(Nés Pour Briller) – Quand les pays africains accédèrent à l’indépendance dans les années 1960, les colonisateurs se retirèrent de la scène politique dans ces pays. Mais en façade seulement. Dans les faits, ils continuèrent à agir en arrière-plan. Ils avaient mis en place un système qui allait leur permettre de garder la mainmise sur les ressources des terres colonisées en substituant la main de leur gouverneur européen par celle d’un président africain. Hélas, les systèmes naissent, vivent, changent et meurent. Et les avantages d’aujourd’hui peuvent se transformer en inconvénients demain.
Un système mis en place pour perpétuer la domination
Dans un premier temps, les États africains furent organisés de selon le modèle de l’État unitaire jacobin et centralisé. Dans un second temps, ils furent presque tous, dotés de régimes présidentialistes (inspirés de la constitution du Général De Gaulle du 4 octobre 1958, en ce qui concerne les pays francophones). Et dans un troisième temps, le système de la domination fût verrouillé par le recours au principe anti-démocratique des « partis uniques ». Ainsi, depuis l’époque coloniale, l’États au sens constitutionnel n’a jamais réellement été le fruit de la volonté des peuples qui y vivent. L’État a été un stratagème pour contrôler des pré-carrés destinés à faire l’objet d’une chasse gardée de la part de ceux qui en étaient les maîtres depuis la conférence de Berlin de 1885.
Les dirigeants locaux n’étaient que des instruments jouant le jeu du bon gouverneur affublé du titre de “Président de la République” pour servir les intérêts des anciens maîtres tout en jouissant à titre personnel des miettes qui devaient revenir à leur peuple.
Mais, si les États africains ont bien joué le jeu des anciens colonisateurs depuis les indépendances, il semble que maintenant, les cartes sont en train d’être rebattues.
Les premières tentatives d’échapper aux systèmes coloniaux et postcoloniaux
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, deux camps idéologiques s’opposaient dans une guerre dite “froide”. Il y avait d’un coté, le bloc capitaliste de l’Ouest, et de l’autre, le bloc marxiste-léniniste-socialo-communiste de l’Est.
Et les africains qui ne trouvaient pas leur compte dans le camp capitaliste qui les exploitait depuis toujours se furent tentés de se réfugier sous la coupole de l’URSS.
Mais, au final, dans les années 1990, quand le bloc de l’Est s’effondra, les africains se retrouvèrent à la case départ avec pour seule issue le capitalisme de leurs anciens colonisateurs. Et les voilà de nouveau sous l’emprise du capitalisme. Or, « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme » est le titre d’un livre écrit par Staline en 1916.
Heureusement, le monde avait continué d’évoluer. Il avait même presque changé.
L’Occident converti à la démocratie et à la mondialisation
Les dirigeants occidentaux poussés par leurs peuples ont été contraints d’évoluer à une vitesse vertigineuse au cours du siècle dernier. La pression populaire s’est manifestée par des évènements marquants tels que mai 1968 en France, la chute du mur de Berlin en novembre 1989, etc. Mais elle s’est aussi traduite par de nouvelles valeurs. Aujourd’hui, les anciens colonisateurs appuient de nouveaux discours tels que : aider les pays pauvres à se développer, éradiquer la pauvreté (en se fixant même des objectifs du millénaire pour le développement ou OMD), éduquer les enfants du monde (Unesco, Unicef,…), exiger une meilleure répartition des richesses dans les pays en voie de développement, lutter contre le blanchiment de l’argent, faire du commerce équitable, donner plus de liberté, de démocratie, de droits de l’Homme… En fin de compte, leur évolution à rendu leur discours inaudible voire agaçant aux oreilles des dirigeants de leurs ex-colonies qui ne comprennent plus ce qui se passe et se disent que leur patron a perdu la tête !
Entre temps, de nouvelles puissances ont émergé. Et elles ne parlent pas le même langage que les démocraties occidentales. C’est le cas de la Chine.
L’émergence de nouvelles puissances assoiffées de matières premières pour soutenir leur développement.
En tête de ces puissances, on peut citer la Chine. Elle s’est enfin éveillée et elle est arrivée en Afrique au moment où les africains se trouvaient en plein doute. Énorme Chine ! Un vrai ogre obsédé par le besoin de matières premières ! Comme les occidentaux aux siècles passés. Comme un rouleau compresseur bravant les règles préétablies, la Chine a ouvert une nouvelle brèche qui a été accueillie comme une opportunité par les États africains. États victimes de toutes les prédations et qui n’ont que le sol et le sous-sol de leurs peuples comme proies. Une chance pour les ex-colonies qui commençaient à se sentir perdues. Mais la Chine n’est pas seule. D’autres sont en train de lui emboîter le pas : Brésil, Russie, Inde, etc. Ils viennent tous avec un discours bien calibré, sonnant et trébuchant, compréhensible car synonyme de “beaucoup d’argent”. Au besoin, ils font du troc… Un langage loin des histoires de droits de l’homme et de démocratie. Un langage d’un business qu’on leur fait croire “win-win” ou gagnant-gagnant ! De toutes les façons, les États africains n’ont jamais connu une véritable révolution. C’est du ressort du passé américain (1776) ou français (1789). S’ils peuvent faire les affaires, ils peuvent se dire : « la révolution, c’est bon mais pas pour nous et pas pour l’instant. ».
Catastrophe pour les anciens colonisateurs mais aubaine pour les États africains.
Autant dire ici que pour les États africains, les temps sont économiquement très favorables. On pompe le pétrole, on extrait les matières premières, la croissance du PIB frôle les deux chiffrent, les infrastructures poussent à tout va et le nombre de figurants dans le FORBES augmente.
Le bilan lié à l’arrivée de nouveaux acteurs économiques dans le « commerce mondial » semble plutôt bien profiter aux africains dans ce monde devenu globalement capitaliste et dans des pays où le pouvoir rime avec « les affaires ». Les États africains bénéficient de la nouvelle donne permise par l’appétit des nouveaux pays émergents. Ils peuvent satisfaire leurs ambitions (et encore une fois, sans exigences éthiques ou morales) et surtout, s’éloigner tranquillement de leurs ex-colonisateurs.
Mais, au fur et à mesure que se distendent les étroites relations qui liaient jadis les colonisés avec leurs colonisateurs au profit de nouveaux acteurs, un enjeu de taille se pose : comment faire pour que les retombées de tous ces changements se fassent sentir positivement au niveau populations africaines, en termes de bien-être social ?
Le sort actuel des peuples africains c’est la pauvreté et les inégalités
À l’époque coloniale, il y avait les riches colons d’un coté et les pauvres autochtones de l’autre. Depuis les indépendances, il y a les riches dirigeants qui ont succédé aux colons d’un coté et leurs pauvres concitoyens de l’autre.
De façon imagée, les pays africains sont semblables à des territoires recouverts par un entonnoir inversé dans lequel on veut faire entrer la prospérité par le petit trou. Mais, ce petit trou est contrôlé par celui qui détient le pouvoir. Il contrôle les peuples et le sort de ces derniers est entre ses mains.
Comment faire alors pour rendre les peuples maîtres de leur destin ? Comment transformer la situation pour que le partage se fasse non plus seulement au sommet mais aussi à la base ? Il s’agit bel et bien d’un problème de gouvernance donc de politique. La solution qui doit y être apportée est aussi éminemment politique. Mais, étant donné que « les demi-mesures font perdre du temps ! » comme disait Napoléon 1er, il faut procéder à une réforme totale et fondamentale du système politique actuel.
Il faut changer de modèle politique pour influer sur la gouvernance.
Soyons clairs : on ne change pas les gens, on met en place les conditions de leur changement. L’environnement mondial a changé et les acteurs aussi. Il est grand temps de repartir sur de nouvelles bases plus profitables aux peuples africains, à la masse ! Il faut débloquer la situation actuelle pour libérer les énergies locales bridées par des pouvoirs centraux détenus par des hommes trop forts parfois. Des hommes qui menacent les équilibres mondiaux en poussant leurs peuples malgré eux à l’exode, à l’exil, à la fuite ! Cela suppose d’opter pour des systèmes politiques qui favorisent un plus grand partage des pouvoirs et des richesses à l’échelle nationale. Cela passe par l’abandon des États unitaires centralisés et centralisables à volonté, par la transformation de républiques bananières qui ne sont “unes et indivisibles” que sur le papier et par l’abolition de régimes présidentialistes qui consacrent des « monarques républicains ».
« Federalism now ! » (Fédéralisme maintenant !)
Pour changer le sort des peuples africains, il faut commencer par adopter une organisation territoriale en adéquation avec la diversité ethnoculturelle qui caractérise les pays africains.
L’organisation fédérale répond à cette problématique. Mais, pour éviter tout malentendu, nous devons clarifier le sens politique de ce que nous entendons par fédéralisme pour les pays africains ce 21e siècle commençant.
Le fédéralisme révolu : la décolonisation et la lutte anticoloniale
L’idée fédérale connût un grand succès en Afrique pendant la décolonisation et puis s’éteignit petit à petit ensuite. On peut citer quelques exemples. En Afrique de l’Ouest, Kwamé Nkrumah fût un ardent promoteur d’une Afrique unie et fédérale sous le nom « Les États unis d’Afrique ». Quatre pays (Sénégal ; Soudan français, actuel Mali ; Haute Volta, actuel Burkina Faso et ; Dahomey, actuel Bénin) de l’ancienne Afrique Occidentale Française (AOF) devaient constituer la « Fédération du Mali ». De même Barthélémy Boganda milita jusqu’à en mourir pour que quatre pays (Gabon, Congo, Tchad et Oubangui-Chari) de l’ancienne Afrique Équatoriale Française (AEF) soient unis dans une fédération nommée « République centrafricaine ». Il alla jusqu’à envisager une fédération plus large : « les États unis de l’Afrique latine ». Tous ces projets avortèrent pour des raisons multiples auxquelles il faudrait que nous consacrions un autre article pour qu’ils soient compris. Ils concernaient essentiellement un « fédéralisme interétatique ».
Ce fédéralisme était fortement motivé par la volonté des leaders africains de se réunir pour être plus forts face au colonisateur afin de gagner leur indépendance. Mais, il voilait aussi l’envie de certains dirigeants africains de se substituer aux colons ou de « régner sur de vastes territoires ». Ce n’est pas cette idée fédérale obsolète que nous proposons.
Le fédéralisme renaissant : un idéal de démocratie et de développement pour les pays africains
L’idée fédérale dont il s’agit ici a pour finalité de répondre aux idéaux modernes de démocratie et de justice ainsi que de développement et d’équité sociale. C’est un fédéralisme intra-étatique. Son enjeu est clair : il s’agit d’ouvrir et d’élargir l’éventail des possibilités des peuples africains, de chaque coin de chaque pays en tenant compte des spécificités ethnoculturelles et environnementales. Un fédéralisme libérateur qui met l’homme au centre, aide chacun à donner un sens à sa vie et à réaliser sa destinée.
Ce fédéralisme constitue une réforme organisationnelle fondamentale du système actuel et une solution pour changer le sort des peuples et des territoires africains.
Il s’oppose sans équivoque à la centralisation du pouvoir qui favorise malheureusement l’instabilité institutionnelle et l’insécurité sociale, économique et politique. Il va donc au-delà de la décentralisation. En effet, les États unitaires actuels ont trop tendance à jouer de ce terme pour leurrer les populations locales en exploitant la confusion « décentralisation/déconcentration ».
La seconde réforme qui découle de la première est celle du choix d’un régime en harmonie avec les relations horizontales qui existent entre les entités fédérées dans un État fédéral. Le fédéralisme est incompatible avec les régimes présidentialistes qui institutionnalisent la suprématie absolue d’un pouvoir exécutif dirigé par un homme providentiel élu au suffrage universel. Le fédéralisme conduit obligatoirement à des régimes plus démocratiques:
– régimes parlementaires (s’inspirer de la constitution de l’Île Maurice),
– régimes collégiaux (s’inspirer de la constitution de la fédération Suisse ; chose que tente de faire les Comores),
– régimes semi-présidentiels (s’inspirer du Cap-Vert),
– régimes présidentiels (dont les USA sont le modèle de stabilité et de prospérité).
Arrêter de brandir le faux argument de la « balkanisation » chaque fois qu’on évoque le fédéralisme en Afrique.
Le seul vrai frein du fédéralisme, c’est l’égoïsme. La peur de l’autre et le refus de partager. C’est cette attitude qui poussa le Biafra, du fait de ses richesses pétrolières, à vouloir se détacher du Nigéria jusqu’à entrer en sécession et à plonger ses populations en 1967 dans une des guerres les plus meurtrières du continent.
Quand au spectre de la balkanisation souvent brandit : observons et concluons. Les États fédéraux comme la Suisse (qui existe depuis 1291), l’Allemagne, les États-Unis d’Amérique, l’Australie, le Canada, le Brésil, les Émirats Arabes-Unis, etc. sont parmi les plus prospères au monde. ET ILS NE SONT PAS BALKANISÉS !
Il faut donc que chacun de nous entreprenne de “débalkaniser” son mode de pensée si nous voulons sortir nos pays de la volonté et de l’action uniques pour embrasser la diversité, la multiplicité, l’émulation, la compétitivité et la performance.
Quel bénéfice pour les peuples africains ?
Le fédéralisme est un outil de maîtrise de la politique locale. Il conduit nécessairement à une délégation des pouvoirs et oblige à une claire séparation entre :
– les fonctions régaliennes de l’État (diplomatie, armée, monnaie, sécurité) et ;
– les fonctions de développement local (urbanisme, éducation, environnement, santé, police, protection des langues locales, etc.).
Le principe de subsidiarité est sous-jacent au fédéralisme : on ne laisse faire au gouvernement central que ce que les dirigeants locaux ne peuvent faire efficacement. Il implique une inévitable proximité entre le décideur et le bénéficiaire in fine. Il fait de l’élu local un véritable relai entre l’État et les populations locales. Il doit rendre les comptes à la population qui l’a voté. D’une certaine façon, sauf à se prendre pour des super-hommes, le fédéralisme soulage les membres du gouvernement central et donc le Président de la République de la charge de travail liée au développement local. Il lui épargne par conséquent des critiques qui y sont inhérentes.
Le fédéralisme des États en Afrique permettra de démultiplier le nombre de portes dont les peuples africains ont besoin pour satisfaire les impératifs liés à leur développement, à l’amélioration de leur bien-être social.
Quel intérêt pour l’Afrique ?
Cela fait des décennies que les africains rêvent de leurs intégrations régionales, de l’unité africaine ou encore des États-Unis d’Afrique. Mais quelle est la stratégie mise en place pour arriver à cette fin : l’Union ? La Confédération ? La Fédération ? Comment comptent-ils y arriver s’ils ne sont pas préparés à une culture politique basée sur la capacité à céder une partie de leurs prérogatives étatiques à une entité supérieure qui représente la communauté ?
Les États unitaires, jacobins, centralisés, centralisateurs ou centralisables ne connaissent pas la culture du « donner ». Ils ne pensent qu’à amasser, concentrer, garder le maximum pour soi et tout seul. Ils sont par essence des freins à des unions plus grandes. En revanche, le fédéralisme est l’apprentissage des règles de l’unité. C’est la voie qui mène vers des unions plus larges.
Pourquoi l’Occident à intérêt à aider les États unitaires africains actuels à se transformer en États fédéraux ?
Au plan politique, les occidentaux parlent de plus en plus d’une « gouvernance mondiale ». Comment ce projet verra-t-il le jour tant que le monde sera dominé par des États unitaires et centralisés qui ne pensent que « Moi et Moi d’abord » ?
Au plan économique, la fédéralisation intra-étatique des pays africains implique pour les entités locales, la possibilité de contracter directement avec les partenaires et investisseurs étrangers en matière de projets de développement sans devoir passer par le goulot d’étranglement que constitue le gouvernement central (président, premier ministre, ministres, etc.)
C’est donc un moyen qui offre un panel de choix plus importants aux investisseurs étrangers qui veulent s’implanter en Afrique et à la coopération internationale. Le panel sera d’autant plus grand qu’il y aura d’États fédérés.
En matière contractuelle, le fédéralisme est un gain d’efficacité et une ouverture internationale qui offre des possibilités aussi larges et variées qu’il peut y avoir de besoins dans chaque entité fédérée !
Le bénéfice global de la fédéralisation des États est la généralisation et la libéralisation des échanges horizontaux (et non verticaux !) au sein du pays mais aussi entre le pays et les partenaires extérieurs.
En conclusion
La transformation des États unitaires centralisés africains en États fédéraux est, tout en assurant la préservation des cultures locales, la voie pour créer une émulation politique, économique et sociale à l’échelle intra-étatique des nations africaines et à l’échelle internationale.
Pour le développement des pays africains, l’adoption d’une organisation fédérale reviendrait à remplacer l’entonnoir à petit goulet qui les ralenti actuellement par un tamis à grandes mailles. Voilà le vrai plan Marshall que l’humanité tout entière peut offrir à l’Afrique et à elle-même.
(c) José MENE BERRE, Ingénieur Consultant en projets de développement et journaliste sur netinfo.tv