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RFI – Par Frédéric Garat | En Côte d’Ivoire, le procès de Simone Gbagbo et de 82 autres co-accusés en cour d’assises qui devait s’ouvrir ce mercredi sera reporté de quelques semaines indiquent ses avocats à cause de procédures qui prennent du retard. Un procès pour atteinte à la sureté de l’Etat dans lequel sont cités à comparaitre bon nombre de cadres de l’opposition ivoirienne comme Pascal Affi Nguessan ou Daniele Boni Claverie.

L’Invité de la rédaction Afrique ce matin est Mamadou Koulibaly, ex-président de l’Assemblée nationale et ancien cadre du FPI. Mamadou Koulibaly a quitté le parti de Laurent Gbagbo pour fonder son propre parti d’opposition, le Lider, et il est candidat à la prochaine élection présidentielle d’octobre 2015. Il exprime son scepticisme concernant ce procès.

RFI : Qu’attendez-vous de ce procès en assise ?

Mamadou Coulibaly : En réalité pas grand-chose, vu que nous allons plutôt assister à un déploiement de la force totalement injuste de cette justice ivoirienne !

Si la justice avait été capable de tirer les conclusions des rapports d’enquête qui ont été déposés et qui ont été commandés par le gouvernement auprès de certains juges, qui ont établi clairement que aussi bien du côté des anti-Gbagbo que du côté des pro-Gbago il y a des crimes à punir, et si la justice avait appelé tous ces criminels à la barre, moi j’aurais applaudi.

Mais aujourd’hui, il y a un seul camp qui va se faire juger. C’est triste. C’est un échec du président Ouattara dans son engagement au moment de son élection, de se dépêcher pour établir la réconciliation entre les Ivoiriens et surtout pour rétablir la justice dans ses droits et ses devoirs. C’est un fiasco pour lui.

Pourquoi ? Quelle est la stratégie du président Ouattara dans ce procès ?

Oh ! De choisir l’année électorale, de torpiller toutes les candidatures qui pourraient se faire dans son propre camp, d’annihiler toutes les candidatures qui pourraient venir de l’extérieur, de jeter en pâture quelques personnes, de créer de l’ambiance pour détourner l’attention des populations des candidatures à la présidence de la République.

Et puis, pendant que chacun se précipitera pour savoir ce qui a été dit au procès, que les journaux feront leurs grands titres sur les déclarations des uns et des autres, lui ira tranquillement faire la liste électorale, tranquillement préparer sa campagne électorale et puis se faire élire !

Vous pensez que ce procès risque de parasiter la campagne électorale ?

Je crois que ce procès a été conçu pour complètement parasiter l’année électorale.

Mais est-ce que le président Ouattara n’a pas intérêt à ce que ce procès se conclue avant l’élection elle-même, parce qu’il risque d’y avoir une confusion entre les arguments politiques, les arguments judiciaires, les règlements de compte des années de crise passées ?

Vous savez, Ouattara peut tout faire. Il sait que personne au monde ne lui reprochera quoi que ce soit. Il fait ce que bon lui semble ! Selon son agenda… Il ne se préoccupe pas d’un agenda politique, de la Côte d’ivoire, de l’avenir de la Côte d’Ivoire. C’est son avenir qui l’intéresse, sa réélection !

Simone Gbagbo et ses co-accusés sont accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Est-ce que c’est une infraction qu’elle a pu commettre ?

Ah ! La justice établira les faits. Je ne suis pas juge, je suis incapable de me prononcer. Ce que je regrette c’est que sur la période de l’accusation il y a eu tellement d’atteintes à la sécurité de l’Etat ici, que je suis étonné qu’elle soit la seule à la barre !

Elle n’est pas seule à la barre. Ils sont 83.

Oui, 83 du même camp. J’aurais bien vu ceux qui ont cassé la BCEAO, ceux qui ont tué les jeunes dans les conteneurs à Bouaké, ceux qui ont tué à Vavoua, à Sassendra, à Duékoué… et sur lesquels il y a la documentation, des noms sont connus ! Mais comme ces personnes sont dans la garde rapprochée de Ouattara, ces personnes sont dans la Garde prétorienne de Ouattara, dans les forces spéciales de Ouattara, ils ne les poursuivent pas ! C’est ce que je trouve injuste.

Est-ce que Simone Gbagbo, quand elle comparaîtra devant ses juges à la Cour d’assise, va se battre pied à pied ? Comme le disent certains, être extrêmement pugnace ?

Moi, à sa place, c’est ce que j’aurais fait. Et j’espère qu’elle le fera, parce que ce qui va se dérouler, ce ne sera pas le procès de ceux qui seront à la barre. C’est le procès de la justice ivoirienne !

« Messieurs les procureurs, Messieurs les juges… Etes-vous capables d’appeler à la barre tous ceux qui ont commis des crimes ? » Ou bien alors vous fermez les yeux et puis vous suivez les instructions du palais présidentiel pour ne poursuivre que ceux qui sont sur la liste qui vous a été communiquée. Ça, c’est la question qui va se poser. Et moi à sa place, je l’aurais posée.

Vous êtes vous-même candidat à l’élection présidentielle. Est-ce que vous estimez avoir des chances face à la machine RDR-PDCI qui est en train de se mettre en place ?

Si j’arrive avec les partis d’opposition à créer une grande coalition de cette opposition, nos chances sont grandes de bloquer Ouattara. Mais si l’opposition joue le jeu de Ouattara dans ce procès, dans la liste électorale, dans la Commission électorale, si elle-même n’est pas consciente que notre victoire ne peut venir que d’un rassemblement alors elle se transforme en direction de campagne de Ouattara.

Vous estimez que vous avez des chances de réunir cette coalition des insatisfaits de tous les autres partis PDCI-FPI ou autres ?

Pour le moment, les choses sont en route. Aussi bien les anciens satisfaits du PDCI que les déçus du RDR, que même la machine du FPI et les autres partis d’opposition de la troisième voie, nous sommes en train de travailler depuis deux ans.

Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de querelles de personnes, beaucoup de gens qui hésitent encore. D’autres disent qu’ils ont peur, d’autres attendent le retour de Gbagbo, d’autres pensent que Ouattara ne fera pas des élections, d’autres pensent qu’on a le temps. Moi je pense qu’on n’a pas le temps et qu’il faut aller vite.