RFI | En Côte d’Ivoire, un certain nombre de sympathisants du vénérable Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ne comprennent pas pourquoi le chef de ce parti, Henri Konan Bédié, ne veut pas présenter de candidat à la présidentielle d’octobre prochain face au président sortant Alassane Ouattara. Parmi ces protestataires, il y a le journaliste et écrivain Tiburce Koffi, qui vient de publier Non à l’appel de Daoukro, paru aux Editions du Souvenir, ce qui lui a coûté son poste à la direction de l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle d’Abidjan (INSAAC). L’essayiste ivoirien répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
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Pourquoi avez-vous été choqué par l’appel de Daoukro, l’appel de Henri Konan Bédié, en faveur d’Alassane Ouattara ?
Tiburce Koffi : Parce que je ne le trouve pas justifié. Pour moi le rendez-vous électoral de 2015, c’est une bonne occasion pour nous permettre de rentrer dans la normalité politique avec des élections démocratiques et ouvertes à tous. Je ne peux pas comprendre qu’on dise, « non il ne faut pas qu’il y ait de candidat comme Ouattara », de candidat de poids bien sûr. Monsieur Ouattara doit aller en roue libre. En gros, la candidature unique tout court, comme sous Houphouët il y a 20-30 ans, mais dépassons ça. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Donc cet appel de Daoukro me paraît réfuter le spectre de la longévité au pouvoir et qui est préjudiciable à l’Afrique. Nos chefs aiment trop le pouvoir. Ils sont incapables de s’en détacher et de partir proprement. Mandela nous a donné des exemples, Mandela n’a fait qu’un seul mandat.
Mais cela dit, la Constitution ivoirienne offre à Alassane Ouattara la possibilité de briguer un second mandat comme dans toutes les grandes démocraties ?
Oui, il a le droit de briguer un second mandat. Mais le droit que je ne lui reconnais pas, c’est de vouloir être le seul candidat parce que dans l’état actuel de la vie politique en Côte d’Ivoire, il n’y a que le PDCI capable d’offrir des candidats de poids face à Ouattara. Si non il n’y en a pas, les autres partis sont démantelés. Je ne lui demande pas de ne pas aller, je ne refuse pas qu’il aille à l’élection. Mais je refuse qu’on empêche qu’il y ait des candidats de poids vis-à-vis de Ouattara.
Est-ce que le bilan d’Alassane Ouattara est positif ou négatif ?
A mon avis, il est positif. C’est ce que j’ai écrit dans mon livre. J’ai même dit que s’il avait eu le pouvoir dix ans plus tôt, peut-être que la Côte d’Ivoire serait dans son dixième, huitième pont [NDLR : sur la lagune à Abidjan] et qu’il a montré qu’il méritait de diriger ce pays. Il est digne déjà d’Houphouët-Boigny. C’est la position de Bédié que j’attaque. Je ne suis pas d’accord avec Monsieur Bédié. Ce qu’on appelle l’appel de Daoukro, ce n’est pas l’appel de Kongo.
Mais qu’est-ce qui vous dit que même si le PDCI ne présente pas de candidat, il n’y aura pas un adversaire de poids en la personne du représentant du Front patriotique ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo ?
Mais Laurent Gbagbo ne peut pas être candidat, il est en prison. Il ne sera pas libéré. Pourquoi voulez-vous faire de la politique fiction.
Mais il y a d’autres personnalités au FPI comme Pascal Affi N’Guessan ?
Affi N’Guessan ne peut pas être candidat vis-à-vis de Ouattara ! Le FPI a des difficultés. Le parti est en train de se déchirer. Je suis déçu de l’absence de Laurent Gbagbo parce qu’il manque à ce parti aujourd’hui un candidat charismatique. L’opposition ne représente rien en Côte d’Ivoire. Il n’y a plus rien. Financièrement, elle est essoufflée, physiquement elle a peur.
Oui mais le FPI, c’est quand même un grand parti qui a 25 ans d’âge et qui est capable de présenter un candidat qui fasse le poids ?
Ils ne peuvent pas….L’Afrique en est encore aux chefs charismatiques par qui le bonheur arrive. On en est encore à ça. C’est pour cela d’ailleurs qu’Obama a dit, « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts. Elle a besoin d’institutions fortes ». Le RDR [Rassemblement des républicains] sans Ouattara ne représentait rien. Le FPI sans Laurent Gbagbo ne représentait rien. Le PDCI sans Bédié -et encore comme ils ont au moins un demi-siècle d’existence, ils ont eu de grands cadres comme Essy Amara, comme Akossi Benjo, comme Paul Akoto Yao, comme Charles Konan Banny-, donc autant de grandes figures qui peuvent quand même incarner un combat. Puis ils bénéficient encore de l’aura de Houphouët-Boigny. C’est eux qui peuvent. A part eux, je ne sais pas qui peut affronter monsieur Ouattara.
Justement parmi tous les noms que vous venez de citer, quel est celui qui est le mieux à même de défendre les couleurs du PDCI ?
C’est au PDCI de décider, pas moi. Je ne suis pas un militant politique. Je suis une intelligence critique dans mon pays. Et je suis peiné d’être aujourd’hui menacé par mon pays parce j’ai osé émettre un point de vue différent de celui qu’on entend alentours. Et celui qui me traque, c’est le ministre de la Culture, qui est écrivain lui même.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez perdu votre poste à la direction de l’Institut national des arts et de l’action culturelle ?
Oui, le ministre m’a envoyé un SMS. Il me dit qu’il ne peut pas supporter une telle critique. Mais moi, je ne peux pas comprendre sous ce régime, avec un ministre éclairé, parce qu’un écrivain a écrit un livre dans lequel il dit qu’il n’est pas d’accord avec telle position, automatiquement il est limogé. Mon Dieu, mais c’est ahurissant ! Où est-ce qu’on va en Afrique ? Est-ce avec des critiques que Ouattara va bâtir la Côte d’Ivoire de l’émergence ou avec des cerveaux ?
Charles Konan Banny, ça pourrait être un bon candidat pour le PDCI ?
Oui ou tout autre, pourquoi pas ! De tous ces candidats, j’avoue que c’est lui que je connais le plus mais je ne peux pas me permettre de dire que ce serait le meilleur candidat par rapport aux autres. Pourquoi pas Essy Amara ? Même le jeune KKB [Konan Kouadio Bertin], il est plein de bonne volonté. C’est un combattant. Ce que je conteste à Monsieur Henri Konan Bédié, c’est le fait qu’il ait étouffé les intelligents de son parti au profit d’un autre, je ne comprends pas cette position.
Henri Konan Bédié promet la tenue d’un congrès extraordinaire du PDCI le mois prochain à Abidjan pour décider si oui ou non il y aura un candidat PDCI. Qu’est-ce que vous en pensez ?
(Rires). C’est n’importe quoi. Le PDCI va tenir un congrès pour décider qui va à l’élection présidentielle. Il n’y a pas besoin de tenir un congrès extraordinaire pour savoir qui seront les hommes présidentiels. Franchement je ne comprends pas pourquoi on aime tant perdre du temps en Afrique à des négreries inutiles.
Justement dans un congrès toutes les voix pourront s’exprimer, les pour et les contre. Ce sera peut-être la vraie démocratie ?
(Rires) Excusez-moi, c’est la preuve que vous ne connaissez pas l’Afrique, ni la Côte d’Ivoire, moins encore le PDCI. Henri Konan Bédié va tout verrouiller. Des gens comme Essy Amara ou Konan Banny, on ne leur permettra même pas de rentrer dans la salle. Ça se sait, ça (rires).