Un document photographié aux bras d’un fonctionnaire du Foreign Office recommande de ne pas fermer la City aux Russes. Londres dément mettre les intérêts de son centre financier avant ses efforts pour régler le conflit naissant.

La Bourse de Londres compte une soixantaine d’entreprises issues de l’ex-Union soviétique qui se sont cotées ces dernières années - Steve Back of Political Pictures

(Les Echos) – Un document sous le bras d’un fonctionnaire du Foreign Office photographié par la presse est venu rappeler lundi soir que Londres joue gros dans le bras de fer qui se joue entre la Russie et l’occident à propos de l’Ukraine. « Le Royaume-Uni ne devrait pas pousser pour des sanctions commerciales ou fermer le centre financier de Londres aux Russes, » pouvait-on en effet lire alors que ce fonctionnaire entrait au 10 Downing Street, le bureau du Premier ministre, pour une réunion du Conseil national de sécurité (National Security Council, NSC). Selon ce document, le pays doit cependant se préparer à mettre en place avec l’Union européenne de potentielles restrictions sur les visas d’officiels russes, voire des interdictions de séjours.

Si comme l’Allemagne et la France, le Royaume-Uni a besoin du gaz russe, Londres « importe » aussi beaucoup d’argent de ce pays depuis la chute de l’empire soviétique. Il accueille d’ailleurs également beaucoup d’argent des milliardaires ukrainiens. Cet argent alimente l’activité de la City, la place financière de la capitale britannique, ainsi que toute l’économie de la ville, en particulier son marché immobilier. Les super-riches de Londres, pour la plupart issus des zones émergentes comme la Russie et ses ex-dépendances ou le Moyen-Orient, dépensent environ 4 milliards de livres par an au Royaume-Uni sans compter l’achat de leur maison, a calculé le consultant Ramidus Consulting dans une étude .

Un gel des actifs des proches de Poutine pas à exclure

Alors qu’une réunion des ministres des Affaires étrangères européens a lieu aujourd’hui mardi à Bruxelles, le gouvernement britannique s’est défendu de mettre les intérêts de la City avant ses efforts pour régler la crise ukrainienne. Des fonctionnaires interrogés par le « Financial Times » ont expliqué que le document probablement porté par Hugh Powell, le fils d’un conseiller diplomatique de Margaret Thatcher, était « en ligne » avec la position britannique. « La position du Premier ministre est claire : la poursuite de la violation de la souveraineté de l’Ukraine aura des coûts et des conséquences », a affirmé un porte-parole de Downing Street. Selon le « Guardian » , aucune décision n’a été spécifiquement prise pendant cette réunion du NSC, mais le gouvernement britannique fait effectivement attention de bien cibler Moscou dans ses sanctions économiques et ne veut pas pénaliser les intérêts britanniques.

Deux conservateurs du groupe parlementaire sur la Russie ont estimé, pour le premier, que « toutes les options devaient être sur la table, même si cela impacte nos intérêts financiers », et pour le deuxième, que « le gel des actifs des proches de Putin » n’était pas à exclure.

Comme l’a calculé le « Financial Times », le London Stock Exchange, la Bourse de Londres, compte en tous cas une soixantaine d’entreprises issues de l’ancienne Union soviétique qui se sont cotées ces dernières années. On compte beaucoup d’entreprises dans les matières premières comme Rosneft, dans le pétrole, ou Petropavlovsk, dans l’or, mais également des groupes comme Cherkizovo, le plus grand producteur de viandes russe ou Lenta, une chaîne d’hypermarchés. L’Ukraine compte également des entreprises cotées à la City comme Ferrexpo, dans le minerai de fer, ou MHP, dans les volailles. Ces valeurs ont beaucoup souffert en Bourse lundi. La crise pourrait en outre tarir le flux d’introductions en Bourse, un marché que convoite Londres tout particulièrement et qui stimule les revenus des banques d’investissement en ce moment. Commercial Bank of Moscow et le détaillant russe Detsky Mir visent notamment une cotation sur le LSE.

L’impact de la crise sur Londres est cependant difficile à évaluer. Car un autre phénomène joue en cas de grands mouvements géopolitiques. A chaque fois qu’il y a eu une crise quelque part dans le monde, l’argent a afflué vers Londres pour y être sanctuarisé, aiment à rappeler les agents immobiliers de la ville.

Par Nicolas MADELAINE