(LE SANCTUAIRE D’ETTY MACAIRE) – Un important Colloque international sur « la renaissance africaine et Afrocentricité » vient de se tenir à Abidjan. A cette occasion, nous avons sollicité le Professeur Boa Thiémélé Ramsès pour davantage de lumières. Le maître comme d’habitude a répondu à nos questions sans faux-fuyant. Entrevue.
Maître, ce Colloque est-il une suite ou une réaction à un autre colloque qui s’est tenu ici du 28 novembre au 1erdécembre 2011 ?
Ce n’est ni une suite ni une réaction au colloque de décembre 2011, organisé par le ministère de la Culture et de la Francophonie. Le colloque qui vient de se terminer est le résultat de la conjonction de 4 sources : le département de philosophie de l’université Félix Houphouët-Boigny, le Bureau des doctorants de ladite université, Afrocentricity Internationale décision Abidjan et le Centre Kemetmaat. Nous ne nous connaissions pas au départ. Quand j’ai eu vent du projet d’une conférence que préparait M. Traoré Adamade Afrocentricity International à l’occasion de l’arrivée en terre africaine des concepteurs de l’Afrocentricité, j’ai pris contact avec lui ; et au fur et à mesure de nos échanges, l’idée d’un colloque a vu le jour. Donc, des envies convergentes de débattre de l’Afrique sont nées concomitamment. Les idéesont été traduites en activités, en moins de deux mois. La présidente de l’université, qui a bien compris le sens de cette activité de réflexion,nous a soutenus en nous accompagnant financièrement. D’autres personnes de la société civile, des acteurs et amoureux de la culture et soucieux de l’avenir de l’Afrique ont apporté également leur aide multiforme.
Pouvez-vous nous éclairer sur la notion de « l’Afrocentricité » qui a été l’un des points saillants de ce colloque ?
C’est le fruit d’une nouvelle école de pensée née dans le cercle universitaire de Temple aux Etats-Unis, autour de la question de l’héritage africain dans plusieurs champs du savoir et surtout autour de la question de l’image africaine dans des configurations épistémologiques. C’est une approche intellectuelle fondée sur la centralité de l’expérience africaine. Ce nouveau paradigme a été systématisé par Molefi Kete Asante, un Africain Américain et sa collaboratrice Ama Mazama, une Africaine de la Guadeloupe. L’Afrocentricité a engendré des théories fondées sur la centralité de l’expérience africaine. Le critère ultime demeure pour elle l’Afrique. Quatre bases conceptuelles la constituent : le Garvéyisme, la Négritude, la Kawaida et l’historiographie de Cheikh Anta Diop. L’Afrocentricité n’est pas l’africanité ; être Noir ne fait pas de vous un individu afrocentrique. Mais porter positivement l’Afrique dans son cœur, en faire une promotion active, consciente et prendre l’engagement à faire preuve de grandeur et d’excellence, vous confère un statut Afrocentrique.
Vous disiez, il y a peu, que votre prise de conscience d’une lecture révolutionnaire et novatrice de l’Afrique s’est faite hors de l’Afrique. Pouvez-vous nous expliquer comment s’est opéré ce réveil ?
Jeune étudiant envoyé en France en 1982 pour préparer sa thèse de troisième cycle, j’ai eu la chance de rencontrer des Africains qui avaient une conscience panafricaine alors que nous avions été formés ici à Abidjan dans un nombrilisme arrogant, imbu de la certitude du fort et de la fierté du riche. Le milieu panafricain qui m’a accueilli m’a fait prendre conscience d’une lecture autre de l’histoire de l’Afrique, avec ses héros, ses résistants à l’impérialisme, mot à la mode à l’époque. Puis, j’ai découvert les idées de Cheikh Anta Diop qui invitaient les Africains à étudier leur passé pharaonique, non pas pour s’y complaire, mais pour en faire d’abord un outil de fierté et le fondement de la construction d’une Afrique forte, moderne et respectée.
C’est également loin de l’Afrique que les Négritudiens ont pris conscience qu’il faut réhabiliter l’identité noire. Alors, je me demande : du territoire africain est-il impossible de mieux lire l’Afrique ?
Non, pas du tout. De l’Afrique, une lecture libératrice est possible. Tout dépend des professeurs qui vous amènent à vous comprendre ou pas, du milieu qu’on fréquente, des livres qu’on dévore et des idées qui viennent à vous. Certains de mes condisciples qui sont restés au pays ont évolué vers une prise de conscience semblable à la mienne ; en revanche d’autres avec qui nous étions en France, sont restés sur une ligne que je qualifierai de « réactionnaire ». La maturation intellectuelle n’est pas forcément liée à un décentrement spatial.
Ce colloque participe-t-il à prendre une part active dans la « guerre » des idées au sujet du passé et du destin de l’Afrique ou s’inscrit-il dans les activités normales de votre département ?
C’est un peu des deux. D’abord, le département de philosophie a à son programme plusieurs colloques et journées philosophiques. Ensuite, nous devons nous impliquer de plus en plus dans la représentation de l’Afrique et produire des discours et idées alternatives. Ne plus déléguer aux autres le droit de nous penser à notre place et de nous dire ce qui nous convient. Leur « vérité » sur l’esclavage, sur la traite des Noirs, sur la colonisation ou sur les conflits africains n’est pas forcément la nôtre et n’a pas à s’imposer à nous. Ce qu’ils disent des crises africaines et de la culture africaine est à situer dans un particularisme eurocentré ou sinocentré. Pendant longtemps, beaucoup ont cru que c’était le seul discours valable sur l’Afrique. Je reprends à mon compte cette idée de Karenga, un des inspirateurs de l’Afrocentricité : « Aucun peuple ne peut placer son histoire et son humanité entre des mains étrangères et espérer être traité avec justice et respect. »
Lors d’une interview, vous avez affirmé ceci : « Le colosse africain se réveille petit à petit de sa torpeur. L’Afrique reviendra comme à l’origine. Nous allons reconstituer le corps démembré d’Osiris ». Voici que le maître, tel un prophète, annonce celui de l’Afrique. D’où tirez-vous cette conviction ?
Cette conviction vient d’une certitude intérieure et d’une lecture de la réalité africaine. Je lis les guerres et les crises comme des signes de vitalité et d’effort de refus de la fatalité. Cela peut paraître paradoxal. Mais ces crises sont l’expression du vouloir-vivre. Cette conviction, je la tire d’un sursaut d’optimisme, d’une confiance en soi et d’une lecture dégaoutique de notre présent.Nous sommes toujours présents ; d’autres peuples n’ont pu résister à la démesure. Mais nous sommes là, et nous vaincrons.
Le communiqué final du Colloque, affirme que « tout peuple qui s’appuie sur une langue étrangère est psycholinguistiquement aliéné et démotivé ; il navigue à vue et ne peut optimiser son génie créateur ». Des études existent, et pourtant nous en sommes toujours à faire des professions de foi quant à l’étude de nos langues.
Vous avez parfaitement raison. Des études existent. Il faut les traduire en action et en activités. Cet aspect politique, selon moi, échappe aux universitaires ou aux intellectuels. Il est du ressort de la volonté politique car les enjeux financiers sont au-delà de nos forces.
Ne craignez-vous pas qu’on vous reproche d’être partisans de l’idée d’une renaissance africaine qui s’appuie sur la mélanine ?
Nous sommes habitués aux détracteurs qui nous accusent souvent de racisme à rebours, d’enfermement dans les pyramides et de refus de l’Internet ou de l’avion. Ils nous dénigrent et tournent en dérision notre volonté de nous sortir du sous-développement. Le problème est que, bien souvent, quand nous disons d’aimer l’Afrique, des gens pensent immédiatement au racisme donc au rejet de l’autre comme si décider d’aimer son pays ou ses enfants c’est forcément haïr le pays voisin ou les enfants du voisinage. En fait, le problème est dans la conscience de ceux qui pensent mélanine et racisme chaque fois qu’on veut mettre l’Afrique au centre. Si dans leur tête, aimer l’Afrique c’est détester l’Europe, c’est parce que leur amour de l’Europe (ou de l’Amérique) est fondé sur le mépris de l’Afrique ou la haine de soi. Ils sont incapables de penser le fondement de l’amour sans recourir à la haine ou à la détestation. Enfin, ceux qui nous reprochent une Renaissance africaine qui s’appuie sur la mélanine sont à plaindre car ce sont eux le problème : au lieu de regarder à nos pensées, ils veulent exhiber la couleur de notre peau. C’est leur inconscient qu’il faut psychanalyser.
Le communiqué dit aussi : « Pour la Renaissance africaine, il est stratégiquement nécessaire de protéger les ressources minières, le patrimoine matériel et immatériel contre les prédateurs de tout acabit ». Avez-vous les moyens pour matérialiser ce souhait si important ?
Ce que nous avons dit relève de la bonne gouvernance dont les valeurs clés sont l’Etat de droit, la justice et la sécurité. Protéger la chose publique, c’est s’engager pour la sauvegarde du bien commun. Et cela ne relève pas forcément du politique. Une bonne éducation à la citoyenneté dispense à l’individu les informations, les principes et les valeurs lui permettant d’intervenir de manière responsable dans la gestion des affaires de l’Etat.Une société civile forte, une armée républicaine, une justice libre sont des moyens efficaces de protection de ces ressources. L’absence d’une armée républicaine, la corruption, l’analphabétisme sont toutes choses qui favorisent en revanche la dilapidation de ces ressources. Enfin, soyons objectifs : lesprédateurs ne sont pas forcément et toujours des gens extérieurs à l’Afrique. Parfois des fils d’Afrique dilapident ces richesses de manière éhontée dans une impunité totale et une inconscience incroyable.
Votre appel aux Africains, après le colloque.
Je voudrais rappeler un des points du rapport final du colloque, point qui m’apparait très important et qui nous situe sur une ligne prospective. Certes, il est bon de revenir à l’Egypte ancienne, mais Molefi Asante, Ama Mazama et Cheikh Anta Diop l’ont toujours affirmé : l’histoire, que nous savons en mouvement, exige la maitrise des outils scientifiques. Le point de ce communiqué final du colloque dit ceci : « L’appropriation de la science, de la technique, de la technologie, des outils modernes de savoir est capitale pour avoir un peuple éclairé par la connaissance et ayant confiance en ses capacités de création ».
Je vous remercie
Interview réalisée par Macaire Etty