Stéphane Kipré ne fait pas de quartier à Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Affi N’Guessan… dans cette interview réalisée via internet. Le président de l’Union des nouvelles générations (Ung) répond, pour ainsi dire, aux questions sans faux-fuyant.

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Qu’attendez-vous pour rentrer en Côte d’Ivoire ?

Stéphane Kipré : Avant toute chose, permettez-moi de profiter de l’aubaine que vous m’offrez pour souhaiter mes voeux les meilleurs à tous les Ivoiriens. Que cette année nous apporte bonheur, santé, joie familiale et réussite professionnelle. Et que cette année 2015 soit également celle de la fin du calvaire que vivent les Ivoiriens toutes tendances confondues depuis plus d’une décennie. En ce qui me concerne, je suis encore en exil parce que j’estime que les conditions ne sont pas encore réunies pour un retour en Côte d’Ivoire. Tout aussi bien pour moi que pour les responsables et militants de l’Union des nouvelles générations (Ung) qui sont encore dans les camps de réfugiés un peu partout dans la sous région ouest-africaine Pourtant, des barons de l’ex-majorité présidentielle, et non des moindres, comme Hubert Oulaye, Assoa Adou, Atteby Williams… ont mis fin à leur exil…

Je ne pense pas que l’on doive regarder le retour des autres pour décider du sien. L’exil, c’est aussi une posture de lutte et chacun y met fin selon l’orientation qu’il entend donner à celle-ci. Je salue donc ceux qui sont rentrés pour continuer le combat sur le terrain et ceux-là sont reconnaissables à leur attitude depuis leur retour. Mais il y a aussi ceux qui ont mis fin à leur exil dans un objectif autre, grâce à de petits arrangements avec le régime de M. Ouattara. J’estime que ma place dans le combat dans lequel je m’inscris est encore en exil. Alors, j’y suis. Quand le moment sera venu d’y mettre fin, je rentrerai en Côte d’Ivoire.

Qu’est-ce qui a poussé votre parti l’Ung à quitter l’Alliance des forces démocratiques ?

Nous avons intégré l’Alliance des forces démocratiques dans le souci d’unir nos forces dans la lutte pour le combat du retour de la démocratie en Côte d’Ivoire. Le but était qu’ensemble, nous puissions parler d’une seule voix pour régler tous les problèmes liés à la crise post-électorale. C’est-à-dire la question des prisonniers politiques, le gel des avoirs, le retour des exilés, etc. Mais quand nous constatons qu’au lieu de mener ces combats, notre union est plutôt utilisée pour accompagner le pouvoir Ouattara…, nous disons non.

Nous apprenons qu’il n’y a pas que ces griefs…

Oui. Quand nous constatons également que l’instrument est utilisé pour crédibiliser un processus électoral dont les premiers signes laissent transparaître une crise plus grave que celle que nous avons déjà connue, nous disons non. Quand nous constatons que l’Afd devient un moyen pour accompagner des ambitions égoïstes et démesurées de certains, nous disons encore non. Nous avons donc décidé, après avoir tiré plusieurs fois la sonnette d’alarme, de nous retirer pour ne pas être comptables face au peuple, de la catastrophe politique dans laquelle l’Afd est en train de s’engouffrer.

Mais votre parti, l’Ung, semble tomber dans la léthargie. Qu’est-ce qui explique cela ?

L’Ung fonctionne au rythme de la vie politique en Côte d’Ivoire. La démocratie dans notre pays a reculé de 30 ans, et il suffit de comparer les activités de tous les différents partis politiques avant et après le 11 avril 2011, et vous comprendrez que ce n’est pas une spécificité de l’Ung mais plutôt une question de recul de la démocratie. Quand les manifestations sont violemment réprimées, quand certaines parties du territoire ou de la capitale sont interdites à une catégorie d’Ivoiriens, quand les QG politiques sont fermés au bon gré de certains ministres, vous comprenez que tous les efforts de normalisation du fonctionnement des partis politiques ayant une ligne et une conviction contraire à celle appliquée par le pourvoir en place, est difficile. En dépit de cela, la direction du parti à Abidjan ne se laisse pas abattre et je voudrais la féliciter pour toute l’énergie qu’elle déploie pour faire vivre le parti sur le territoire national. Dans les jours à venir, notre parti va entamer différentes tournées dans tout le pays pour aller à la rencontre de ses militants.

Justement, votre parti va-t-il prendre part aux élections présidentielles de 2015 ?

Tout parti politique aspire à prendre et exercer le pouvoir d’État. Par conséquent, notre formation politique ne saurait se soustraire de cette vérité universelle. Il appartiendra donc à la convention de l’Ung d’analyser l’environnement politique et d’arrêter une décision à propos des élections. Cependant, mon avis, en tant que militant et président, est que les conditions d’une élection libre et transparente ne sont pas réunies. J’estime que la Commission électorale indépendante (Cei) composée des partis politiques et le format dans lequel elle a échoué en 2010, n’annonce rien de bon.

Pourquoi un tel sombre tableau ?

Nous pensons que l’insécurité est encore très présente, car le désarmement des ex-rebelles qui, hier, ont attaqué notre pays, n’a pas été effectif. La preuve, des bruits de bottes se font entendre assez fréquemment.

Il reste encore environ 10 mois avant les échéances de 2015, et ces questions pourraient être réglées. Que feriez-vous dans ce cas ?

Alors si le désarmement se fait effectivement et que la sécurité est rétablie sur l’ensemble du territoire, si les questions liées à la crise électorale de 2010 sont réglées, c’est-à-dire la libération de tous les prisonniers politiques, si le retour de tous les exilés est sécurisé et que le dégel de tous les comptes et avoirs bancaires, la restitution des domiciles, des biens et des terres occupés et la libre circulation pour tous et la liberté de manifester sur toute l’étendue du territoire national, deviennent une réalité, et si nous établissons une liste électorale consensuelle et fiable, alors, notre parti pourra donc sereinement y songer lors de sa convention qui est l’instance de décision quand il s’agit d’élections. Dans le cas contraire, nous nous abstiendrons.

Quels commentaires faites-vous de la crise que traverse le Fpi ?

Je trouve cette crise regrettable surtout en ce moment où les Ivoiriens souffrent et ont besoin que nous les partis, qui nous réclamons du président Gbagbo, nous leur présentions une alternative crédible. Elle est regrettable en ce sens qu’elle nous fait perdre un temps précieux dans le combat pour le retour des libertés individuelles et collectives, mais en même temps, j’estime qu’elle était inéluctable après la grave crise que nous avons connue en Côte d’Ivoire.

C’est donc logique ce qui arrive…

C’est une crise propre à toutes les formations politiques qui ont traversé les turbulences et même chez nous à l’Ung, nous avons dû en juguler. Même si ce n’était pas de la même importance que celle à laquelle nous assistons chez notre allié objectif du Fpi. Je constate avec amertume que Alassane Ouattara applique la violence face au peuple de Côte d’Ivoire, et Affi N’guessan applique la violence face aux militants du Fpi. Alassane Ouattara instrumentalise la justice contre le peuple de Côte d’Ivoire et Affi N’Guessan instrumentalise la justice contre les cadres et militants du Fpi. Alassane Ouattara aspire à être candidat unique du Rhdp et Affi N’guessan met tout en œuvre pour être candidat unique à la direction du FPI.

Quelle lecture faire de ces accusations qui vous engagent ?

Ça explique qu’en réalité, Affi N’Guessan a pour véritable mentor Alassane Ouattara et non Laurent Gbagbo. Sinon il n’aurait pas été capable d’aller aussi loin. Peut être qu’un jour, l’histoire de notre pays nous révélera le lien entre Ouattara et Affi N’guessan pour qu’il y ait autant de similitudes dans leurs agissements.

Que dites-vous du ralliement de certains barons du Fpi comme Amani N’Guessan, Marcel Gossio à la position d’Affi contre la candidature de Gbagbo ?

Je n’ai rien à dire à leur endroit puisqu’ils sont libres de leur choix et ce n’est pas cela qui choque. Mais le fait qu’ils s’allient à Ouattara, le bourreau du président Gbagbo, pour le combattre, alors qu’ils se réclament de lui. Pour le reste, l’histoire jugera le moment venu.

Affi N’Guessan a trouvé que la signature de Laurent Gbagbo sur le courrier annonçant sa candidature est une « imitation mal maîtrisée ». Qu’en dites-vous ?

Le président Gbagbo me fait l’honneur de me recevoir au moins une fois par mois pour parler de questions politiques mais aussi familiales. Donc je pense qu’Affi N’Guessan informe ainsi les Ivoiriens et les militants du Fpi qu’il n’est pas capable de rentrer en contact avec le président Gbagbo depuis qu’il a été libéré de la prison de Bouna. Ou alors, il refuse, de façon volontaire, d’écouter les réponses que le président lui a fait transmettre à chaque fois qu’il lui a envoyé quelqu’un pour l’interroger sur cette question. Et d’ailleurs, si une personne avait imité la signature du président Gbagbo pour agir en son nom contre son gré, je pense que cette personne aurait déjà été poursuivie par le conseil des avocats du président. Car c’est d’abord à lui que cela porterait préjudice. Affi N’Guessan n’est pas sérieux.

Lors de sa récente rencontre avec des fédéraux du Fpi, Affi N’Guessan a accusé clairement un proche de Laurent Gbagbo d’avoir imité la signature de ce dernier. Et certains n’ont pas hésité à penser à vous. Comment réagissez-vous à cette grave accusation ?

Affi N’Guessan (…) et il est en train d’agoniser politiquement. Laisser le mourir de sa mort politique de la façon la plus ridicule. Ce n’est pas en insultant, en calomniant, en accusant de façon mensongère, qu’il va réussir à justifier sa trahison vis-à-vis du président Laurent Gbagbo qui a fait de lui ce qu’il est. Il est en mission pour nous éloigner de l’essentiel et je ne tomberai pas dans son jeu. J’ai décidé de mener le bon combat jusqu’à son aboutissement avec le président Laurent Gbagbo ainsi que la majorité des Ivoiriens. Le combat qui est de voir la démocratie restaurée dans notre pays et l’obtention de notre indépendance véritable. C’est la seule manière pour nous de pouvoir un jour bâtir la Côte d’Ivoire des nouvelles générations. Pour le reste, le chien aboie, la caravane passe.

Quelle est votre réaction sur la plainte déposée par Affi devant la Justice ivoirienne contre la candidature de Laurent Gbagbo ?

Pascal Affi N’Guessan est logique envers lui-même et la ligne politique qu’il a choisie de suivre depuis quelques mois ou je dirais même depuis toujours, mais le fait savoir maintenant de façon plus ouverte. Cette ligne consiste à combattre ouvertement le président Gbagbo et les idées que ce dernier défend. Il appartient désormais aux militants et responsables du Fpi de jauger et prendre leurs responsabilités. S’ils pensent qu’ils sont prêts à accepter que le Fpi devienne un parti politique vassal, si c’est pour cela qu’ils ont lutté toutes ces années, ils sont alors bien partis avec Affi N’Guessan à leur tête.

Quel impact alors sur votre alliance avec le Fpi ?

Pour ma part, l’Union des nouvelles générations a toujours eu le Fpi comme allié mais nous ne pourrons plus partager une alliance avec Affi N’Guessan dirigeant le Fpi. Car sa vison de notre lutte qui est faite d’inféodation, de traîtrise, de mépris pour ses camarades, ne correspond pas à la nôtre. Lorsque les organes du Fpi auront décidé, nous aviserons.

Quel commentaire faites-vous du procès des 83 pro-Gbagbo devant les Assises ?

C’est la continuité de la justice des vainqueurs qui consiste à juger les partisans d’un camp tandis que les vrais bourreaux des Ivoiriens jouissent tranquillement du pouvoir que Nicolas Sarkozy leur a offert. C’est une parodie de justice…

Qu’est-ce que l’arrestation de pro-Banny vous inspire comme analyse ?

Pourquoi voulez-vous que je fasse un commentaire sur l’arrestation des proches de Banny pendant que lui-même n’a fait aucun commentaire ? Nous avons plus de 820 prisonniers politiques partisans du président Laurent Gbagbo détenus depuis maintenant plus de 3 ans dans les geôles du pouvoir Ouattara au vu et au su de tout le monde. Il faut que cela prenne bien fin un jour. Car nul ne doit faire de la prison pour ses convictions politiques. La justice d’un pays ne peut pas être manipulée à la guise d’un pouvoir. C’est tout cela que nous décrions. Nous devons combattre pour tous ceux qui sont victimes de l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir d’Alassane Ouattara. Parce qu’un Ivoirien victime de la justice de son propre pays encore en 2015, est inacceptable.

Pour Bédié, la réalisation du 3ème pont qui porte son nom, suffit largement à accorder un autre mandat au président Ouattara. Qu’en dites-vous ?

Cela n’engage que Henri Konan Bédié. Je me demande combien de mandats il aurait demandé aux Ivoiriens s’il avait réalisé son programme des 12 chantiers de l’éléphant d’Afrique….empêché par le coup d’État de décembre 1999 ?

Que pensez-vous des candidatures d’Essy Amara, KKB et Banny pour la présidentielle de 2015 ?

C’est le droit le plus légitime de tout un chacun de se porter candidat s’il estime que les conditions sont réunies. Les Ivoiriens attendent cependant que Banny, KKB et Essy Amara leur expliquent ce qui différencie Ouattara de 2010 qu’ils ont soutenu à Ouattara de 2015 contre qui ils se portent candidats.

Mais ont-ils vraiment des chances face à Alassane Ouattara présenté comme le super favori de ce la présidentielle de 2015?

La vraie question est de savoir si les présidentielles de 2015 seront transparentes. Car l’on ne parle de chances réelles des candidats que lorsque les conditions d’une élection libre et transparente sont réunies. Je ne crois pas que ce sera le cas en 2015.

Bédié ne souhaite pas de candidature au Pdci contre Alassane Ouattara. Comment réagissez-vous à cela ?

Les différentes candidatures que vous venez d’évoquer, toutes issues du Pdci, prouvent que Bédié prêche dans le désert, loin des préoccupations des militants et cadres de son parti, mais aussi et surtout des Ivoiriens dans leur ensemble qui souhaitent sortir de la belligérance. Le plus important est de demander à M. Ouattara de faire son bilan de sa gestion du pouvoir (…). En cette année supposée être une année électorale, où en sommes-nous avec les 5 universités ? Où en sommes-nous avec les soins gratuits en Côte d’Ivoire ? Où en sommes-nous avec ces nombreux milliards promis pour le développement des régions ? Où en sommes-nous avec le million d’emplois promis pour la jeunesse ivoirienne ? Où en sommes-nous avec les logements sociaux à 5 millions de F Cfa payables sur 20 ans ?

Pour vous, le débat se trouve-t-il à ce niveau ?

Il y a beaucoup de questions en cette année 2015 qui ont besoin de réponses pour le peuple ivoirien mais il sera difficile au pouvoir de M. Ouattara de satisfaire ces interrogations parce qu’ils ont passé plus de temps à pourchasser les partisans de Laurent Gbagbo, à casser les habitations des populations sans leurs donner d’autres solutions qu’à appliquer ses promesses de campagne. Quand on sait que le bilan n’est pas à la hauteur de ce qu’on avait promis, on ne peut que courir après une candidature unique.

Pour en revenir à Gbagbo, a-t-il foi en une éventuelle libération avec tout ce dont il est accusé ?

Le président Gbagbo est dans une posture de combattant. Car toute sa vie, il a combattu et avec le soutien de son peuple, il a gagné ses combats. Donc, il est normal qu’il ait foi en sa libération mais aussi en celle de la Côte d’Ivoire. C’est vrai qu’il se pose souvent la question de savoir comment certains de ses camarades supposés partager la même vision de la lutte, en sont arrivés à aller aussi loin dans l’égarement ? Mais c’est un historien et il est conscient que toute lutte contient des vendus. Comme il nous l’a dit depuis son arrivée à La Haye, si son peuple tient, il tiendra. Mes rencontres avec lui tous les mois sont pour moi des enseignements. Je me rends à chaque fois à la prison de Scheveningen comme un étudiant qui va rencontrer son professeur.

Selon vous, pourquoi Abidjan refuse de transférer Simone Gbagbo à la Cpi en dépit de l’insistance de la Cour ?

Posez-leur la question. Mais je crois qu’il y a des gens dont l’implication directe et non indirecte dans le massacre des Ivoiriens en 2011 n’est plus à prouver. Donc, si la Cpi est vraiment à la recherche de la vérité et de l’application d’une véritable justice, elle est donc en train de faire fausse route.

Réalisée par KIKIE A. Nazaire et SYLLA A.

Source : Soir Info, mercredi 07 janvier 2015