Le dialogue peut – il aboutir ?
(FratMat, 18 mars 2013) – Dialogue de sourds au bord de la lagune Ebrié ? Le gouvernement et le Front populaire ivoirien se sont, à nouveau, retrouvés, le vendredi 8 mars, pour continuer le dialogue, entamé en septembre 2011. Les avis sont partagés quant à l’issue de ces négociations. Pour les sceptiques, c’est un dialogue par essence, voué à l’échec. Ils en veulent pour preuve les positions opposées sur l’application de la loi d’amnistie. Le 31 janvier, dans une note de synthèse sanctionnant des travaux en commission entre le gouvernement et le Fpi, il est apparu une divergence de vues sur cette question.
La direction actuelle de l’ancien parti au pouvoir estime que le premier pas à poser avant la poursuite des négociations devrait être le vote par les députés d’une loi d’amnistie générale : ‘’ Avec une récurrente insistance, le Fpi propose la prise d’une loi d’amnistie comme pierre d’angle de la réconciliation nationale et de l’avancée des négociations pour un retour à la normalité définitive dans notre pays (…), cette loi d’amnistie doit être votée au début du processus afin que les cœurs et les esprits soient libérés de toute peur et que les Ivoiriens de tous bords, exilés et déplacés, puissent, en toute confiance, se retrouver et rebâtir la nation sur un socle solide’’.
Selon les responsables de l’ancien parti au pouvoir, le gouvernement devrait prendre comme exemple le vote de la loi d’amnistie à la suite des Accords de paix de Marcoussis et de Ouagadougou, qui a facilité la poursuite des négociations entre le régime en place et les insurgés. Démarche aux antipodes de celles du gouvernement. Pour celui-ci, l’amnistie ‘’ ne peut constituer que le couronnement d’un processus qui devra franchir les étapes de la justice, la repentance et du pardon’’. Autre point qui constitue un blocage, c’est la recomposition de la Commission électorale indépendante (Cei).
Le Fpi souhaite la mise en place d’une nouvelle structure chargée d’organiser les élections, constituée en majorité de partis de l’opposition ‘’où, à tout le moins, une représentation paritaire (50% pour l’opposition et 50% pour le pouvoir) avec un poste de président et de trois postes de vice-présidents à l’opposition’’. Pour les membres du Fpi, ce serait un juste retour des choses. Alors qu’ils étaient au pouvoir, ils ont accepté, à l’issue de l’Accord de Pretoria du 6 avril 2005, de céder le poste de président de la nouvelle Cei à l’opposition. Pour eux, malgré le fait que la clé de répartition des postes au niveau de la Commission centrale était largement favorable à l’opposition, Laurent Gbagbo, l’ancien Président, a signé cet accord. Mais le contexte est-il le même aujourd’hui ?
Le gouvernement, selon la note de synthèse, tout en admettant le principe et la nécessité d’une réforme de la Cei, a fait savoir qu’une telle initiative, à l’heure actuelle, retarderait l’organisation des élections locales. La réorganisation de l’institution chargée de l’organisation des élections impose des contraintes : sensibilisation des acteurs politiques, élaboration d’un projet de loi modificatif, programmation et discussion à l’Assemblée nationale, choix et mise en place des commissaires, élection du nouveau président et du bureau. Tout cela prend du temps. Mais pour le parti de l’ancien Président Laurent Gbagbo, il faut ‘’prendre ce temps’’.
Après un premier report, la direction du Fpi sollicite un second. Son secrétaire général par intérim, Richard Kodjo, l’a déclaré début mars. Les élections locales, prévues initialement le 24 février, ont été renvoyées au 21 avril pour permettre à tous d’y prendre part. Selon des observateurs, c’est une ‘’astuce’’ de l’ex-parti au pouvoir pour empêcher le déroulement normal du programme du Président Alassane Ouattara. Le Fpi souhaite que ces élections se tiennent fin 2013 – début 2014. Dans ses propositions qui ont tout l’air de préalables, le parti demande une rencontre entre le Président de la République, SEM. Alassane Ouattara et l’ancien Chef de l’Etat, Laurent Gbagbo. Il faut, poursuit le Fpi, également que le gouvernement écrive à la Cour pénale internationale (Cpi) pour demander une mise en liberté de l’ex-Président, soupçonné de crimes contre l’humanité. Face à ces quasi-exigences, le gouvernement serait-il en train de perdre son temps à dialoguer avec ce parti ? Malgré le scepticisme des uns, l’on note la foi des autres en ce dialogue entamé. Pour le Premier ministre, ministre de l’Economie et des Finances, Daniel Kablan Duncan, ‘’le premier sujet de satisfaction, pour chacun de nous, réside dans le fait que nous avons pu nous mettre ensemble et discuter dans la sérénité et le respect mutuel, comme des frères et sœurs que nous sommes, filles et fils d’une même mère, la Côte d’Ivoire’’.
Le chef du gouvernement, investi de la confiance du Président de la République qui a ouvert les négociations avec le Fpi en 2011, entend user du dialogue, ‘’l’arme des forts’’, pour ramener l’ancien parti au pouvoir dans le jeu politique. Comme le Premier ministre, de nombreux hommes politiques se disent confiants quant à l’issue de ces discussions.
Ils estiment cependant qu’il faut débarrasser celles-ci de toute mauvaise foi. Selon eux, dans un passé récent, c’était la chose la mieux partagée en Côte d’Ivoire. S’il est vrai, disent-ils, que dans toute négociation, il y a de la surenchère, il faut, dans le cas de la Côte d’Ivoire qui sort d’une crise post-électorale aiguë, faire preuve de réalisme et contribuer au retour définitif de la paix.
ÉTIENNE ABOUA