(L’éléphant déchaîné, vendredi 5 au lundi 8 avril 2013) – Artiste musicien engagé, Billy Billy dérange. Son dernier opus, « Ma lettre au président », dans lequel il dénonce les travers du régime n’a laissé personne indifférent. A raison d’ailleurs. L’homme qui, la veille de la présidentielle de 2010, prédisait que cette élection n’allait rien changer au quotidien des Ivoiriens, persiste et signe. Dans un entretien accordé à « L’Eléphant », courant mars, il jette un regard caustique sur la situation actuelle en Côte d’Ivoire. La rumeur de sa bastonnade, l’histoire de la censure de son album à la Rti, ses relations avec le régime, la vie à Wassakara après le passage de notre président…Tout y passe.
« Je n’ai jamais été frappé par les Frci »
On le disait en disgrâce auprès du régime, surtout depuis la sortie de son dernier opus intitulé «Ma lettre au président ». La rumeur abidjanaise affirmait que ses critiques lui avaient valu une bastonnade de la part des Frci. «Je n’ai jamais été frappé par les Frci. Ce sont des rumeurs. J’ai moi-même été surpris comme tout le monde», tranche l’artiste. Tant mieux alors.
L’histoire d’une censure
Son dernier album, dans lequel il n’est pas du tout tendre avec le régime, a-t-il fait l’objet de censure par la Rti ? L’artiste qui ne souhaite pas revenir sur cet épisode estime que le débat est clos. Il a de nouveau accès aux antennes de la chaîne qui rassemble (On ne sait trop qui). «A partir de ce moment, la censure n’est plus à l’ordre du jour», déclare-t-il.
Félicité par notre président
Billy Billy est formel. Il a bel et bien reçu un appel de notre président. Non pour parler de la censure de son œuvre mais pour le féliciter, pour son nouvel opus. L’appel présidentiel est intervenu bien avant la sortie de l’album. Le chef a eu un avant-goût de la lettre relayée par les réseaux sociaux. «Le Président m’a appelé pour me féliciter pour le travail que je fais. Il a estimé que l’album lui permettait de comprendre certaines choses. Ce que la population pense de lui. Ce que les Ivoiriens vivent. C’est ainsi que le couple présidentiel m’a appelé. Rien que ça». Fort de ces très présidentielles félicitations, il soutient que sa chanson est plus que d’actualité et entre dans le cadre de la réconciliation nationale. Il est vrai qu’on ne peut y aller sans vérités.
Artiste ou politicien ?
Billy Billy n’a de cesse de le répéter à qui veut l’entendre, qu’il demeure un artiste. Il n’appartient à aucune chapelle politique. Sinon à celle du peuple. Pendant la campagne électorale pour les élections de 2010, sa chanson qui critiquait la gestion de l’ex-pouvoir a été utilisée par des candidats ; notamment ceux du Rhdp. Il en profite pour lever toute équivoque à propos de la visite du candidat Alassane Ouattara, à Wassakara. « …concernant la visite de l’exopposant, aujourd’hui président de la république, en fait, il devait commencer sa campagne à Wassakara. Et ma chanson cadrait bien avec les réalités de Wassakara. En tant que leader d’opinion, il était important que Billy Billy soit là. C’est ainsi que d’un commun accord, avec mon staff, nous avons décidé de travailler ensemble pour dénoncer les tares de la société ivoirienne d’alors. Ce sont eux qui sont venus vers nous et non l’inverse. Billy Billy aurait pu chanter pour n’importe qui que ce soit Bédié ou Laurent Gbagbo. Mon sacerdoce était de critiquer la politique de Laurent Gbagbo en montrant la misère dans laquelle vivait le peuple, mais pas de faire campagne avec qui que ce soit. Et le morceau le plus adapté d’alors était ‘’l’argent du pays’’.»
Il fait savoir qu’il était l’artiste le plus sollicité durant la campagne. Toutefois, il n’a aucunement voulu associer son image à l’un des candidats. Pour rassurer les uns et les autres sur son indépendance, et sa neutralité, il a préféré sortir du pays pour des tournées, pendant les élections. C’est vrai qu’il n’a jamais cru aux miracles avec les politiciens.
Ses relations avec le pouvoir actuel
Billy Billy affirme qu’il ne demande pas forcément une quelconque reconnaissance au régime actuel. Il conseille également de ne pas prendre les paroles de ses chansons au premier degré. Message transmis aux concernés.
Plus explicite, il suggère de ne pas jeter, sur lui, l’opprobre. Ses chansons ont (abondamment) été utilisées pour combattre l’adversaire politique d’hier. Elles devraient par conséquent continuer d’avoir droit de cité aujourd’hui. L’artiste se dit, « révolutionnaire, et non griot, ni en quête de prébendes. »
Ses relations avec Wassakara
Qui n’aimerait pas améliorer son quotidien et vivre dans des quartiers cossus ? C’est le cas de Billy Billy. De Wassakara, il a pris son envol pour Angré. Il avoue cependant n’avoir pas oublié Wassakara. Pour lui, chacun aspire à un mieux-être. Ayant vécu dans ce quartier, il a chanté Wassakara. «C’était un cri du coeur pour la jeunesse. C’est la pauvreté que je décortique…» Il affirme être attaché à jamais à ce sous quartier de la commune de Yopougon. Aussi voudrait-il rappeler au président de la République que « c’est à Wassakara qu’il a commencé sa campagne. Il ne faudrait pas qu’il oublie Wassakara. Il distribue le goudron aujourd’hui partout et cela n’a pas commencé à Wassakara. On insère les jeunes dans l’armée et dans d’autres domaines. Je ne connais pas un jeune de Wassakara qui m’appelé un jour pour me dire :’’grâce à toi j’ai eu du boulot’’. Moi je n’ai pas les moyens. Ce que j’ai, c’est ma voix. On n’a pas la puissance financière qu’il faut. Nous sommes des artistes. Et ce que nous savons faire, c’est chanter. Chanter pour que les gens nous écoutent. Justement, c’est ce qui a poussé les politiciens à aller faire campagne à Wassakara. C’est parce que nous avons chanté, ils ont été touchés. Ce sont eux les décideurs. Effectivement rien n’a changé, absolument rien et je continue de mener ce combat. Même un arbre de Noël pour la population de Wassakara, on n’y a pas eu droit. Les conditions dans lesquelles les enfants vont à l’école sont misérables », déplore-t-il. L’artiste pense d’ailleurs que, organiser des actions sporadiques comme un arbre de Noël n’est pas la solution. Il ne faut pas poser des actions sporadiques et éphémères. Il envisage s’inscrire dans des actions qui seront profitables sur le long terme à cette population. «Nos cachets de 100 mille F Cfa ne suffisent même pas, pour nous occuper de nos familles. Avec ça, combien d’hôpitaux je pense construire à Wassakara ? En conséquence, nous n’avons que notre voix. Si on doit poser des actes, ce sont des actes qui vont marquer. Qui seront là pendant 10 ans et même 50 ans. Prendre l’exemple des magiciens et Alsalfo qui ont construit un hôpital à Anoumabo à Marcory. Et non venir distribuer des biscuits et des bonbons. Il faut poser des actes qui vont marquer, pour que Wassakara puisse en profiter. Nous menons un combat au nom de toute la jeunesse».
La situation des artistes en Côte d’Ivoire
L’artiste pense que les autorités ne font rien pour améliorer la situation des artistes en Côte d’Ivoire. Il affirme être l’artiste le plus en vogue du moment. «Je ne connais personne qui vend plus que moi à Abidjan. Je n’en connais pas. Parce que je fais partie des artistes les plus écoutés de ce pays. Quand on me tend 1000 Cd, les reçus de 1000 Cd, même avec la piraterie, ce n’est pas possible. Il faut qu’on arrête. Avec ça, quel acte on peut poser ? Ça fait pitié, l’artiste en Côte d’Ivoire. Quand la crise est finie, les politiques ont encore utilisé les artistes pour les campagnes de réconciliation, et pour sensibiliser». Accusant les politiciens d’être à la base des maux dont souffrent les artistes, il affirme ne sentir aucune volonté politique d’enrayer la piraterie dont sont victimes les artistes.
José N’GORAN