Manifestation d'opposants au lieutenant-colonel Isaac Zida, qui assure la transition du pouvoir au Burkina Faso, dimanche 2 novembre dans la capitale Ouagadougou | Crédit : AFP / ISSOUF SANOGO

Par Philippe Hugon

Les mouvements des jeunes ont conduit en quelques jours, fin octobre 2014, au départ du « président à vie » Blaise Compaoré. Les évènements se sont accélérés. La population de Ouagadougou était dans la rue mardi 28 octobre avec une très forte mobilisation (peut-être 500 000). Le déchaînement de la violence à Ouagadougou et à Bobo Dioulasso jeudi 30 octobre a fait plier le pouvoir entraînant l’annulation du projet de modification de la constitution, l’incendie du Parlement et de plusieurs bâtiments dont la mairie et le siège du parti dominant à Bobo Dioulasso. Le président Blaise Compaoré au pouvoir depuis 1987 a été obligé de démissionner.

Rappel historique

La Haute Volta, devenue Burkina Faso en 1984, qui avait connu depuis l’indépendance, une alternance d’élections présidentielles et de coups d’Etat, s’était stabilisée. Blaise Compaoré, jeune capitaine, avait accédé au pouvoir en 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara après avoir été avec ce dernier à l’origine de la révolution de 1983. Il avait instauré depuis un régime semi autoritaire avec 2 mandats de 7 ans et 2 de quatre ans. Le Burkina Faso « pays des hommes intègres » était perçu comme étant stable politiquement et géré économiquement de manière satisfaisante. Ce pays enclavé, un des plus pauvres de la planète malgré les ressources minières d’or (80% des exportations et 20% du budget) et le coton, avait une croissance économique de l’ordre de 7% par an et assurait les équilibrages financiers (faible inflation, déficit budgétaire et dette extérieure réduits).

Puissance diplomatique régionale, riche de ses voisins, ce petit pays avait diversifié ses partenaires avec des liens particuliers avec Taïwan. Il jouait un rôle diplomatique majeur dans la région  et était devenu récemment une pièce importante du dispositif militaire français Barkhane et de la coopération régionale face au djihadisme. Le Burkina Faso, avait fait montre jusqu’à présent d’une maturité politique par des actions citoyennes, un jeu politique qui n’est ni ethnicisé ni lié aux référents religieux. Le régime de Blaise Compaoré,  s’appuyait sur un parti largement dominant mais avec débats, une armée républicaine même si l’on avait observé en 2011 une mutinerie de la base contre la hiérarchie,  et le rôle des anciens (bérets rouges des notables qui donnaient les consignes du vote). Il y avait combinaison de pouvoirs « traditionnels » notamment du Mogho Naba, » roi » des Mosssi et de pouvoir légitimés par les urnes. Cette image positive cachait évidemment des aspects moins présentables qui restaient présents dans la mémoire. L’assassinat de Thomas Sankara en 1987, les liens de Blaise Compaoré avec Charles Taylor au Libéria et en Sierra Leone, ou avec l’Unita en Angola et le contrôle du trafic d’armes et de diamant, son rôle dans la rébellion du nord de la Côte d’Ivoire, ses relations avec Khadafi ou la disparition du journaliste  Norbert Zongo.  Compaoré   était à double faces, allumant ou alimentant des incendies et médiateurs pour les éteindre ou les atténuer.

Blaise Compaoré a chuté après avoir voulu modifier la constitution lui permettant de briguer un nouveau mandat. Il se considérait comme irremplaçable et  l’oligarchie politique et les affairistes qui bénéficiaient de son pouvoir risquaient de perdre leurs prébendes.  La réunion du Parlement de jeudi 30 octobre était décisive. Il s’agissait  pour l’opposition de s’opposer à ce qu’elle appelle un « coup d’Etat constitutionnel » et qui était une manœuvre  permettant au président Blaise Compaoré de se représenter aux prochaines élections présidentielles de novembre 2015. Sur le plan juridique, la révision de l’article 37 de la constitution, limitant à deux le nombre de mandat, était possible de deux manières. La première était un vote majoritaire de ¾ (soit 96 voix favorables) au Parlement qui doit se prononcer jeudi 30 octobre. La seconde était un référendum. Blaise Compaoré avait discrètement organisé le vote du parlement. Arithmétiquement, son parti le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) disposait de 70 voix sur 127 voix des parlementaires. Il était lié à des petits partis représentant 11 voix. Il avait besoin de 15 voix supplémentaires qu’il avait marchandées avec l’Alliance pour la Démocratie et la Fédération (ADF) et le Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Le Président avait les 96 voix nécessaires. La mobilisation de la rue et des leaders de l’opposition ont balayé ce projet. Les affrontements violents entre les manifestants et les forces de l’ordre tirant à balle réelles ont fait au moins un mort et embrasé la rue. L’annulation du vote n’a pas pour autant arrêté les mouvements de colère.

Cadrage théorique

            La crise politique du Burkina Faso renvoie à deux principales lignes de force transnationales

  1. Sur le plan régional africain, elle exprime le rôle de la jeunesse africaine, bombe à retardement ou facteur de changement, qui veut avoir sa place dans le champ politique, social et économique. Sans perspectives ni modèle social, cette jeunesse s’oppose à l’affairisme, au clientélisme des politiques. Elle se réfère au Burkina Faso à des héros tels Thoma Sankara, est informée par les réseaux de communication et veut être un exemple vis-à-vis des « présidents à vie » africains. Le jeu politique et économique est devenu largement une lutte des classes d’âge en Afrique
  2.  La crise du  Burkina Faso   a également une dimension politique régionale et transnationale. Dans le  système néo-patrimonialiste transnational de Compaoré, les ressources mobilisées dans les alliances et le contrôle de trafics divers avec les acteurs régionaux pouvaient financer le jeu politique interne. Compraoré, savait attiser les conflits régionaux et se positionner comme médiateur. Il était à l’époque de la « France-Afrique » un interlocuteur majeur pour la France.  Il savait jouer des appuis des Etats-unis et de Taïwan. Le Burkina était, depuis, une pièce centrale dans le dispositif régional contre le djihadisme. Son départ change la donne

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Analyse

La crise du Burkina Faso et ses conséquences peuvent être décryptées selon ces deux lignes de force .

1/Ces printemps africains ou noirs,  qui font écho aux printemps arabes renvoient à des conflits intergénérationnels. 60% de la population ouest africaine n’était pas née quand Blaise Compaoré a pris le pouvoir. La jeunesse veut prendre place dans le jeu politique et s’oppose au pouvoir des notables et de la gérontocratie politique traitée de « parlementeurs ». Le slogan de « dégage Blaise » place de la révolution en était le signe. Le capitaine Thomas Sankara menait déjà ce combat. Les jeunes de la place de la nation devenue place de la révolution seront-ils un exemple à suivi par la jeunesse africaine?  Les mouvements des rues seront-ils une force favorisant les réformes économiques, sociales et politiques nécessaires ou y aura-t-il instrumentalisation et récupération de ces mouvements ?

 Quels seront les rapports de force entre les jeunes s’exprimant dans la rue et les autres acteurs ? On a noté, après les mouvements des rues, une confusion sur un semi coup d’Etat et des tensions entre les principales forces en présence, la rue, les leaders politiques et les militaires et plus ou moins en coulisse les représentants de la « communauté internationale ». Les jeunes s’opposent au pouvoir proche de Compaoré et aux militaires en refusant de se voir confisquée leur révolution. Les militaires sont divisés entre le Régiment de Sécurité Présidentielle fort de 600 à 800 hommes bien équipés et rémunérés dont fait partie l’homme fort le lieutenant colonel Zida, les hauts gradés (généraux Traoré chef d’Etat major de l’armée, Kouamé Lougué, co auteur avec Compaoré du coup d’Etat contre Sankara) et la base. Chacun des chefs militaires s’était proclamé chef d’Etat et affirmé la nécessité d’assurer l’ordre face à des mouvements insurrectionnels. L’opposition est divisée entre les leaders de 74 partis. Le Congrès du Parti pour la Démocratie et le Progrès et (CDP) ainsi que ses alliés représentaient environ ¾ des parlementaires. Les principaux opposants qui avaient quitté en début d’année le CDP (Kaboré, Diallo, Compaoré) avaient fondé le Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP). Les autres principaux opposants sont Sankara du parti sankariste et Diabré.  Le président de l’assemblée nationale qui devait selon la constitution assurer l’intérim après la démission du chef d’Etat a quitté le pays avec lui. Il est probable que l’armée, sous pression  facilitera le retour à l’ordre constitutionnel, avec un organe de transition dirigé par un civil dans un cadre constitutionnel et la mise en œuvre rapide d’élections présidentielles et parlementaires.

2/Ces évènements, qualifiées de printemps noirs ou africains, ont une dimension géopolitique régionale. Le tripaturage constitutionnel rejoignait les manipulations constitutionnelles faites en Algérie (2008), en Angola (2010), au Cameroun (2008), à Djibouti (2010)  au Gabon (2003), en Ouganda (2005) au Tchad (2009, au Togo (2002)  et envisagées  au Burundi, au Congo Brazzaville, en RDC, et au Rwanda.

Les rapports de force inter ou transnationaux  ont changé. Les instances africaines de l’Union africaine ou de la CEDEAO menacent de sanctions le pouvoir militaire s’il ne remet pas le pouvoir aux civils dans les 15 jours. Des moyens de pression existent de la part des bailleurs de fonds vis-à-vis d’un pays où l’aide représente plus de 10% du PIB. Barack Obama s’était prononcé pour que les nouvelles générations puissent accéder aux responsabilités quelque soient les qualités des dirigeants « présidents à vie ». L’Union européenne a affirmé le 28 octobre « son attachement au respect des dispositions constitutionnelles en vigueur ainsi qu’aux principes définis par l’Union africaine et la CEDEAO sur les changements constitutionnels ». L’Afrique a diversifié ses partenaires  La  « France-Afrique » et la diplomatie des réseaux  n’existent plus  guère; la France ou les Etats unis jouent un rôle diplomatique mais ne sont plus des faiseurs de rois. Le président Hollande avait envoyé le 7 octobre une lettre personnelle à Blaise Compaoré pour qu’il respecte les règles constitutionnelle mais la France a participé à son exfiltration en Côte d’Ivoire. La Chine est silencieuse mais attend la rupture avec Taïwan.

 L’enjeu du Burkina Faso est devenu stratégique du fait des frontières avec le Nord Mali, de la présence de forces spéciales américaines et françaises, du rôle de Blaise Compaoré dans la négociation des  conflits ouest africains (Côte d’Ivoire, Mali). Ce pays était resté stable et sécurisé dans un environnement menaçant. Les conflits dans la zone sahélienne un chevauchement d’échelles allant du local au régional. Ouagadougou est le lieu névralgique du renseignement (opération Sabre, DGSE, renseignement militaire) dans le dispositif Barkhane. Les chancelleries et diplomates ont toujours du mal à anticiper les révolutions et ont une préférence pour les hommes forts connus qui assurent la stabilité à court terme. Comment peuvent-ils s’adapter au nouveau contexte, concilier les objectifs de la realt politik et les droits de l’homme, dans un monde de la communication où les représentations et les évènements s’accélèrent avec effets de contagion transnationale.

Sources

Philippe Hugon, Géopolitique de l’Afrique, Paris , SEDES 2013, 3ème ed

Pierre Jacquemot, « Les trois paradoxes du Burkina Faso, lettre de l’IRIS, 2 novembre 2014

Frédéric Lejeal, Le Burkina Faso, Paris, Karthala, 2002