(Notre Voie, 24 – 25 décembre 2013) – A l’occasion de la fête que la région de Gagnoa a organisée pour lui rendre hommage, l’ex-ministre de l’Economie et des Finances, Désiré Dallo, a livré une importante allocution. Nous vous en proposons de larges extraits.
« …Chers parents, je voudrais que vous vous associiez à moi pour remercier certains amis qui sont présents ici. Je ne vais pas les citer car ils ne l’accepteraient pas. Depuis trois (3) ans, grâce à leur extrême générosité, j’ai pu rester digne et en bonne santé… Ils se reconnaîtront dans mes propos. Solennellement et du fond du cœur, je leur dis merci et que Dieu les bénisse.
Avant de poursuivre mon propos, souffrez que je m’acquitte d’un devoir moral. Je voudrais saluer la mémoire de Paul-Antoine BOHOUN BOUABRE et de Désiré TAGRO, ces frères qui m’ont apporté leur affection ces années passées et qui m’ont soutenu pour la réussite de ma mission de Directeur Général du Port Autonome de San Pedro. j’ai aussi une pensée émue pour tous ceux qui ont perdu la vie au cours de la crise postélectorale.
A tous ceux qui, victimes de cette crise, sont encore en détention ou vivent en exil, j’exprime mon soutien et ma compassion, de même que le vœu ardent de leur élargissement ou de leur retour au pays. je pense tout naturellement et tout particulièrement au Président Laurent Gbagbo, mon grand frère, mon mentor depuis l’âge de 7 ans, mon protecteur. je suis fier de l’avoir servi comme ministre de l’Economie et des Finances de mon pays. Que Dieu lui accorde la santé durant cette épreuve de feu qu’il traverse. Mon cœur et celui de très nombreux Ivoiriens ne seront en paix qu’avec sa libération effective que nous appelons de tous nos vœux.
…Mesdames et Messieurs, aujourd’hui nous sommes le 21 décembre 2013. Il y a donc un an jour pour jour, le 21 décembre 2012, je quittais la Maison d’Arrêt et de Correction de Boundiali où j’avais été écroué le 9 juillet 2011 avec 24 autres personnalités. Auparavant, j’avais séjourné une semaine à l’Hôtel du Golf, passé trois mois en résidence surveillée à l’Hôtel la Nouvelle PERGOLA, avant d’être placé sous mandat de dépôt le 23 juin 2011. Une de ces personnalités, l’intrépide défenseur des travailleurs, M. MAHAN GAHE Basile, mon voisin de la cellule 2, n’est plus de ce monde.
Je voudrais qu’une minute de silence soit observée en sa mémoire. Je voudrais enfin, saluer quelques compagnons d’infortune, compagnons de l‘aventure de Boundiali. Je voudrais que vous saluez chaudement la présence de : l’honorable Sokouri Bohui, Gnahoua Zibrabi, Koidou Constant, Armand Bohui.
Oui le 21 décembre 2012, après l‘annonce de notre libération au journal télévisé de 20h la veille, Gilbert AKE NGBO, Basile MAHAN GAHE et Norbert GNAHOUA ZIBRABI, nous sommes partis vers 13 heures de la prison civile de Boundiali. Nous étions animés d’un sentiment mêlé de joie et de tristesse car abandonnant, malgré nous en lieu de détention, nos frères Philippe-Henri DACOURY-TABLEY, Alcide DJEDJE ILAHIRI, Martin SOHOURY BOHUI et SEKA OBODJI Christophe-Désiré. Après 3h d’escale à KORHOGO, nous sommes arrivés vers 21h à Bouaké où le Préfet de Région nous fit passer la nuit au RAN Hôtel, première nuit en liberté après 20 mois et 9 jours de captivité. Le lendemain samedi 22 décembre nous avons rejoint Abidjan vers 10h 30, Abidjan que nous n’avions plus vu en liberté depuis ce Conseil des Ministres annulé du 31 mars 2011. Quel beau cadeau de Noël pour mes enfants, ma femme, ma mère, mes frères et sœurs, mes amis. Oui la liberté était enfin retrouvée après une épreuve de feu où le sentiment d’injustice le disputait à l‘incrédulité par rapport aux chefs d’inculpation. Oui ce fut une période noire avec notamment les accusations de génocide, d’assassinat et de viol.
Mais ce jour, je ne voudrais pas rappeler ses souvenirs douloureux, encore moins ressasser des rancœurs et des récriminations. Mais, je voudrais surtout partager en quelques mots les enseignements que j’ai tirés de la terrible épreuve que nous, enfants de ce pays, nous infligeons, les uns aux autres.
Chers parents, les premiers reflexes quand on connaît une expérience comme la nôtre, c’est de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là. Quelle est votre part de responsabilité personnelle ? Quelle responsabilité porte notre histoire commune? Etc.
Au-delà de cette introspection, l’incarcération vous amène à songer à la vie après la sortie, à vous interroger sur vos rapports avec les autres. Naturellement, le séjour en prison vous fait prendre conscience de votre extrême vulnérabilité. Elle vous rend tributaire de la disponibilité, voire du bon vouloir des autres. Elle suscite des gestes forts de solidarité, souvent de la part de personnes auxquelles vous ne vous attendiez pas. Par la force des choses, vous venez à partager beaucoup de la vie de vos geôliers. Ce faisant, vous êtes plus disposé à être encore plus tolérant. La prison vous incline à être encore plus patient, car vous n’avez aucune maîtrise sur le cours des choses. Le courage est le fuel de votre mental que vous devez garder haut pour éviter de sombrer moralement et même physiquement. Ce courage, je l’ai acquis grâce à vos prières et à votre soutien. La patience je l’ai renforcée grâce à vos encouragements. Le courage et la patience plus assurés sont pour moi aujourd’hui les ferments du pardon que je voudrais à mon humble niveau, prôner pour éviter le cycle de la vengeance.
Mesdames et Messieurs,
Cette tribune me donne l’opportunité de vous dire un mot sur la marche de notre pays. Notre pays qui fut longtemps un havre de paix et cité en exemple pour sa stabilité a connu la guerre pendant plus de dix ans. Les conséquences sont incalculables. Mais je voudrais tout particulièrement insister sur la détérioration de la cohésion sociale et de la cohésion nationale.
Cependant, nous ne devons pas baisser les bras. Nous devons mettre tout en œuvre pour fermer définitivement cette triste parenthèse de notre histoire nationale et œuvrer ensemble à recoudre le tissu social déchiré, à rétablir l‘unité de la nation, à nous réconcilier et, à reconstruire le pays. Engageons-nous, tous ensembles, pour la réalisation et la consolidation de la paix et du développement. Plus spécifiquement, les actions que nous proposons peuvent se résumer comme suit:
• orienter et rendre plus judicieuse la dépense publique pour acheter la paix. Dans cet esprit, les investissements publics, en particulier dans les infrastructures doivent être l‘occasion de réinsérer les anciens combattants, de donner des opportunités à la masse de jeunes en quête d’un meilleur horizon;
• moderniser l’économie et créer des richesses pour assurer une redistribution plus équitable des fruits de la croissance selon des règles connues et institutionnalisées ;
• faire de l‘école un lieu de brassage, la matrice de la Côte d’Ivoire nouvelle où les générations de demain seront façonnées. II faut donc réfléchir à la meilleure manière de réintroduire les internats, de coupler les formations professionnelles, techniques et universitaires avec un service civique citoyen ;
• mettre en œuvre une politique culturelle qui favorise les brassages, consolident les traditions et élargisse le champ des alliances communautaires;
• mettre en œuvre une politique sociale visant le développement de solidarités plus actives;
• agir résolument pour l‘amélioration de la gouvernance publique et privée, travailler à l’avènement d’une justice équitable et moderne afin de sécuriser les biens des personnes privées et morales et de garantir les droits fondamentaux;
• rétablir l‘administration et la justice dans leurs missions régaliennes et républicaines en les émancipant de toutes les scories partisanes.
Je vous remercie de votre attention.
Propos recueillis par Armand Bohui
bohuiarmand@yahoo.fr