Dr. PRAO Yao Séraphin
« Une civilisation débute dans le mythe et finit dans le doute » (Emile Michel Cioran)
Nicolas Sarkozy avait osé dire du mal des Africains à l’Université Cheikh Anta Diop. Certainement, n’ayant que des appendices de connaissances en Histoire, l’ex-président français a poussé son inculture jusqu’à nier que ce fameux «homme africain» ait pu avoir une histoire : «Le drame de l’Afrique, pérore-t-il, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Jamais il ne s’élance vers l’avenir, jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin.». En France, parler de « l’homme blanc » serait choquant. C’est pourtant à ce genre de généralisation abusive que s’est livré Sarkozy dans son discours de Dakar, le 26 juillet 2007. Il n’est pas opportun d’épiloguer longuement sur ce sujet car le plus souvent, ceux qui font de la gesticulation intellectuelle sont attardés intellectuellement. Dire qu’un homme qui a fait les bancs, à qui, on a répété à l’école que l’Afrique est le berceau de l’humanité, avance de telles affabulations n’est que le reflet d’une civilisation complexée. Ce qui nous intéresse au contraire en faisant allusion à Nicolas Sarkozy, c’est que son ami devenu Président en Côte d’Ivoire était peut-être entré dans l’Histoire. En insultant les Africains, Nicolas Sarkozy a certainement épargné son ami Ouattara. En effet, né en 1942, banquier de formation, Alassane Ouattara fait une brillante carrière entre le Fonds Monétaire International et la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest. Il est pendant trois ans Premier ministre de Côte-d’Ivoire, jusqu’à la mort d’Houphouët-Boigny en 1993. Honnêtement, c’est une carrière remplie qui fait rêver tous les jeunes intellectuels africains. Mais des fois un centimètre de trop, efface toutes les traces antérieures. Le grand banquier Ouattara aurait dû rester dans l’Histoire en ne cherchant pas à devenir Président en Côte d’Ivoire. Car le sommet qu’il cherchait est devenu son boulet. Il est donc sorti de l’Histoire. Point n’est besoin d’un chapelet de preuves : quatre seules suffisent.
La mauvaise gouvernance encastrée
Une fois au pouvoir, l’ancien directeur général adjoint du FMI a oublié les préceptes des institutions internationales. Il est devenu le gourou du clientélisme, du népotisme, du clanisme et du tribalisme. Les Ivoiriens se rappellent de sa chasse aux véhicules d’Etat lors de ses trois années passées à la primature. Maintenant, c’est la pagaille dans la gestion des véhicules administratifs. Les voitures de l’Etat circulent de plus en plus, les week-ends et les jours fériés. Cela devient presqu’une pratique courante, comme si la législation en la matière n’existait pas. Sous le Président Ouattara, on confond biens publics et biens privés. Et pourtant, une meilleure gestion du parc automobile de l’Etat participe à la réduction du train de vie bénéfique aux caisses de l’Etat. Sous sa présidence, les scandales se multiplient. Il y a eu l’affaire SATAREN-GREENSOL, concernant le ramassage des ordures ménagères où Anne OULOTO était citée. Il y a eu également, l’affaire CELPAID où KANDIA Camara a octroyé de gré à gré le marché des inscriptions en ligne à CELPAID, une entreprise de Mamadou SANOGO, ministre de la construction. Il y a eu aussi l’affaire Bictogo liée aux indemnités qui auraient dû être payées aux victimes de la pollution causée par le déversement de déchets toxiques à Abidjan. On peut également citer l’affaire Bacongo liée au détournement de fonds lors de la réhabilitation des universités publiques en Côte d’Ivoire. Il ne faut pas oublier l’affaire Toungara liée à une escroquerie morale. Ce dernier a occupé une suite pendant seize mois au 7e étage de l’hôtel Pullman d’Abidjan. Le loyer mensuel de cette suite de cinq chambres revenait à 90 millions F Cfa au trésor ivoirien.
Très récemment, l’Autorité nationale de régulation des marchés publics en Côte d’ Ivoire (ANRMP) a épinglé la gestion approximative et lapidaire du docteur Ouattara. Selon cette Autorité, plus de 75% des marchés publics sont passés de gré à gré en Côte d’Ivoire, de 2011 à 2013. L’économiste venu du FMI a perdu son « latin économique » ne récitant plus le catéchisme que cette institution inculque aux pays pauvres.
Le recours à l’endettement effréné
Après le cadeau fait à la Côte d’Ivoire avec l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative PPTE, le pays est tombé à nouveau dans un cercle vicieux de l’endettement. Depuis cette date, le stock de la dette s’est accru de 4100 milliards de FCFA au moins. Désormais en Côte d’Ivoire, tous les investissements sont financés par l’aide extérieure. Le gouvernement est incapable de mobiliser l’épargne nationale pour soutenir le développement. Le « messie du goudron » ne peut rien financer sans endettement extérieur. Du coup, la croissance est adossée sur les investissements publics eux-mêmes financés par l’épargne extérieure. Le modèle économique du docteur Ouattara réside uniquement dans la construction des infrastructures comme si la relance n’avait jamais de limite dans le temps. Le budget 2014, estimé à 4.248 milliards de fcfa comparativement à celui de 2013 qui est de 3.815 milliards de fcfa, est en hausse de 364,5 milliards de fcfa, c’est-à-dire un taux d’accroissement de 9,4%. Le budget met un accent particulier sur la construction des infrastructures. C’est la raison pour laquelle, les dépenses d’investissements passent à 1.258 milliards fcfa, soit 29,8% du budget contre 1.016 milliards de fcfa en 2013. Avec de telles bases, la croissance économique sous le docteur Ouattara reste fragile et incapable de réduire substantiellement le chômage. Les sources de cette croissance étant fragiles, elle ne pourra pas conduire le pays au développement. La stérilité réside dans le fait que cette croissance n’est pas féconde, elle ne peut pas se reproduire. Elle n’aboutit à rien. Cette façon de conduire l’économie ivoirienne est suicidaire pour le pays. Le recours exclusif à la dette extérieure pour tout financer est dangereux pour la souveraineté du pays et pour les générations futures.
Finalement, l’économiste du FMI a fini par exposer ses limites, et sa renommée s’écroule comme un château de cartes.
Le déni de démocratie
En parcourant sa bibliographie, nous apprenons que le Président Ouattara a passé une bonne partie de sa vie aux Etats-Unis. Or ce pays reste un exemple de démocratie à l’occidentale. Il est admis que la démocratie libérale se caractérise par la primauté du droit, la séparation des pouvoirs, la protection des droits de l’homme et la protection des minorités. En vertu de la primauté du droit, le pouvoir exécutif et le judiciaire ne fonctionnent que sur la base de règles écrites. Ce principe est étroitement lié à celui de la séparation des pouvoirs, selon lequel le législatif (le parlement), l’exécutif (le gouvernement) et le judiciaire (les tribunaux) opèrent indépendamment les uns des autres. Aux Etats-Unis, le Congrès est le détenteur du pouvoir législatif. Ce Congrès est composé du Sénat et de la Chambre des représentants, c’est un système bicaméral. Ses principales fonctions sont les suivantes : élaborer, débattre et faire passer les lois. Il peut proposer des amendements à la Constitution. Le Congrès exerce aussi un rôle de supervision sur les branches exécutives et judiciaires. Il peut donc entamer une procédure « d’impeachment » (une mise en accusation), votée par la Chambre des représentants mais jugée au Sénat, contre le président. Il a également un poids important dans la formulation de la politique étrangère. Le Président Ouattara a tout copié de ce pays sauf les pratiques démocratiques. Il fait élire, par le biais d’un bidouillage juridique, son ancien premier Ministre, Guillaume SORO, au perchoir de l’Assemblée nationale alors que celui-ci n’avait pas l’âge requis selon les dispositions constitutionnelles.
Il réprime ses opposants et muselle son opposition. Il foule au pied cette sagesse de Mandela selon laquelle « un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de la haine, des préjugés et de l’étroitesse d’esprit». Sous le Président Ouattara, l’opposition est réprimée dans l’indifférence totale de la communauté internationale qui, pourtant, promettait d’accompagner la démocratie en Côte d’Ivoire.
En menaçant les opposants en ces termes « si ça continue, je laisse de côté la commission et je demande au ministre de l’Intérieur d’organiser les élections », à propos du retrait de certains partis de la CEI, le Président Ouattara ne cache plus son arrogance politique et sa dictature. Il montre bien qu’en Côte d’Ivoire, il est au-dessus des lois. Il oublie que notre régime politique est un régime représentatif dont la constitution organise la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
La victime est devenue un bourreau très dangereux
L’Histoire retiendra que la trajectoire politique de l’actuel président n’a pas été rectiligne. Lui-même s’est toujours présenté comme la victime expiatoire d’un système injuste qu’il combattait de toutes ses forces. L’homme qui a souffert de la fameuse phrase « ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité » et du « et/ou». Comme les grands hommes de la trempe de Mandela, on pouvait croire qu’il allait être un rassembleur. Et pourtant, ce passé a constitué pour lui le creuset fertile d’une haine sans limite. Les arrestations par-ci, les emprisonnements par-là, le Président Ouattara est guidé par la vengeance. Il va jusqu’à sortir le concept de rattrapage ethnique pour diviser les Ivoiriens. Désormais tous les postes doivent revenir aux ressortissants du Nord. Ici encore, il a manqué le but. Souvenons-nous de Mandela qui a souffert de l’humiliation des blancs en Afrique du Sud. Après sa libération, il a appris aux Sud-africains comment vivre ensemble et croire en eux-mêmes et en chacun. Il a été un unificateur à partir du moment où il est sorti de prison. Nelson MANDELA est bien celui, qui a fait tomber la ségrégation raciale, véritable fléau de l’humanité, qu’il faut continuer à combattre, car il n’est hélas pas éradiqué, y compris dans notre pays.
Ce qui nous frappe chez Mandela, c’est surtout la manière dont il a su convaincre toutes les composantes de son pays, ses partisans, les boers, les métis, de se respecter, d’accepter leurs différences ethniques, religieuses, politiques, sociales et de construire un nouveau pays. Alors que tous les ingrédients étaient là pour une guerre civile certaine, il a surmonté ses 27 ans de détention et de mépris, sans forcément les oublier et pardonner, pour imposer, par son charisme et son exemple, à tous d’apprendre le « VIVRE ENSEMBLE ». Il disait ceci « pour faire la paix avec un ennemi, on doit travailler avec cet ennemi, et cet ennemi devient votre associé ».
Le président Ouattara était peut-être entré dans l’Histoire au regard de son parcours intellectuel mais il est vite ressorti car sa pratique du pouvoir a mis en lumière une facette hideuse de l’homme. Finalement, sa vie nous apprend que certaines fois, derrière un pompier se cache le pyromane.
Dieu bénisse mon pays !