«Le peuple est toujours le plus fort !»
Très cher Che Bogota, il paraît que vous affectionnez particulièrement cette appellation, même s’il n’y a aucune ressemblance entre votre combat armé contre l’ex-président Gbagbo et le combat de Che Guevara pour la libération des peuples opprimés à travers le monde.
Dans une lettre que avez adressée à un opposant de notre intègre pays, vous vous êtes permis, on ne sait trop pourquoi, de mettre en garde tout le peuple burkinabé contre les dangers au-devant desquels il courait s’il lui venait à l’idée de tenter d’empêcher votre parrain Blaise Compaoré de piétiner la Constitution de notre pays pour s’offrir un pouvoir ad vitam aeternam.
Tiens, voilà ce que vous écriviez à ce propos : « (…) Laurent Gbagbo a constamment souffert d’un manque de légitimité politique et a aggravé son cas en embouchant, qui plus est, la trompette infernale de l’idéologie criminelle de l’ivoirité qui a fait tant souffrir les Ivoiriens et leurs étrangers, parmi lesquels les immigrés Burkinabè qui ont payé le plus lourd tribut en vies humaines injustement fauchées.
Pourtant, voyez la peine que nous nous sommes donnée pour vaincre démocratiquement, puis militairement un Gbagbo qui n’avait que 10 ans au pouvoir ! Imaginez la peine qu’il faudrait se donner pour vaincre un chef d’Etat légitime, qui a en plus pour lui, une redoutable maîtrise des arcanes de son pays depuis 26 ans ! On peut, on doit faire l’économie d’une telle tragédie humaine dans votre pays… »
A la lecture de ce passage bourré de menaces atomiques, d’effroi, monsieur Guillaume Soro, nous avons tremblé. En effet, comment s’imaginer qu’un peuple qui s’est laissé gouverner, qui s’est laissé tondre jusqu’à la peau sans broncher pendant 27 ans par le même homme qui « a une redoutable maîtrise des arcanes du pouvoir », pouvait-il s’imaginer un seul instant pouvoir faire partir du pouvoir un tel monstre politique ?
Est-il nécessaire monsieur Soro Guillaume, de vous rappeler que vous n’avez pas attendu que l’ex-président Laurent Gbagbo passe dix ans au pouvoir avant de tenter de le renverser par les armes avec le soutien de nos autorités qui vous ont offert comme base arrière notre pays à partir duquel vous êtes allé faire lecoup de feu en Côte d’Ivoire ? Il n’avait passé que seulement deux ans au pouvoir quand vous avez tenté de le renverser. Mais malgré le soutien de notre pays, malgré toutes les armes dont vous disposiez, vous avez échoué à le renverser et grâce à opération foireuse qui n’a apporté que souffrances et misères à la Côte d’Ivoire, monsieur Gbagbo a pu s’offrir un second mandat sans passer par la case « élection ».
Et malgré son « illégitimité » comme vous le dites, vous n’avez pas hésité à être son premier ministre et à jouir des plaisirs du pouvoir en plaçant vos hommes dans les zones stratégiques de l’Administration publique. Nous ne nous souvenons pas que Che Guevara auquel paraît-il, vous vous identifiez, a eu pareil comportement dans son parcours.
Monsieur le président de l’Assemblée nationale, vous avez dit aussi que notre ex-président était « un monument de bon sens ». Mais ce bon sens, apparemment, lui a beaucoup manqué dans l’appréciation du degré de saturation de son peuple quant à la longévité qu’il a eue au sommet de l’Etat burkinabé. Tout peuple a son degré de saturation à partir duquel il décide de mettre fin à une situation quoi que cela lui coûte.
Vous lui avez conseillé de tripatouiller la Constitution de notre pays pour s’offrir un pouvoir à vie afin qu’il puisse vous soutenir dans votre projet de vous emparer demain du pouvoir en Côte d’Ivoire sans l’accord du peuple de Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, selon la Constitution ivoirienne en vigueur, c’est vous le dauphin constitutionnel du président Alassane Ouattara. Accepteriez-vous que l’article qui fait de vous ledit dauphin constitutionnel soit tripatouillé pour que le Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la sécurité, Hamed Bakayoko que vous détesté cordialement, soit le nouveau dauphin constitutionnel d’Alassane Ouattara ? Non ! Assurément, vous feriez tonner encore la poudre en Côte d’Ivoire pour éviter une telle modification.
Pourquoi alors avoir conseillé au peuple burkinabé d’accepter le piétinement de sa Constitution par l’ex-président et son clan ? Parce que vous pensiez que parce qu’il s’était imposé pendant 27 ans, il avait acquis le pouvoir de contrôler ou de terroriser tout le peuple burkinabé sans qu’il ne bronche ?
Monsieur Soro Guillaume, nous restons persuadés que vous faites partie de ceux qui n’ont accordé aucune importance aux propos de Barack Obama lorsqu’il a dit au Ghana et continue de le dire, que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ».
Notre ex-président, sur le sol américain, en plus, lui a répondu qu’« il ne peut y avoir d’institutions fortes sans hommes politiques forts… ». C’est quoi un homme politique fort ? Celui qui respecte la volonté de son peuple ou celui qui tente de s’imposer à son peuple contre sa volonté en modifiant la Constitution uniquement pour son seul intérêt et celui de son clan ?
Dans une Afrique en déficit de respect des prescriptions des constitutions, il faudrait, monsieur Soro Guillaume, au regard de ce qui vient de se passer dans notre pays, que vous reteniez une bonne fois pour toutes qu’aucun dictateur ne peut s’imposer définitivement contre la volonté de son peuple. Retenez bien cette leçon ! Monsieur Blaise Compaoré n’a pas été renversé par un coup d’Etat militaire. C’est une insurrection populaire qui, malgré vos mises en garde, l’a contraint à partir du pouvoir sur la pointe des pieds pour se réfugier à Yamoussoukro. Capitale politique et symbole de la paix prônée par feu Félix Houphouët-Boigny.
Nous espérons, devant le sort actuel de votre parrain, que vous réalisez que votre théorie de la difficulté à faire partir Laurent Gbagbo du pouvoir alors qu’il n’a passé que dix ans au pouvoir comparé aux 27 ans de Blaise Compaoré était totalement fausse.
Quand un peuple ne veut plus d’un président, qu’il ait passé un siècle ou pas au pouvoir, il s’en ira. Nous osons simplement espérer que ce ne sont pas avec de telles théories que vous comptez diriger demain le peuple de Côte d’Ivoire en utilisant, nous l’espérons, non pas la même voie que Blaise Compaoré, mais que vous suivrez la voie démocratique en vous soumettant à l’épreuve des urnes.
En espérant que vous avez bien retenu la leçon venue du Burkina, nous vous souhaitons de réaménager votre conception de la conquête et de l’exercice du pouvoir d’Etat. Sinon, vous trouverez sur votre chemin, le peuple de Côte d’Ivoire qui, comme un seul homme, vous remettra à votre place.
Passez nos solutions à notre ex-président que vous ne manquerez pas de rencontrer discrètement dans les jours à venir…
Tiens, on allait oublier le message que vous avez publié sur votre page Facebook ce dimanche 2 novembre : « Bonjour Chers Tous, ce matin je me suis rendu à l’église pour prier et méditer. J’ai surtout prié pour la paix en Côte d’Ivoire mais aussi pour les pays voisins notamment le Burkina Faso. J’ai aussi médité sinon beaucoup médité. Dans la méditation, j’ai réalisé que le nouveau fléau de l’Afrique c’est que tout le monde veut devenir président. Que Dieu préserve l’Afrique de ce nouveau fléau : être président. La paix, rien que la paix pour l’Afrique… »
Vous nous étonnez monsieur Soro Guillaume. Car votre méditation, apparemment, n’a pas été profonde. Sinon vous auriez découvert que contrairement à ce que vous avez réalisé, le nouveau fléau qui menace la stabilité de nombreux pays africains, c’est le tripatouillage des constitutions par des chefs d’Etat en fin de mandat et qui refusent de partir. Tout le monde ne veut pas devenir président. Il y a juste que certains pensent qu’ils sont nés pour mourir au pouvoir au-delà des limites constitutionnelles. Reprenez votre méditation, une vraie, et vous réaliserez que c’est cela le nouveau fléau qui menace l’Afrique.
Lettre (presque imaginaire) reçue par la rédaction de « L’Eléphant Déchainé »
Source : L’Eléphant Déchaîné N°298 du mardi 4 au jeudi 6 novembre 2014