USA étant toujours à la recherche d’un pays acceptant de devenir l’hôte permanent de leur organe militaire d’opération en Afrique, l’AFRICOM, toujours basé pour le moment à …Stuttgart, en Allemagne. Coopération militaire entre Alger et Washington qui a fait grincer beaucoup de dents dans les milieux nationalistes algériens qui se manifestent avec constance au sein des instances dirigeantes. Car l’Algérie est en effet menacée dans son indépendance et son intégrité territoriale aussi bien par les pressions des puissances de l’OTAN qui ont organisé à ses portes la désagrégation de la Libye et du Mali et par un « ennemi intérieur » ayant des ramifications à l’étranger et qui peut avancer tantôt masqué au sein même des institutions officielles, tantôt à visage plus découvert, sous celui du régionalisme berbère, de l’intégriste takfiro-islamiste style pétromonarchique ou du démocrate libéral qui aime fréquenter les ambassades occidentales où il reçoit appuis et encougagements pour lancer un « printemps arabe ». Pétard mouillé pour le moment dans un pays qui a déjà expérimenté son propre « printemps » une génération avant les autres Arabes, et qui en est revenu. Est-ce du coup un hasard si, dans la foulée de l’intervention de la France au Mali, c’est un site de la British Petroleum situé au frontières d’une Libye désormais en déshérence et dépourvu, à la demande même de la compagnie (!) de toute protection militaire algérienne, que s’est produit la fameuse attaque terroriste d’In Amenas qui a vu en finale l’armée nationale réagir avec une rapidité telle qu’elle a provoqué dans un premier temps la colère de la Grande-Bretagne avant d’en obtenir ses félicitations convenues ? Et qu’on a découvert que, parmi les assaillants arrêtés, se trouvaient des Canadiens pas tout à fait « arabes » et ne correspondant au profil de « l’islamiste barbu » tant répandu dans nos « grands médias » ? On a même parlé de bateaux de la marine de guerre canadienne croisant aux limites des eaux territoriales algériennes.9 Canadiens dont on parle peu, les contentieux entre Etats fermes sur leur indépendance et sachant manier les rapports de force se réglant le plus souvent dans la discrétion des négociations entre chancelleries. Catégorie d’Etat à laquelle l’Algérie semble, malgré toutes ses faiblesses, toujours appartenir, ce qui ne plait pas à beaucoup de puissances occidentales, pas plus qu’à l’entité sioniste. Etat qui, en outre, accueille le plus grand nombre d’investissements chinois de toute l’Afrique, qui a repris une coopération militaire et économique avec la Russie, qui a beaucoup appris suite au drame que continue à vivre le peuple de Libye soit disant « libéré » et qui ne crit donc pas avec les loups dans le douloureux conflit provoqué de l’extérieur en Syrie.
En tout cas, cette opération terroriste aura permis à la masse des citoyens algériens de découvrir que des compagnies étrangères régnaient, ou croyaient régner, en maître au pays autrefois en pointe pour la nationalisation de ses ressources. Ces crises, si on les met en liaison avec le récent scandale Sonatrach II, permettent de penser que si certains souhaitaient faire prendre conscience à leurs compatriotes des menaces pesant sur l’indépendance à la fois économique et politique de leur pays à l’heure des interventions de l’OTAN dans tout le Sahara, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Un combat des ombres semble donc se dérouler pour le moment à Alger, en parallèle avec la montée ou la remontée d’une conscience civique qui a empêché jusqu’à présent l’Algérie de basculer dans ce qui n’est désormais plus que « l’hiver arabe » …hiver qu’elle a déjà expérimenté après 1988.
Est-ce aussi un hasard si, au même moment, la justice algérienne se lance dans l’établissement de plus d’un millier de procès-verbaux visant des infractions à la législation des changes suite à la constatation de l’existence d’un « pic alarmant » d’importations, en particulier de biens alimentaires et d’automobiles ? La nouvelle bourgeoisie affairiste compradore algérienne semble dans le viseur de certains cadres de l’Etat, alors même que d’autres se sont lancés dans l’importation de produits plus ou moins utiles et qu’on pourrait ou qu’on a produit autrefois en Algérie. En cette heure de fin de présidence, l’actuel locataire du palais El Mouradia étant affaibli par la maladie et les prochaines élections présidentielles devant avoir lieu en 2014, il semble que les tensions internes s’exacerbent en Algérie même, aussi bien que autour de l’Algérie, pays stratégique s’il en est, pour assurer une succession qui pourra ou bien voir le pays s’aligner en finale sur les règles de la mondialisation capitaliste ou bien y résister, …et continuer à se heurter dès lors à coup sûr aux manœuvres de diversions et de fragmentations déjà à l’œuvre chez ses voisins, au nom des droits de l’homme, des droits des minorités berbères ou du sempiternel conflit identitaire et stérilisant à souhait entre pseudo- « laïcs » et soit disant « religieux », etc …ou bien encore de toutes sortes d’autres problèmes ou hochets identitaires que l’on pourra inventer et qui visent à ce que le citoyen algérien de base, le peuple, en arrive à oublier l’essentiel, à savoir la question de l’indépendance et de l’intégrité territoriale qui seules peuvent être garantes d’une authenticité, d’un développement et d’un progrès social et culturel réels dans leur pays à l’heure de l’impérialisme mondialisé.
Source : Investig’Action – michelcollon.info