Les 17 et 18 octobre derniers s’est tenue à Dakar une conférence internationale sur le thème « Inde-Afrique francophone, enjeux et défis », à laquelle il me fut donné de participer. Il s’agissait de voir ce que l’Inde et l’Afrique francophone pourraient s’apporter mutuellement. L’Inde, que l’on qualifie de sous-continent, ou de plus grande démocratie au monde, rappelons-le, est peuplée de plus d’un milliard d’individus, aux couleurs et cultures aussi variées que nous le sommes en Afrique. Afrique qui et moins peuplée que l’Inde. Au moment de son indépendance, l’Inde était confrontée à peu près aux mêmes fléaux que nous, à savoir pauvreté, malnutrition et autres. L’histoire raconte qu’à un journaliste qui lui demandait quelles étaient ses priorités, Jawaharlal Nehru, le premier Premier ministre de ce pays répondit, en tirant les rideaux de son bureau et en désignant la foule dans la rue : « les nourrir. » L’Inde n’a pas encore éliminé l’extrême pauvreté, mais elle a accédé au nucléaire, envoie des satellites dans l’espace, fabrique des véhicules et est l’un des pays qui maîtrisent le mieux l’informatique. Que peut apporter l’Inde à l’Afrique francophone ? Beaucoup. Nous avons au cours de cette conférence, beaucoup parlé de transfert de technologie, de formation, de partenariat gagnant-gagnant, la nouvelle expression à la mode. Que pouvons-nous, nous, Afrique, apporter à l’Inde ? Essentiellement nos matières premières et nos consommateurs. Un milliard de consommateurs, fussent-ils pour la plupart fauchés, intéresse n’importe quel pays exportateur de biens de consommation.
Mais ce que j’ai le plus retenu de cette conférence, est ce que ni l’Inde, ni la Chine, ni la France, ni l’Europe, ni les Etats-Unis, ce que personne ne nous enseignera jamais : développer une stratégie pour atteindre un objectif. Depuis que nous sommes indépendants, nous proclamons partout que nous voulons nous développer. Mais quelle stratégie de développement avons-nous concrètement mise en place pour y arriver ? Aujourd’hui nous disons que pour nous développer, il nous faut transformer nos matières premières, leur ajouter de la valeur. Mais quelle stratégie avons-nous concrètement mise en place pour y parvenir ? Pourtant, transformer des matières premières n’est pas quelque chose de sorcier. D’autres pays, tels que l’Inde par exemple, y sont parvenus. Donc, si nous le voulions vraiment, à priori rien ne s’oppose à ce que nous y arrivions. Mais seulement il nous manque une stratégie pour acquérir les moyens, humains, techniques ou financiers pour le faire. Et c’est cela, notre problème principal.
Avant d’aller à Dakar, j’avais passé une semaine à Bangalore, en Inde, où mon fils poursuit des études. Et j’y ai découvert qu’il y a environ trois mille jeunes ivoiriens qui y étudient presque tous l’informatique. Mais quelle est la stratégie de mon pays pour capitaliser ce que ces jeunes gens auront appris en Inde ? Ils y ont presque tous été envoyés par leurs parents, parce qu’en ce moment, notre conviction est que c’est l’informatique qui offre le plus de possibilités d’emplois. Mais aurons-nous de quoi absorber tous ces jeunes-gens à leur retour d’Inde ? Quelle est notre stratégie en matière d’informatique ? Quelle est notre stratégie pour que ces cerveaux n’aillent pas se mettre au service des pays développés ? Parlons justement de Bangalore. C’est une ville d’environ vingt millions d’habitants que l’Etat indien a érigée en cité de l’informatique et des technologies de communication. Toute l’industrie informatique, toutes les écoles d’informatiques y ont été installées et aujourd’hui, les ingénieurs informaticiens indiens sont parmi les plus recherchés dans le monde, et l’Inde est un pays leader en matière d’informatique. Parce qu’il y a eu une volonté de parvenir à un tel résultat, et une stratégie mise sur pied à cette fin. A Dakar, nous, Africains, avons dû faire le constat que notre seule stratégie, si on peut appeler cela ainsi, est de découvrir ou de produire le plus de matières premières à vendre aux plus offrants. Et nous sommes heureux que les Indiens ou les Chinois viennent bousculer un peu notre vieux partenaire, la France. Mais même là, je me demande si nous savons vraiment ce que nous voulons. Par exemple, la Côte d‘Ivoire était le premier producteur mondial de cacao. Qu’avons-nous fait pour garder ce rang ? Ce que je constate, est que de plus en plus de paysans remplacent leurs plants de cacao par de l’hévéa, et le rêve de tout Ivoirien ayant un peu de moyens est d’avoir sa plantation d’hévéa. Je ne sais pas si c’est une stratégie de notre Etat que de remplacer le cacao par l’hévéa. Et je ne sais pas trop où nous voulons aller avec notre hévéa.
Une autre chose que j’ai découverte à Dakar, est que cette conférence à laquelle j’avais été conviée était organisée par l’Indian Council for World Affairs (ICWA) un institut de recherches et de prospectives du gouvernement indien. L’une de ses dirigeantes est l’ancienne ambassadrice de l’Inde dans notre pays. Ceux de ses membres qui sont venus à Dakar étaient tous des spécialistes de haut niveau en relations internationales, principalement en relations avec l’Afrique. J’ai travaillé il y a quelques années pour un institut sud-africain du même genre. Lorsqu’un pays veut avancer, il se dote de structures de réflexions et de prospectives qui sont chargées d’orienter les politiques, qui ont toujours et partout, le nez dans le guidon et n’ont pas toujours le recul nécessaire pour se projeter dans l’avenir.
Venance Konan
Source: Facebook Venance Konan