«Sachons comprendre le silence du peuple»

Ake Ngbo

Pr. Gilbert Marie N’Gbo Aké

(L’Inter, 30 décembre 20130) – Akoupé-Zeudji, sous-préfecture d’Anyama, ce samedi 28 décembre 2013. Le soleil s’est à peine levé sur ce plus gros village d’Anyama. Tout le monde s’active pour accueillir ”la cérémonie de purification du symbole retrouvé” à travers le retour au village de leur fils, le Pr. Gilbert Marie N’Gbo Aké. L’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo a saisi cette occasion pour lancer un message fort, notamment à l’endroit du chef de l’État actuel, Alassane Ouattara qu’il a remercié pour l’avoir libéré, après de deux ans de détention à la prison de Boundiali. «Que le pardon l’emporte sur la vengeance (…)“, déclare-t-il en soulignant devant ses parents : «j’ai fait la prison pour avoir servi la République. Les Ivoiriennes, les Ivoiriens, les habitants de la Côte d’Ivoire aspirent à vivre en paix. La voix du peuple est la voix de Dieu, mais surtout sachons comprendre le silence du peuple». Mais avant, les invités du Pr. Aké N’Gbo ont eu droit à une démonstration de force des habitants d’Akoupé-Zeudji. Ce jour-là, les activités commerciales battent son plein. Maquis et autres buvettes sont pris d’assaut par les nombreux invités qui déferlent sur le plus gros village de la sous-préfecture d’Anyama. Quant aux alentours de 10 heures, le regard des organisateurs est attiré par le grand nombre de véhicules. «Garez-bien. Ce n’est pas la peine d’avancer parce qu’il n’y a plus de place devant», nous ordonne un jeune scout commis à la sécurité. A l’image de notre véhicule, toutes les autres voitures sont stoppées. Toute la sous-préfecture est à pied d’œuvre ce samedi, jour de «Djanffeu (cérémonie de purification en langue locale)». «Aujourd’hui est un grand jour. Nous allons demander aux génies de purifier les prisonniers politiques pour qu’ils étincellent dans l’avenir», explique un ancien du village. A 11 heures, le mercure monte un peu plus. Les invités sont pratiquement tous là. Les ex-détenus de Bouna, ceux de la Maca, de Boundiali, de Korhogo, de Katiola, d’Odienné. On peut citer, entre autres, les ministres Aboudramane Sangaré, Alphonse Douati, Bro Grébé, Alcide Djédjé, Lida Kouassi Moïse, Dallo Désiré. A leur côté, Michel Gbagbo, Akoun Laurent, Serges Bogohuet, Maurice Lorougnon, Diabaté Bêh… Dès 12 heures, toutes les populations, parées de leurs plus beaux habits, affluent vers la place publique pour la cérémonie, qui débute avec l’arrivée de l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo.

PURIFICATION

Vêtu d’un complet jean de couleur bleue, coiffé d’un chapeau blanc, une serviette au cou,  Gilbert Marie Aké N’Gbo, la barbe et les cheveux toujours abondants, le regard vif et serein derrière des lunettes rondes, fait son entrée sur la place sacrée accompagné de trois chevaux et d’une forte délégation. C’est l’émotion dans la foule. Des larmes de joie, pour certains, quand d’autres remercient plus d’une fois le Seigneur pour la libération de l’ex doyen de l’UFR en Sciences économiques et de gestion. Christophe Kacou, représentant la famille Gnin détenant les secrets de la terre d’Akoupé-Zeudji, fait son apparition. Il passe à la libation qui consiste à invoquer les esprits des ancêtres, à remercier Dieu pour la tenue de cette cérémonie, et d’avoir gardé le village toute l’année, et à demander sa bénédiction sur tous les fils et filles du village. Après quoi, la cérémonie est marquée par la procession des «Djigbôs», la génération de Gilbert Aké N’Gbo. Chaque classe d’âge passe, salue le tam-tam parleur et esquisse des pas de danse mettant en évidence son savoir-faire. L’ancien président de l’université de Cocody s’est illustré de fort belle manière lors du passage des «Djehué», classe d’âge dont il fait partie. Et arrive le moment de la purification proprement dite. «On va, ses amis et lui, le débarrasser de toute souillure», dit-on dans la foule. Mme Amon Marie est chargée de faire la purification. Elle est envoyée par celle qui détient le secret de la tradition. Mme Amon avance et avec de l’argile blanc, badigeonne le visage de l’ancien prisonnier de Boundiali puis ceint sa hanche avec un pagne blanc. «Cette cérémonie est nécessairement réservée à ceux qui sont mordus par le serpent alors qu’ils n’ont pas marché sur lui, c’est-à-dire à des innocents conduits en prison, calomniés, diabolisés pour des raisons incompréhensibles bâties autour d’un mensonge», explique le maître de cérémonie. Ce rituel du jour a pour premier sens la joie née du symbole reconstitué et retrouvé. Le deuxième sens de ce rituel est la purification du symbole retrouvé parce que les corps des prisonniers ont été désacralisés par la prison sans justice et aussi parce cette histoire de prison relève du mystère et de l’impensable. Et enfin, le troisième sens, les prisonniers, en acceptant de subir «le Djanffeu», sont invités aussi à pardonner pour le triomphe de la paix dans la vérité.

Cyrille DJEDJED (envoyé spécial à Attinguié)