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andre s konan

Par André Silver Konan, journaliste-écrivain

Je ne vais pas rentrer dans le débat de fond sur l’opportunité ou non du transfèrement de l’ex-ministre de la rue (aucune volonté d’utilisation d’une expression péjorative, c’est ainsi qu’il s’est lui-même souvent présenté) puisque ma position sur la Cour pénale internationale (CPI) est connue de tous. Mon intervention est anglée sur les personnes physiques ou morales qui ont fourni, consciemment ou inconsciemment, le couteau du transfèrement de Charles Blé Goudé, au gouvernement ivoirien, sur un plateau de pain béni.

En effet, j’accuse un certain Philippe Kouhon, de qui je reçois, sans avoir jamais été demandeur, comme des centaines autres journalistes de Côte d’Ivoire et de France, des alertes quasi quotidiennes, dans ma messagerie, toutes ou presque, rivalisant aussi bien de mensonges que de manipulation. C’est ce journaliste ( ?) qui a reçu et publié les photos de Blé Goudé, prises dans les premières heures de sa détention à la Direction de la surveillance du territoire (DST) à Abidjan, suite à son exfiltration spectaculaire du Ghana.

C’est connu, un communicateur (ou un journaliste) militant, donc très souvent médiocre, ne voit midi qu’à sa porte. Autrement dit, il ne pousse jamais l’analyse plus loin que le bout du nez de son raisonnement figé. En publiant ces photos qui dataient, alors qu’il savait très bien que les conditions de détention de Blé Goudé avaient depuis lors changé, il ne visait qu’un objectif : salir le gouvernement d’Alassane Ouattara, en le présentant sous un visage de régime peu soucieux des droits de l’homme.

Revers de la médaille

J’ai l’habitude de coacher des personnes (de petites gens comme des responsables de haut niveau) en matière de communication. Et la première chose que je leur demande est : quel objectif voulez-vous atteindre en initiant cette campagne de communication ? Les réponses sont souvent surprenantes. La deuxième question que je pose est : savez-vous que la personne visée par la campagne de communication peut avoir une réaction tout à fait inattendue et dans ce cas, êtes-vous préparés à continuer le combat sur un ou plusieurs autres fronts ? Très souvent, la personne coachée réoriente sa stratégie et l’adapte parce qu’elle avait tout calculé sauf justement les réactions inattendues de sa cible.

Un bon communicateur à l’instar d’un bon avocat, prend donc toujours le soin d’informer la personne qu’il coache, sur toutes les conséquences possibles de son action de communication. Quand on mène une action de communication, on récolte les bénéfices médiatiques, mais il faut aussi s’attendre au retour violent du bâton. C’est ce que j’appelle le revers désastreux de la médaille.Nous avons tous des façons différentes de réagir face à une situation. Et une action de communication peut amener la cible identifiée, soit à revoir sa copie, soit à adoucir sa ligne, mais aussi, il ne faut pas l’occulter, à radicaliser sa position. Bref.

Dans le cas Blé Goudé, j’accuse donc le responsable principal de la diffusion des images de mise en scène (cf. la Bible et l’éponge, ainsi que la culotte immaculée) dégradantes du chef des jeunes patriotes, d’avoir initié une action dont l’objectif unique était de faire mal aux autorités, puisque l’objectif n’était pas d’attirer l’attention sur les conditions de détention de Blé Goudé, étant donné que celles-ci avaient radicalement changé depuis les premiers jours de son arrestation. Tous les avocats et proches du futur candidat de la prison de Scheveningen le savent. Etant donné aussi qu’Abidjan était moins disposé à envoyer Blé Goudé à La Haye. Je peux me tromper (c’est aussi cela le mérite d’un décryptage qui n’a pas la prétention d’être vérité absolue) mais je pense que si ces photos n’avaient pas été publiées, on ne parlerait pas aujourd’hui d’un transfèrement de Blé Goudé à la CPI.

Comme un militant excité, le journaliste ( ?) n’a pas pris le soin de réfléchir (je pèse bien mes mots) sur les réactions imaginables possibles des autorités. Sans doute, et c’est une erreur congénitale au Front populaire ivoirien (FPI) ce journaliste ( ?) militant a décrété que le gouvernement ne pouvait pas transférer Blé Goudé, en se fondant sur des prophéties les unes les plus loufoques que les autres ou en forgeant une intime conviction sur des lubies plutôt que sur un décryptage froid de la situation. Petite parenthèse : c’est parce que le camp Gbagbo y compris lui-même, ont toujours minimisé, voire méprisé les capacités de réaction et d’actions du camp Ouattara qu’ils se retrouvent aujourd’hui en prison ou en exil et eux, au palais présidentiel.

Faire tourner sept fois ses méninges…

J’accuse de même les médias qui sont prosaïquement baptisés de « bleus », qui ont enfoncé le couteau de décapitation, dans la chair de Blé Goudé, en persistant à accabler les autorités étatiques, en dépit des images plus récentes du leader charismatique de la lutte anti-rébellion. J’ai souvent souri quand j’ai capté certaines conversations de pseudo stratèges, vrais mystificateurs, passant des mots d’ordre dans les rédactions « bleus » pour qu’aucune image des photos récentes, ne soit publiée par ces médias, afin que la mémoire populaire ne retienne que les premières photos dégradantes. J’ai attiré l’attention de l’un des initiateurs de cette campagne sur les risques qu’il faisait courir à Blé Goudé, il m’a ri au nez en me jetant à la figure que c’était cela la politique.

Je me suis dit : bon sang, serait-il possible qu’on soit aussi aveugle ? Qu’est-ce qu’il espère ? Que les autorités libèrent Blé Goudé ? Certainement pas, on ne libère pas une personne qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI (je le dis pour ceux qui rêvent de voir Simone Gbagbo, sortir de prison), je l’ai déjà dit et je le répète. Il ne restait plus que l’option du transfèrement.

Les proches de Blé Goudé qui pensaient tenir là un motif suffisant pour accabler Alassane Ouattara auraient voulu eux-mêmes « livrer » celui-ci, qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Un Judas peut vraiment en cacher un autre. Du fond de sa résidence surveillée, Blé Goudé, comme dans l’affaire Omar Raddad, peut s’écrier aujourd’hui : « ce journaliste m’a…tuer ».

Morale de l’histoire : il faut tourner sept fois ses méninges, dans sa tête, avant d’initier une action de communication (surtout politiquement délicate).

André Silver Konan,

journaliste-écrivain,

Master en Communication,

ex-stagiaire en communication politique au CFPJ de Paris