Soro-Ouattara

Le gouvernement ivoirien a décidé de modifier le code de procédure pénale pour le rendre conforme aux dispositions de Cour pénale internationale (Cpi). Ali Ouattara, président de la Coalition ivoirienne pour la Cpi (CiCpi), explique dans cette interview les implications de ce projet de loi dans les relations entre la Côte d’Ivoire et la Justice internationale.

Le gouvernement vient d’adopter un projet de loi qui intègre des dispositions nouvelles dans le code civil conformes au Statut de Rome instituant la Cpi. Cela satisfait-il la Cicpi qui milite dans ce sens?

Nous tenons à féliciter le gouvernement ivoirien qui a suivi nos recommandations sorties de notre atelier international organisé à Bassam du 17 au 19 juillet 2013. A l’issue de cette rencontre, nous avons remis aux autorités un avant projet de loi de mise en œuvre du Statut de Rome instituant la Cpi. Cet avant projet de loi, une fois adopté, devrait permettre à la Côte d’Ivoire d’avoir la souveraineté judiciaire de juger des crimes qui relèvent de la compétence de la Cpi. Nous sommes heureux de cette décision du gouvernement d’autant que toutes nos recommandations ont été prises en compte par ce projet de loi. Notamment l’abolition de la peine de mort dans le code pénal, l’imprescriptibilité des crimes, la définition des crimes de guerre, de génocide etc. C’est un grand pas posé par la Côte d’Ivoire dans le cadre de sa souveraineté judiciaire.

Cela signifie-t-il que la Cpi ne poursuivra-t-elle plus un Ivoirien soupçonné d’avoir des crimes graves ou des crimes contre l’humanité ?

La Cpi a été créée pour lutter contre l’impunité. Si un Etat qui a ratifié le Statut de Rome a la capacité de juger un présumé coupable de crimes graves, la Cpi ne va pas s’immiscer dans les affaires en cours devant les juridictions nationales. La Cpi est une juridiction subsidiaire des tribunaux nationaux qui n’intervient qu’en dernier ressort. Le préambule du Statut de Rome indique clairement que les Etats-parties ont la primauté dans les procès contre les présumés coupables de crimes graves. Mais si l’Etat signataire du Statut de Rome veut soustraire des présumés criminels des mailles de la justice en organisant des parodies de procès, la Cpi s’invite alors dans ses affaires. Cela veut dire que l’adoption d’une loi de mise en œuvre du Statut de Rome, comme l’a décidé le gouvernement ivoirien, permettra à la Côte d’Ivoire d’avoir la souveraineté de juger tous les auteurs présumés de crimes graves.

En clair, la Cpi n’émettra plus de mandat d’arrêt contre un Ivoirien si cette loi est adoptée ?

Il y a des mandats qui sont en cours contre des Ivoiriens depuis 2011. Comme il n’y a pas de rétroactivité au niveau de la justice internationale, ces mandats iront jusqu’au bout de la procédure. Maintenant quitte à la Cpi dans le cadre la coopération de voir avec la Côte d’Ivoire de voir ce qu’elle peut faire dans le cadre de ces mandats. En clair, il ne faut pas restreindre ce projet de loi à l’émission de nouveaux mandats. Il faut aller au-delà en voyant la coopération bilatérale entre la Côte d’Ivoire et la Cpi. Ne nous focalisons pas sur l’émission de nouveaux mandats. L’avantage de ce projet de loi, c’est l’Etat de droit, ce sont les citoyens ivoiriens qui gagnent dans ce sens surtout qu’il existe une mauvaise perception de certains leaders africains sur le rôle de la Cpi jugée de tribunal au service de l’occident. C’est une grande chance pour la Côte d’Ivoire d’avoir adopté ce projet de loi. Nous ne disons pas de façon catégorique qu’il n’y aura pas de nouveaux mandats contre des Ivoiriens. Ce qui est sûr, avec l’adoption de ce projet de loi, la Côte d’Ivoire aura la capacité de juger les présumés auteurs de crimes qui sont du ressort de la Cpi.

J’insiste sur ma question : aucun Ivoirien ne sera transféré à la Haye avec cette loi ?

Je ne peux pas dire systématiquement qu’aucun Ivoirien ne sera transféré à la Cpi. Il y a des conditions à remplir pour qu’aucun Ivoirien ne soit transféré à la Cpi. Si la Cpi se rend compte que la Côte d’Ivoire veut soustraire des criminels des mailles de la justice, elle interviendra en ce moment dans les affaires judiciaires du pays.

Puisque la loi n’est pas rétroactive, cela signifie-t-il que Mme Gbagbo doit être transférée à la Haye comme l’exige la Cpi?

Les faits pour lesquels Mme Gbagbo est jugée, ne sont pas ceux que lui reproche la Cpi. Il s’agira pour la Côte d’Ivoire de voir avec la Cour comment cette affaire sera conduite. C’est une question de négociation entre les deux parties pour l’exécution du mandat contre Mme Gbagbo. Dans le principe du droit international, on ne peut pas juger un suspect deux fois pour les mêmes affaires. Nous nous interrogeons si ce n’est pas pour cela que la Côte d’Ivoire

est entrain de juger Mme Gbagbo.

La Cpi a rejeté le principe d’irrecevabilité soulevée par la Côte d’Ivoire qui s’oppose au transfèrement de Mme Gbagbo à la Haye. La Côte d’Ivoire a interjeté appel à cette décision. Que va-t-il se passer si la Cour rejette cet appel ?

Seuls les juges de la Cpi peuvent vous répondre. Je n’ai pas de réponse à cette question.

Quels sont les critères de la Cpi pour juger qu’un procès est équitable ou inéquitable ?

Il faut que toutes les conditions soient réunies pour que les avocats de la défense puissent assurer son rôle. Il faut qu’avant, pendant et après les procès, toutes les choses se déroulent dans les règles de l’art. Mais les juges sont mieux placés pour répondre à cette question.

Quelle sera l’attitude d’Abidjan si la Cpi émet de nouveaux mandats avec l’adoption du projet de loi ?

Si la Cpi émet de nouveaux mandats, le régime d’Abidjan pourra dire qu’elle a la capacité de juger ces présumés coupables réclamés par la justice internationale si la loi est adoptée. Mais une chose est d’adopter la loi, une autre est de l’appliquer. Par exemple, la Haute cour de justice existe dans la Constitution mais elle n’est pas effective en pratique. C’est cette haute juridiction qui doit juger les personnalités comme le chef de l’Etat, les ministres etc. Si la loi de la mise en application n’est pas effective, la Cpi pourra toujours émettre des mandats contre des Ivoiriens. Avoir la capacité juridique signifie qu’il faut réunir tous les éléments, c’est-à-dire les structures, les lois, les ressources humaines, les procédures etc. Ce n’est pas parce que la Côte d’Ivoire a adopté la loi qu’il n’y aura pas de mandat de la Cpi.

La procureure de la Cpi, Fatou Bensouda, avait dit qu’elle poursuivait les investigations pour poursuivre d’autres présumés coupables. Que va-t-il se passer avec l’adoption de cette loi ?

Ces enquêtes vont se poursuivre car elles n’ont rien à avoir avec la loi de mise en œuvre. Il y a eu des enquêtes préliminaires avant même que la Côte d’Ivoire ne ratifie le Statut de Rome. L’avantage, il y aura une coopération entre la Côte d’Ivoire et la Cpi dans la conduite de ces enquêtes. Si la Côte d’Ivoire veut juger des présumés coupables de crimes graves, elle va demander des informations à la Cour pour obtenir des preuves suffisantes pour accabler les suspects.

La Palestine a ratifié Statut de Rome et la Cpi a décidé d’enquêter sur les allégations de crimes graves commis par l’armée israélienne dans les territoires occupés. La Cour sera-t-elle capable de poursuivre un dirigeant israélien ?

Nous sommes heureux pour la ratification du Statut de Rome par la Palestine. Cela ne fera qu’accroitre la lutte contre l’impunité dans le monde. Aucun Etat n’est au dessus de la loi, les mêmes dispositions de la Cpi vont s’appliquer à Israël. Le Premier ministre israélien peut dire qu’aucun dirigeant de son pays ne sera trainé devant la Cpi. C’est la réaction normale d’un homme politique mais la Cpi n’est pas une structure politique. C’est le cas du président soudanais Omar Béchir qui se promène malgré le mandat de la Cpi contre lui. La Cpi va émettre des mandats contre des dirigeants israéliens si elle a des preuves suffisantes, quitte à trouver les moyens pour que les suspects soient remis à la Cour. C’est le même cas que les mandats émis contre des membres de l’Armée de la résistance du Seigneur (Lra) en Ouganda dont un suspect est décédé sans avoir répondu de ses crimes. Ce ne sont pas les propos d’un homme politique qui vont empêcher la Cpi de faire son travail de justice.

 Interview réalisé par Nomel Essis

Source: L’Expression du Lundi 19 Janvier 2015