L’audience suspendue pour faute de preuves

 Séka-Yapo-Anselme

Son message à Ouattara

Un peu plus d’une semaine après le début du procès des audiences criminelles, c’était au tour, ce jeudi 11 juin, de Séka Yapo Anselme dit Séka Séka de comparaître devant le Tribunal militaire à la salle de conférences de l’État-major au Plateau. L’ex-garde du corps de l’ex-Première dame Simone Gbagbo doit répondre de «violation de consignes, de meurtres du chauffeur du ministre Joël N’guessan, coups et blessures volontaires faites à l’élève officier Tchapo Nangui Jean Eudes et détournement de biens et de matériels militaires». Des faits qu’il aurait commis pendant la crise postélectorale entre 2010 et 2011. Après plus de 5 heures d’échanges, l’audience a été suspendue pour faute de preuves. Il était pratiquement 16 h 10 mn quand le président du Tribunal ordonna au Parquet militaire un supplément d’information. Dembélé Tahirou a invité Ange Kessi et son équipe à faire produire le certificat de genre de mort concernant feu Yapo Arsène, chauffeur du ministre Joël N’guessan. A défaut, Tahirou Dembelé ordonne l’exhumation du corps au fait d’autopsie et charge le Pr. Etté Helène à déposer son ou ses rapports dans un délai de 15 jours. C’est seulement après la production de ces pièces que les parties seront convoquées à comparaître à nouveau. C’est sur les chapeaux de roues que cette audience a débuté peu après 11 h après que le président Tahirou Dembelé a interrogé Séka Séka sur son identité et sur ses qualités. «Je suis Séka Yapo Anselme né le 2 mai 1973 à Adzopé de Séka Atsé et de Oho Adon Odette. Je suis officier de gendarmerie, ivoirien, marié et père de 4 enfants. J’étais domicilié à Cocody lycée classique mais aujourd’hui je suis sans domicile parce que je n’ai plus de maison. Je n’ai jamais été condamné», s’est-il présenté tenant le micro dans la main droite. Visage toujours mangé par la barbe, vêtu d’une chemise blanche longue et d’un pantalon jean bleu, Séka Séka n’hésite pas à dire sa part de vérité dans ce procès tant attendu.

SÉKA SÉKA NIE LES FAITS

Dans un silence de cathédrale, il s’est défendu pendant plus d’une heure devant amis, parents, frères d’armes et connaissances. A la barre, le commandant Séka Yapo Anselme a nié toutes les charges retenues contre lui. Il a indiqué ne pas s’être rendu coupable de violation de consigne, de meurtre, ni d’avoir tiré délibérément sur le lieutenant Tchapo Nangui Jean Eudes. Pour ce qui est de l’assassinat du chauffeur et de trois gardes de corps du ministre Joël N’guessan, il a fait savoir ne pas être au courant de cette affaire. «Il s’agit d’un fait dont je n’ai pas connaissance en ce sens que le 7 avril 2011, j’avais été commis pour aller chercher des vivres à Bingerville et récupérer Stéphane Kipré (gendre du couple Gbagbo, ndlr) et le ministre Désiré Dallo. Au cours du déplacement, nous sommes tombés dans une embuscade. Quand le calme est revenu, mes éléments m’ont fait savoir que le ministre Joël N’guessan s’y trouvait. Je suis venu et l’ai trouvé aplati. Il m’a dit qu’il est l’oncle de Stéphane Kipré. Après échange avec son neveu, il est monté dans un de nos véhicules jusqu’à la résidence. C’est avec surprise que j’entends le ministre dire que j’ai tué un de ses éléments», a-t-il raconté. Le Cdt Séka révèle avoir été entendu par la Cpi sur la mort du chauffeur de l’ex-ministre Joël N’guessan, à la barre jeudi. Le prévenu dit s’inscrire “en faux contre” les charges de “meurtre, détournement de deniers, violations de consignes”. ” Je n’ai pas violé de consigne car à l’époque des faits c’est Laurent Gbagbo qui avait prêté serment devant le Conseil constitutionnel, et moi je ne faisais qu’obéir aux ordres en ma qualité d’aide de camp de la Première dame”, a-t-il dit. «Je n’ai jamais entendu parler de ralliement. J’étais à mon poste parce que c’est Gbagbo qui a été déclaré par le Conseil constitutionnel. Je n’ai pas quitté mon poste. Demandez au général assis à vos côtés. (Ndlr : Il montre du doigt le général Kouakou Nicolas). Je n’ai pas violé de consigne», poursuit-il. Le ton monte. Le prévenu se laisse aller piétinant quelques simples règles du Tribunal. Aux questions du juge, Séka Séka répond également par des questions. Tahirou Dembélé le ramène à l’ordre sous le regard vigilant de son avocat. «Ici, c’est moi qui pose les questions et pas vous. Si vous continuez, je vous poursuivrai pour outrages», fait remarquer le président. Me Dirabou Mathurin (avocat de Séka Séka) se lève et vient calmer son client. Après quelques minutes, tout rentre dans l’ordre et le procès peut continuer. «Qu’on ne nous associe pas à la politique », «Qu’on ne nous associe pas à la politique. Moi, je suis gendarme et je fais mon travail», insiste-t-il. Concernant son passage à l’école de gendarmerie, il a indiqué avoir été dans ces lieux dans le seul but de prendre du carburant. C’est alors qu’il a entendu des tirs à rafales d’un élève gendarme à qui il a arraché l’arme. «Je suis venu et je n’ai pas trouvé de patron. Ils avaient fui. Moi, je ne peux pas fuir. J’étais venu dans le seul but de prendre du carburant. L’élève officier que je ne connaissais pas est arrivé de je ne sais où ; a pris une arme et a commencé à rafaler. Ne sachant pas les raisons, je l’ai approché et je lui ai arraché l’arme. Mais, c’est par inadvertance que le tir est parti. C’est un incident de tir», a-t-il dit. A une question qui lui a été posée sur ses comptes bancaires, le Cdt Séka a répondu : «J’avais 3 comptes à l’étranger : un aux Usa, un en France et un en Lettonie».

LES TÉMOINS CONFONDENT SÉKA SÉKA

Anselme-Séka-Yapo-et-son-avocatTour à tour les témoins vont passer le confondre. Le premier fut le capitaine Kouakou Kan Roland présent au camp d’Agban lors des faits «Je n’ai pas fourni de carburant au commandant Seka. Je vaquais à mes préoccupations lorsque j’ai entendu un coup de feu. Je suis sorti et renseignements pris, il m’a été dit que le commandant Séka a tiré dans les pieds de l’élève lieutenant Tchapo». Poursuivant, il a révélé avoir demandé au commandant Séka de quitter le camp, et s’est par la suite éloigné de ce dernier. Le lieutenant Tchapo André Jean, appelé à la barre, a indiqué que c’est lors de la vérification de son arme qu’un coup de feu accidentel est parti. «J’ai été ainsi appelé par le commandant qui m’a demandé de lui remettre mon arme. Ce que j’ai fait. C’est alors qu’il m’a tiré une balle dans le pied gauche et m’a dit ” c’est moi qui commande ici et rien ne doit se faire sans mon autorisation», a témoigné le lieutenant. Constitué en partie civile, il a demandé que justice soit rendue et qu’il soit dédommagé, car il a subi assez de pertes. Le ministre Joël Nguessan a, pour sa part, relaté les faits qui ont conduit à la mort de son chauffeur Yapo Arsène et de ses gardes de corps Frank Ndouba, Traoré Zié et Yacouba… A en croire le ministre, le 08 avril 2011, après avoir rendu visite à certains de ses proches dans la commune de Cocody, ils rentraient à la maison lorsqu’ils sont tombés sur une troupe de militaires conduite par le commandant Séka Yapo Anselme. «J’ai décliné mon identité et ils nous ont intimé l’ordre de nous coucher. Séka Séka s’est approché de nous. L’un de mes gardes de corps qui l’avait identifié nous a fait comprendre le danger que nous courions. Je me suis alors présenté comme étant l’oncle de Stéphane Kipré». C’est à ce moment, dira-t-il, qu’un coup de feu est parti tuant l’un des éléments du ministre. Un peu plus tard, il a entendu successivement trois autres coups de feu tuant les trois autres personnes avec qui il était. ” Je n’ai pas l’identité de ceux qui ont abattu mes trois gardes mais je peux dire que c’est Séka Yapo Anselme qui a tué mon chauffeur avant de mettre sa main dans le sang de ce dernier et de le frotter sur moi en me menaçant”. Qu’est-ce qu’il vous a dit ? Lui a demandé le juge.” Il m’a dit: “toi tu soutiens Alassane Ouattara, et ton neveu soutient Gbagbo, allons tu vas voir”, a révélé le ministre Joël Nguessan. Le ministre a, par ailleurs, expliqué qu’après cet acte, le cinéaste Sidiki Bakaba est descendu d’une voiture, a filmé le corps sans vie de ses compagnons d’infortune et a lancé : ” Waou! Belle patate”. Il a aussi révélé que ce dernier l’a menacé avec un pistolet en demandant au commandant Séka Séka de l’abattre, car le ministre venait d’être témoin de leurs actes. “Il m’a menacé de me faire la peau si jamais je révélais ce qui venait de se passer”. Sur insistance de Stéphane Kipré, présent sur le théâtre des opérations, Sidiki Bakaba a mis fin à ces menaces. Par la suite, a indiqué le ministre Joël N’guessan, il a été conduit à la résidence présidentielle avant d’être conduit sous ordre de Simone Ggabo, et à sa propre demande, chez le ministre Jean Konan Banny où il a passé la nuit avant de regagner son domicile, le lendemain matin accompagné par Gadji Celi et Séka Yapo Anselme qui lui a donné à cet effet un message pour le président Alassane Ouattara. ” Dites au président Ouattara que vous avez vu Séka Yapo Anselme en chair et en os et que vous êtes encore en vie”, m’a-t-il dit. L’ancien ministre des Droits de l’homme dit avoir témoigné pour trois raisons. Premièrement, pour avoir été ministre des Droits de l’homme, j’estime qu’on ne doit plus avoir d’impunité en Côte d’Ivoire, quelque soit le temps. Deuxièmement, il dit avoir tenu à témoigner pour qu’on sache que peut-être dans l’armée de Côte d’Ivoire, il y a certaines personnes qui ont besoin d’une éducation quant à la protection réelle des populations, et troisièmement, parce que, les quatre personnes qui ont été tuées lui sont très chères, invitant Séka Séka à libérer sa conscience en disant la vérité. «Il faut qu’il y ait réparation, justice. Je ne garde plus en moi aucune rancœur contre qui que ce soit. Si Séka Séka libère sa conscience peut-être qu’il sortira de sa prison personnelle qu’il s’est forgé au plan moral et au plan psychologique», a-t-il conseillé. Après des échanges avec ses collaborateurs, le président du Tribunal a mis fin aux débats du jour après confrontations entre l’accusé et les témoins. Il a appelé le Parquet militaire à respecter ses consignes afin que le procès reprenne dans les prochains jours avec les plaidoyers et le verdict.

Cyrille DJEDEJED

Source: L’Inter N°5100 du Vendredi 12 Juin 2015