Le juriste-politiste Geoffroy-Julien Kouaho ne veut pas rester en marge du débat autour de la révision ou non de l’article 35 de la constitution ivoirienne, qui fixe les conditions de l’éligibilité à la magistrature suprême. Dans une contribution qu’il nous a fait parvenir hier, il fait une lecture critique de cet article et de bien d’autres dispositions de la loi fondamentale.
L’ARTICLE 35 OU L’ÉLOGE DE L’ARCHAÏSME JURIDIQUE
La candidature à l’élection présidentielle de Bernardin Nago Yobo, 30 ans, au delà de la symbolique politique, a le mérite de mettre au grand jour l’archaïsme des articles 35 de la constitution et 55 du code électoral. En effet, ces deux articles écorchent le caractère universel du suffrage en Côte d’Ivoire, s’ils ne remettent pas en cause les principes démocratiques.
SELON L’ARTICLE 33 DE LA CONSTITUTION «LE SUFFRAGE EST UNIVERSEL… »
Le suffrage universel est né en réaction contre le suffrage restreint. Celui-ci renvoyait au suffrage masculin qui excluait les femmes ; au suffrage censitaire qui dépossédait les pauvres de leur droit électoral ; au suffrage capacitaire, mode de scrutin dans lequel le droit de vote est accordé aux citoyens en fonction de leurs capacités intellectuelles, par exemple avoir le BEPC pour être candidat. Avec le suffrage universel, toutes ces discriminations ont disparu. Les femmes, les hommes, les pauvres, les riches, les jeunes, les vieux etc. tous peuvent être électeurs et candidats. Or, selon l’article 35 de la constitution, pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut avoir 40 ans au moins. Une bien curieuse disposition constitutionnelle dans un Etat où 77% de la population a moins de 35 ans, âge limite de la jeunesse universellement admis. Notre République, à y regarder de près, est gérontocratique. La gouvernance politique, chez nous, est l’affaire des gens du troisième âge. Il serait heureux que le constituant ivoirien opte pour une révision de l’article 35 en fixant l’âge de l’éligibilité, par exemple, à 35 ans comme aux Etats-Unis et au Ghana, ou même, pourquoi pas, à 18 ans comme en France, notre modèle politique et social achevé. Quant à l’article 55 du code électoral, il impose, à tout candidat, un cautionnement de vingt millions. Le cautionnement, comme critère d’éligibilité, fait le culte de l’argent-roi et de la pauvreté un délit politique. Pour les idolâtres de l’argent- roi, l’élection du président de la République est une affaire hautement sérieuse pour que tout le monde y ait accès. Un filtrage millimétré s’impose. Et l’instrument de mesure approprié pour la circonstance, c’est l’argent. L’élite politique est, d’abord et avant tout, une élite bourgeoise. Dans un tel système, l’exclusion des masses populaires est flagrante et choquante. C’est nier toute intelligence politique aux économiquement faibles, les plus nombreux, dans un Etat pauvre comme la Côte d’Ivoire, au S.M.I.G inferieur à cent mille francs. Le paradoxe est éloquent. Chez nous, la pauvreté et l’engagement politique sont incompatibles. Le cautionnement rejette la légitimité comme critère de l’action politique au profit de la ploutocratie. Dans une démocratie moderne, le filtrage des candidatures à l’élection du président de la République se fait par le biais du patronage. En effet, le droit de présentation des candidats appartient aux citoyens détenteurs d’un mandat électif. C’est-à-dire les parlementaires et les élus locaux. Par exemple, en lieu et place du cautionnement, l’article 55 du code électoral pourrait être libellé comme suit : «tout candidat à l’élection présidentielle doit recueillir au moins 300 signatures d’élus d’au moins 20 régions, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’une même région.»
A l’analyse, les articles 35 de la constitution et 55 du code électoral font de la Côte d’Ivoire, moins une démocratie qu’une république gérontocratique et ploutocratique.
Geoffroy-Julien Kouao, Juriste-politique
N.B.: Les titres sont de la Rédaction
Source : L’Inter N°5154 du Vendredi 21 Août 2015