Tous les hommes politiques ont de l’ambition et rêvent de prendre un jour la place de celui au côté de qui ils servent la cause qu’ils ont choisi de défendre, parce que personne n’entre en politique avec pour seule ambition de servir un homme. Toute la subtilité de cette démarche réside dans l’appréciation des moments pour dévoiler leurs ambitions. C’est ce qu’on appelle le timing politique.
Pascal Affi N’guessan est un homme politique qui est arrivé au Front Populaire Ivoirien (FPI) en 1986, soit quatre ans après la création de cette formation politique qui opérait dans la clandestinité alors que son leader Laurent Gbagbo se trouvait en exil en France. Certaines confidences revèlent qu’à peine arrivé, Pascal Affi N’guessan s’était éclipsé pour revenir en 1988, et que c’est cet épisode de son engagement politique qui serait à la base de la méfiance que lui vouerait Simone Gbagbo.
Toujours est-il qu’il retrouve le FPI qui était toujours dans la clandestinité, ce qui inclinerait normalement à lui reconnaître un certain mérite dans une Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny où les opposants étaient traqués et dans laquelle les ivoiriens s’étaient, d’une certaine façon, résignés au parti unique et à ses dérives.
En 1990, deux ans donc après son retour dans le parti, le multipartisme est à nouveau autorisé en Côte d’Ivoire, et Pascal Affi N’guessan est élu maire de Bongouanou. Il est d’ailleurs le seul élu dans cette zone du pays historiquement hostile à Laurent Gbagbo qui y avait été présenté aux populations comme l’ennemi juré.
Peut-être est-ce pour cette raison que Laurent Gbagbo a fait confiance à Pascal Affi Nguessan ? Toujours est-il qu’il fait de ce dernier Son homme de confiance. Il sera son directeur de cabinet, et même son premier Premier ministre quand il devient président de la République. Cette nouvelle responsabilité de Laurent Gbagbo l’oblige à abandonner son poste de président du FPI car la constitution ivoirienne n’autorise pas de cumuler le poste de président de la république et celui de la présidence d’un parti politique. Il propose donc à Sangaré Aboudrahmane de lui succéder, mais ce dernier lui fait comprendre qu’il faut davantage responsabiliser la relève et lui propose Pascal Affi N’guessan. Gbagbo accepte et fait en sorte que celui qu’il a choisi soit le candidat devant lequel tous les autres autres prétendants doivent ravaler leurs ambitions, aussi légitimes soient-elles. Pascal Affi Nguessan est élu président du FPI. Nous sommes en 2001. Il le restera jusqu’à l’élection présidentielle de 2010 qui tourne au drame malgré la victoire du président Gbagbo qu’il soutiendra. Pascal Affi N’guessan qui avait été le porte-parole du président-candidat sera celui à qui Laurent Gbagbo confiera les missions les plus délicates. C’est lui qui ira à Addis Abeba où les deux candidats avaient été invités à se voir signifier les résolutions contraignantes du panel de chefs d’état mis en mission par l’Union Africaine pour trouver une solution à la crise ivoirienne.
Quand les résolutions de ce panel sont livrées et qu’un médiateur, José Brito, est désigné pour leur mise en œuvre, Ouattara prend ce qui l’arrange, rejette la médiation proposée, et déclare la guerre.
Alors qu’il devait faire un discours pour dénoncer le coup d’état, Pascal Affi Nguessan est violemment arrêté et conduit manu militari à l’hôtel du Golf, QG de Ouattara, pour être ensuite déporté à Bouna où il sera détenu pendant plus de deux ans.
Cette détention a beaucoup renforcé l’estime que les militants lui portaient, d’autant plus que Koulibaly Mamadou qui l’avait remplacé à la tête du parti avait beaucoup déçu. Il faut dire que Mamadou Koulibaly était vu par beaucoup de militants du FPI mais aussi par beaucoup de sympathisants de La Majorité Présidentielle (LMP) comme le successeur du président Gbagbo. La voie était donc tracée, libre pour Pascal Affi N’guessan, et il ne lui restait donc plus qu’à capitaliser ses atouts pour gagner définitivement le cœur des millions d’ivoiriens qui soutiennent le président Gbagbo.
Sa sortie de prison est un sans faute. Ses discours sont tranchants. Il rassure, galvanise, porte la parole du FPI à Abidjan comme à l’intérieur du pays où le peuple reprend espoir. Partout, c’est un accueil délirant.
Mais peut-être est-ce à ces moments-là que tout commence à se gâter et que le quiproquo prend forme ? Là où Pascal Affi Nguessan était acclamé parce que son discours était volontaire et sa détermination remarquable, contagieuse même, l’homme aurait-il cru que tous ces gens se mobilisaient pour lui, beaucoup plus que pour la cause qu’il portait ? Sans doute.
Dès lors, le discours change, et cela se perçoit vite car, plutôt que d’œuvrer à la libération de celui qui l’a fait connaître aux ivoiriens, il se bat désormais pour lui-même. Il souhaite que le FPI participe à l’élection présidentielle en pensant à lui-même. Il rêve et rêve tout haut. Un rêve démesuré, dira plus tard Sylvain Miaka Oureto, celui qui aura assuré pendant deux ans son intérim, et qui a été depuis 2001 jusqu’à la démission du président intérimaire Koulibaly Mamadou, le secrétaire général du parti, donc un homme-clé dans la vie du parti. Selon les statuts, le Secrétaire Général est celui qui anime le parti. Il est, de ce fait, en contact régulier avec la base. Et Miaka Oureto n’est pas seul car son Secrétaire général-adjoint pendant toutes ces années s’appelle Laurent Akoun qui deviendra le Secrétaire général quand Miaka prendra la direction intérimaire. Il est lui aussi remonté contre Pascal Affi N’guessan pour les mêmes raisons liées aux dérives relatives à la ligne du parti, à sa gouvernance et la stratégie pour faire aboutir ses revendications. C’est la rupture. La rupture avec eux qui sont en contact permanent avec la base, qui va entraîner la rupture avec la base elle-même. Tout ça parce que Pascal Affi N’guessan voulait être président de la République.
Mais à y regarder de plus près, on serait tenté de dire qu’il ne veut pas en réalité etre président de la république car une telle ambition, même si elle est d’abord personnelle, ne peut prospérer que si elle est portée par un parti ou un groupe organisé et uni autour d’un leader, car il faut d’abord rassembler son propre camp avant de prétendre rassembler le pays qu’on veut diriger. Le simple principe de réalité lui conseillerait pourtant une certaine prudence d’autant plus qu’il avait lui-même énuméré les conditions qu’il faudrait remplir pour espérer une participation du FPI aux élections.
On est, en tout cas aujourd’hui, encore bien loin du compte, et le temps qui sépare de l’élection présidentielle annoncée n’apportera très probablement pas de réponses satisfaisantes, d’autant plus que certaines situations paraissent désormais acquises pour le régime Ouattara. La Commission Electorale Indépendante (CEI) n’est plus une préoccupation pour Pascal Affi N’guessan alors qu’il en avait fait une des conditions pour aller à des élections. En juillet 2014, après sa rencontre avec le président français François Hollande, il avait notamment déclaré ceci : ” Il faut que certaines conditions soient réunies. Il faut notamment trouver un accord sur la Commission Electorale Indépendante (CEI) afin d’avoir l’assurance que les prochaines élections seront transparentes.” Il n’y a pas eu d’accord, et le FPI a même rejeté la CEI, et voté en Comité Central pour le retrait de celui qui avait été désigné par Pascal Affi N’guessan pour le représenter.
Les autres conditions ne sont pas non plus remplies puisqu’on parle de plus de 18.000 ex-rebelles dans la nature, et les Dozos n’ont pas regagné leurs zones traditionnelles, alors qu’il avait dit : ” Il faut que les milices, notamment les Dozos dans l’ouest, soient démantelées, que les FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, NDLR) soient encasernées, car la place de l’armée n’est pas dans la rue…”
Même la revendication majeure du FPI, qui cherche d’abord à rassembler ses forces, n’est pas satisfaite. Les prisonniers sont toujours en prison, les exilés en exil, les maisons occupées toujours occupées, beaucoup de comptes gelés encore gelés, alors qu’il avait dit : ” “Il faut que tous les prisonniers politiques soient libérés, que les exilés politiques puissent rentrer, que leurs biens leur soient restitués.”. La liste est longue.
Alors, pourquoi Pascal Affi N’guessan insiste-t-il ? Sur quoi compte-t-il réellement ? Quel but poursuit-il ? Où va-t-il ? Lors d’une réception des femmes du FPI le 14 Février 2015, il a déclaré ceci :”Je sais où je vais et là où je vais, c’est pour que le FPI reprenne le pouvoir d’Etat en 2015 “. Mais personne n’y croit, pas même lui. Il y a cependant une réflexion que m’inspire la démarche d’un homme qui a décidé de marcher seul, sans son parti.
Pour moi, et pour conclure, Pascal Affi N’guessan, en divisant son propre camp, et en insistant autant pour aller à l’élection présidentielle que compte organiser Ouattara dont il sait lui-même que les dés sont pipés, a créé la crise au FPI et l’a aggravée, mais il a surtout limité ses propres ambitions, volontairement. Il ne cherche donc pas à devenir président de la république. Il cherche plutôt à être auprès de Ouattara. Il veut juste exister et profiter du fait d’avoir légitimé, par sa participation à cette élection qui arrive, un homme installé par les bombes françaises.
Voilà, j’ai fini de parler.
Alexis Gnagno
Source : Facebook Alexis Gnagno