DIRE SANS LE DIRE
Tchi Luangu Mueni
Adages, anecdotes, dictons et proverbes d’Afrique noire
Fumu BIPE
« ‘‘Tchi baamb-eh ? Yan kaamb liaandi !’’ En tout cas, je lui ai vraiment dit tout ce qu’il méritait. Je te jure que je n’ai pas mâché mes mots. Et s’il n’y prend garde, il va de nouveau m’entendre ! Il va me sentir ! »… Tout un contexte, un univers, une culture ! Le discours africain en général, et Vili dans ce cas particulier, renvoie à des faits, à des dits et des non-dits ; un univers dans lequel les mots s’agitent et suscitent des réalités imagées, un cadre combien vivace, loquace et parfois cocasse à la fois. Parler et comprendre Vili, c’est tel s’employer à décortiquer les chefs d’œuvres de ces honorables Égyptiens enfouis sous le sable du temps qui s’égrène. L’un se réfère à la bouche (parler), l’autre aux yeux (l’admiration des fresques murales séculaires); mais tous deux se réfèrent à la mémoire, à la pensée vive en nous, telle la moelle épinière de l’être humain : je pense donc je suis. C’est bien grâce à notre aptitude à penser que nous existons et pouvons nous remémorer des propos édictés dans le temps par nos Anciens. C’est encore grâce à la mémoire que cet univers en nous s’éveille, s’embrase et s’emballe bien des fois par la parole qui semble prévaloir sur le souffle de vie; elle nous fait évader dans les dédales du temps, du passé ; un monde fait de nostalgie et de rêverie. ‘‘Comme l’affirmaient nos Ancêtres… Ainsi disaient nos Anciens…’’. Sommes-nous encore à même de nous souvenir de ce que nos Vieillards bien-aimés avaient coutume de se dire ? Il semblerait que tel est le pari à relever ; non pas que par le Loango, mais par tout Africain à la ronde. Fumu BIPE, à travers cet ouvrage nous brosse un tableau à la fois révélateur et indicateur sur l’état de notre patrimoine culturel, puis évoque sans détour la place que doivent occuper nos langues au quotidien.
Originaire de Pointe-Noire (Congo-Brazzaville), l’auteur est né en Mvoumvou, au pied d’un palmier. Il a appris à s’exprimer au village, auprès de ses grands-parents maternels à Kouani puis a grandi à Loandjili -vue-sur- Papa-Lella, sous l’aile d’un de ses frères, Ya’ Germain, le 2e des huit. Fumu BIPE a toujours été fasciné par le Verbe. Il s’était juré de suivre les traces de cet homme charismatique de la paroisse St-Christophe, l’abbé Godefroy Mpuati ‘‘Ta’ Gohod’’ qui, par ses écrits en vili a marqué à jamais le petit garçon de 7 ans qu’il était.
42 euros 432 pages ISBN : 978-2-336-00733-5 |
Préface
L’auteur est un ami, un frère de longue date. Il m’a chargé de préfacer cet ouvrage. Il ne s’agit pas d’un roman sur sa vie personnelle mais plutôt d’un répertoire d’adages, d’anecdotes, de dictons et de proverbes de la région du Kouilou, au Sud-ouest du Congo- Brazzaville. C’est pour moi un honneur de pouvoir ainsi contribuer à la réalisation de cette œuvre. Je lui suis reconnaissant pour cette marque de confiance.
Fumu BIPE et moi-même sommes fils de cette Afrique où la Tradition orale traine encore les pas à céder la place à l’Ecriture. De cette Ecriture, Amadou Hampâté Bâ disait ceci : « L’écriture est une chose et le savoir en est une autre. L’écriture est la photographie du savoir, mais elle n’est pas le savoir lui-même. Le savoir est une lumière qui est en l’homme ; héritage de ce qui lui a été transmis. La parole EST l’homme. Le verbe est créateur. Il maintient l’homme dans sa nature propre ».
Bien que l’Ecriture ne soit pas le savoir lui-même, et selon Amadou Hampâté Bâ, je pense que Fumu BIPE s’investit dans un rôle honorable, celui de la transmission du savoir traditionnel par l’Ecriture. J’ai mémoire qu’avant lui, la tradition orale africaine est très présente dans les œuvres de Senghor et de Birago Diop pour ne citer que ces deux écrivains, fils d’Afrique. Pour moi, ce livre est une invitation aux intellectuels africains et africanistes de tout horizon à s’investir dans ce rôle qui, certes, n’est pas nouveau mais semble être de plus en plus négligé, relégué au second plan, saboté et ravi par ceux-là qui ont la disgracieuse manie de vouloir réécrire l’histoire africaine par des assimilations et des comparaisons tout azimut avec l’Occident. C’est aussi un moyen pour l’auteur de nous faire remarquer que ce n’est pas seulement la transmission orale qui a le mérite d’inculquer les valeurs traditionnelles d’Afrique à ses enfants, mais l’écriture a aussi sa part, son rôle à jouer.
Pour qui l’auteur écrit-il maintenant ? Et pourquoi au moment où l’Afrique noire profonde a perdu la presque totalité de ses vieillards détenteurs du savoir ? Quels sont les objectifs visés ? La réponse à la première question est simple. Fumu BIPE écrit pour l’Afrique subsaharienne. Etant donné qu’il nous reste heureusement encore quelques patriarches, le choix de la période est à mon avis très approprié, parce que l’Afrique compte aujourd’hui un taux élevé d’intellectuels. Et, de nos jours, de plus en plus de Noirs lisent, écrivent aussi. Ainsi, l’objectif de l’auteur de cet ouvrage Dire sans le dire : Tchi Luangu Mueni (…) c’est d’enseigner les valeurs de la tradition africaine aux filles et fils du continent, au même titre qu’informer tous nos homologues pro-africains et chercheurs des quatre coins du monde. Car chez l’Africain, les traditions européennes semblent de tout temps s’entrechoquer sur notre réalité et cherchent visiblement à dominer nos âmes si on n’y prend pas garde. L’assimilation culturelle, à travers ce qu’on a appelé ici par mondialisation, semble déferler sur tout ce qui affiche une flamme tonifiante puis en venir à l’étouffement, à l’extinction effective si redoutée : l’aliénation mentale.
Cet ouvrage que vous vous apprêtez à parcourir, représente plusieurs années de travail, une volonté réelle de vous livrer un riche répertoire d’adages, d’anecdotes, de dictons et de proverbes de chez nous. La détermination, l’envie et le besoin d’écrire au sujet du savoir du terroir profond de nos « Anciens » s’y retrouvent. C’est pourquoi je vous recommande sa lecture, laquelle suscite beaucoup d’émotions et un grand intérêt linguistique aussi : celui de faire connaissance, de faire connaître, d’expérimenter et de vivre les proverbes de chez nous, qui imagent des vérités, l’éloquence et la Sagesse. Nous éloigner de nos valeurs traditionnelles pour d’autres, encore plus modernes soient-elles, serait naturellement regardé comme une haute trahison de la mémoire de nos Ancêtres, lesquels sont et demeurent nos bibliothèques d’intérieur, car leurs propos devraient être tels nos livres de chevet, à tout jamais.
Simplice ONGUI, journaliste
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