La musique d’Arafat Dj est aux antipodes de nos préférences en matière d’art musical. Bon nombre de mélomanes « vissés » à leurs goûts lui refusent la noble étiquette « d’artiste musicien ». Ils trouvent, à tort ou à raison, que les « rendus » musicaux de Arafat ne sont, ni moins ni plus, qu’une pollution sonore, une imposture artistique. Pourtant, ce jeune homme a été, à deux reprises, kora du meilleur artiste masculin. C’est une telle reconnaissance qui nous amène à interroger sa création.
Les créations musicales de Dj Arafat sont caractérisées par une explosion sonore. La batterie enragée libère des notes musclées et déroutantes. La voix enraillée et hurlante de l’artiste accouplés aux gémissements assourdissants des instruments de musique accouche une musique apparemment cacophonique pour l’oreille « classique ». Le chant « arafatien » n’est pas une douce coulée de mots tissés avec harmonie. Il s’agit plutôt d’une crépitation verbeuse, d’un déferlement bruyant, de cris dépêtrés avec rage. La violence des mots et la grossièreté du discours ne sont pas faites pour séduire les mélomanes épris d’harmonie et de douceur.
La chorégraphie de Dj Arafat, par ailleurs, est remarquable par sa vitesse d’exécution. Les gestes sont saccadés et enchainés avec une véhémence à donner le tournis. En sus, l’apparence artistique de Yorobo constitue un choc inévitable. Sa tenue vestimentaire rompt avec les habitudes vestimentaires de l’espace tropical. Elle ne manque pas de susciter des railleries. Justement, le souci du double « kora » est de porter l’estocade aux codes sociaux et autres conventions traditionnelles. Avec une tête de rebelle exhibant une coiffure d’apache, constamment en érection, le jeune musicien ivoirien achève de créer un choc d’ondes dans les regards.
Pour tout dire l’art de Arafat est aux antipodes du classique, du déjà vu. Il vient comme une sorte de pavé dans la quiète marre de la musique ivoirienne et africaine.
En réalité tout, en cet artiste atypique, se veut révolte contre l’ordre social, moral et artistique. Il est loin du profil de l’artiste accoucheur du beau, pourvoyeur d’émotion. Le « coupé décalé » d’Arafat est « décalé » des sentiers reconnus, et surtout « coupé » des fondamentaux de la musique de départ créé par Douk Saga. Arafat apporte à la tradition coupée-décaleuse un son rock viril et saignant. La danse « kpangor » et le son « rage 2012 » arrachent le coupé-dacalé du « farot » pour le propulser à la cime d’un art du refus. Refus des frontières ; refus des règles tyranniques. Il n’est plus question de faire le boucan, mais du volcan. Il s’agit de briser les chaînes, toutes les chaînes. La rage contenue dans la voix de Dj Arafat et cette surdose de sons troublants constituent, à notre sens, une forme de révolte. Le langage de Yoyobo (nouchi rnb) se distingue par sa brutale vulgarité et sa déroutante grossièreté. Son message met en lumière un égo surdimensionné et un narcissisme troublant. La danse « arafatienne » elle-même se veut une succession de gestes difficiles et surréalistes. Ni Ziké ni Michaël Jackson ne peuvent bitumer dans son jardin.
Pour nous, la fureur de la musique enragée de Dj Arafat repose sur deux raisons.
Premièrement : En sortant des canons traditionnels de façon déchaînée, Arafat crée un art qui plait à la rue, à la jeunesse, qui désaxée et désorientée par un avenir incertain, est en quête de repères et de boussole dans un univers tourmenté et « renversé ». Arafat incarne en quelque sorte de leur soif de désordre, de révolte, de chamboulement en vue d’un nouvel ordre. Avec lui, ils ont retrouvé un messie capable de les conduire au bout de leurs colères. La musique arafatienne en fin de compte est une sublimation de ses irritations et fureurs qui ne sont rien d’autres que celles de tous les jeunes qui se reconnaissent en lui.
Secondement : Fils d’un couple de musicien (Wompy et Tina Glamour), on peut dire que la musique coule dans ses veines. Néanmoins, rejeton d’une génitrice peu commode, friande de scènes osées voire obscènes, Arafat depuis son jeune âge est marqué par cette indécence amplifiée par une presse avide de sensations. La violence de son art n’est qu’une tentative désespérée de transcender cette « honte », un exutoire pour se délester de ses « démons ». Ses colères expriment une révolte contre l’autorité parentale et par delà l’autorité gérontocratique. Instable dans ses relations, accroc des conflits et des scandales, Arafat est tel un « mutant » en quête d’une nouvelle identité. Nous en voulons pour preuve cette accumulation de sobriquets déroutants : « Apache », « Yorobo », « Koné Zabra », « Baracuda », « Commandant Kôrô », « le tueur de taureaux », « commandant deux fois koraman ».
Deux fois lauréats du Kora du meilleur artiste masculin de l’Afrique de l’Ouest, Arafat a déjà marqué sa génération. Il continuera certainement à plaire aux plus jeunes et à déplaire aux fondamentalistes. Rebelle, il l’est. Mais l’art, fondamentalement, n’est-il pas une sorte de rébellion ? Le désordre apparent qui coule dans sa création a quelque chose de sublime. Car c’est justement cette négation du « déjà entendu » qui lui donne toute sa dimension artistique. Transgresseur devant l’Eternel, Dj Arafat nous rappelle que l’art et même tout art est une forme du désordre dans la mesure où il est un écart par rapport à l’ordre établi.
Macaire Etty