«J’ai d’ailleurs donné du fil à retordre à mon correcteur… »
Elle est de ces écrivains ivoiriens dont l’écriture captive, enivre et emporte jusqu’à l’infini. Aussi entraînant que son recueil de nouvelles ”Tounghan ou les écueils de l’immigration”, ”Sous le joug d’un Dangadéh”, le nouveau roman de Mahoua S. Bakayoko, est une œuvre qui ramène à une sorte d’introspection sur la valeur et le pouvoir des traditions. De par sa pertinence et sa thématique aux senteurs de cet autre écrivain émérite ivoirien Amadou Kourouma, cet ouvrage de 135 pages, publié aux Editions Balafons, interpelle. Comme partant d’un film, Mahoua trace des personnages dans leurs espaces respectifs. Vocable extrait du titre de l’œuvre, ”Dangadéh” est un mot Malinké qui signifie l’enfant maudit. Une malédiction des parents, surtout, de la mère qui, pour le Pr Valy Sidibé, ancien doyen de l’Ufr Langues, Littératures et Civilisations et actuel directeur général de l’Ecole normale supérieure (Ens), plombe, à coup sûr, l’avenir et même le devenir d’une personne dans la société. Quant à l’auteure elle-même, ”Sous le joug d’un Dangadéh” est aussi bien un roman qu’un titre. « J’ai à nouveau trempé ma plume dans l’encrier de nos larmes pour tracer sur le buvard de nos drames, des mots de feu, des phrases expiatoires, catharsis indispensable pour reverdir nos riches contrées et stopper ainsi la saignée de notre jeunesse vers ces lointaines contrées qui se barricadent chaque jour un peu plus », a-t-elle indiqué au cours d’une cérémonie de dédicace de ce nouveau roman et du tome 3 de ”Toungan ou les écueils de l’immigration”, le vendredi 11 avril 2014, au Café St-Michel, à la Riviera. « C’est un texte qui m’a fait passer par toutes les émotions en se révélant à moi à l’origine en Malinké, ma langue maternelle dont les ébauches d’écriture ne me sont pas familières. Encore plus à une bonne tranche de mes lecteurs qui y perdraient certainement leur base latine. Seul donc, le français que je pratique, et que j’écris aisément, me donnait cette opportunité de traduire à l’écrit tout ce que mon âme Malinké ressentait », a reconnu Mahoua Bakayko, avant de confier : « j’ai d’ailleurs donné du fil à retordre à mon correcteur, un brillant usager de la langue de Molière qui a dû reprendre à nouveau ses marques afin d’entrer dans l’œuvre dont il dira : ”un bel attelage de français sur un fond de Malinké’ ». Dans cette œuvre, son âme de femme s’exprime dans toute sa plénitude. Sa fibre maternelle également vibre en modelant, façonnant et en cheminant dans les dédales de la déchéance aux côtés de Nènè Berté, mère d’un ”dangadéh”, génitrice de Lance Berté, le fils maudit. « J’ai créé le martyre d’une mère écartelée entre ses propres démons, un fils maudit et une société inhumaine. Des personnages qui m’ont été imposés, pire, jetés au visage par une société qui ne m’a pas laissé le choix », a laissé entendre Mahoua S. Bakayoko. Et de rappeler que ”Sous le joug d’un dangadéh” peint dans les moindres grâces, la face hideuse d’un amour maternel nocif. C’est l’histoire d’une mère embastillée entre les murs de ses pulsions maternelles et qui comprit comment exploiter les failles de la société au service de sa passion dévorante. Des dysfonctionnements qui deviennent ses adjuvants pour la cause de son ”dangadéh” de fils dans une société où tout a un prix. « Tout se monnaye, tout s’achète. De la justice, à la dignité humaine en passant par l’impunité », a-t-elle déploré. Des plaies purulentes, à l’en croire, sur lesquelles le roman vous écarquille les yeux, marqueront durablement vos esprits. « Des plaies qui pousseront en vous la porte des remises en cause. Des vicissitudes pour notre plus grand malheur qui attisent la torche de ces milliers de candidats à l’immigration clandestine », en est-elle convaincue. Pour le Pr Valy Sidibé, lui qui fut le collaborateur pendant de nombreuses années au département des Lettres de l’Université de Cocody du Pr Bernard Zadi Zaourou, le livre de Mahoua Bakayoko n’est rien d’autre que la traduction de notre propre histoire.
DIARRA Tiémoko
Source: Soir Info 5872 du jeudi 24 avril 2014