bernardZadi

(FratMat) – Le monde de l’enseignement le vénère, celui des arts et de la culture s’honore de le compter parmi ses références; intellectuel de classe exceptionnelle, le professeur Zadi est foncièrement un orfèvre de la poésie et du mot dont il nous parle. 

Dans « Les quatrains du dégoût » vous peignez un de vos personnages, Ben Laden, sous un jour favorable, vous le célébrez même.

Oui, je le sacre et je le consacre héros. Qu’y a-t-il d’étonnant à cela?

Ce n’est pas courant et puis ce héros a été vaincu dernièrement. Il n’est plus.

Quel est le propre des héros ? C’est bien de mourir. La mort n’a jamais fait que grandir les héros. Elle ne les rabaisse pas, mais les immortalise. Et puis, des mains de qui Ben Laden meurt-il ? Des mains d’une coalition mondiale. Il est surpris chez lui à la maison, désarmé, et on trouve le moyen, non pas de l’arrêter, mais de l’abattre. Cela signifie que même quand on l’a à sa merci, on a encore peur de lui. Après l’avoir assassiné, on immerge son cadavre dans la mer. C’est totalement l’image de Caïn (personnage biblique) allant se cacher dans une grotte ; mais l’œil le suit. Même le cadavre de Ben Laden fait peur. Ses bourreaux redoutent qu’il soit pris pour un martyr et que l’endroit où il repose soit transformé en un lieu saint. L’absence même de tombe achève de démontrer que l’univers entier, l’espace universel entier est sa tombe. Le nom Ben Laden restera immortel, c’est un héros.

Vous dites dans votre poème que Ben Laden a percé l’oreille de Sam Lee, que doit-on comprendre?

Sam Lee, dans le poème, campe le Président des Etats-Unis d’alors, George Bush, qui mobilise toutes ses forces, mais finit par avoir l’oreille percée. Or, percer l’oreille d’un homme, c’est le féminiser. Dans nos cultures à nous, en tout cas, ce sont les femmes qui se percent les oreilles. Je dois reconnaître cependant, qu’aujourd’hui, les hommes voulant se prendre pour des femmes et ces dernières pour des hommes, alors, tout le monde se perce les oreilles. Percer l’oreille de Bush revient donc à le féminiser, le neutraliser, le rendre inapte à toute guerre, car en dehors des amazones, le rôle de la femme n’est pas de faire la guerre.

Que vous inspire le fait qu’Obama, un prix Nobel de la paix, remporte une guerre ?

Le prix Nobel n’a jamais été qu’un instrument de l’impérialisme occidental et de la politique mondiale. Actuellement, il est question, pour le prix Nobel de la paix, de positionner un dissident chinois pour faire à la Chine, le coup qu’ils ont réussi à faire à l’Union soviétique, mais ils se trompent royalement. Leur objectif est de faire imploser l’empire chinois. Pour être un instrument politique, le prix Nobel n’a aucune valeur, si ce n’est une valeur diabolique et négative.

Toujours dans Les quatrains du dégoût, vous faites un clin d’œil à Petit Denis, un chanteur Zouglou et dans Gueule-Tempête, vous faites de nouveau référence, parlant du mot et de son aventure, au Zouglou. 

Pourquoi cette récurrence ?

Je me souviens très bien du vers : « Petit Denis a dit/ Ce qui est dit est dit/ Et moi je dis/… ». J’ai apprécié cette phrase, bien que l’ayant trouvé incomplète. En la complétant, il me fallait citer la source juste par honnêteté intellectuelle et non par admiration pour Petit Denis, encore que c’est un garçon consacré dans son pays, alors pourquoi ne pas le citer ? En revanche, dans le cadre du Zouglou, j’ai parlé du mot. Le Zouglou m’apparaît comme un chaos, comme l’oreille du désordre artistique. Le mot Zouglou, lui-même, déjà dans ses consonances, est un mot qui est laid. Il est laid et renvoie à cette espèce d’entortillement de ceux qui s’en réclament, et à cette gestuelle où l’on se tranche la tête, où les bras errent en l’air sans support. C’est un mot insolite et c’est ce que j’ai voulu montrer.

Votre poésie est finalement centrée sur le mot et ses péripéties. Puis-je l’appréhender ainsi ?

Tout à fait ! Pour moi, la poésie est d’abord la grande aventure du mot. Il est inconcevable d’avoir une idée de la poésie en dehors de l’épopée du mot. C’est pourquoi ce recueil célèbre d’abord le mot. Et il n’est pas le seul. A califourchon sur le dos d’un nuage (Poésie, L’harmattan 2009), accorde, comme la plupart de mes textes, une grand place à l’épopée du mot. La poésie n’est pas envisageable en dehors du mot. C’est comme si vous vous risquiez à parler de la peinture en dehors de la couleur.
Vous me donnez l’impression de ne pas prendre en compte le mépris, le désintérêt que les éditeurs, le lectorat aussi, manifestent à l’endroit de ce genre sans -en toute polysémie du terme- fortune.

S’il y a vraiment une chose qui me laisse de glace, c’est bien ce sujet. Le jour où je ne vivrai plus, les Ivoiriens se souviendront de moi et diront : «Il fut un grand poète ». C’est peut-être nos arrière-petits-enfants qui chercheront à découvrir les traces de mes poèmes.
En réalité, moi je sais très bien comment on fabrique les best-sellers…

Instruisez-nous alors.

(Il affiche en coin, un sourire espiègle) Il suffit d’enquêter auprès de l’opinion pour savoir exactement où en est le goût des gens. Peu importe que ce goût soit dévalué ou non. Pourquoi croyez-vous que mon jeune frère Biton Koulibaly vende bien ? Avec un groupe de jeunes gens, il a suivi pendant un an, des cours que je leur dispensais gratuitement. Aujourd’hui, il passe pour un romancier qui vend bien, simplement parce qu’il vend le sexe et les filles d’Abidjan raffolent de Biton. « Ah ! les femmes » ou encore « Toujours les femmes », « Ah ! les hommes », cette littérature est réclamée par la gent féminine. J’aurais pu produire, chaque trimestre, un ouvrage de ce type de littérature à l’eau de rose. Non seulement je suis poète, mais je suis aussi un technicien de la littérature. Je sais comment fabriquer un texte puisque je suis stylisticien de métier. Mais cela ne m’intéresse pas du tout.

Pourquoi ? 

Grâce à Dieu, j’ai un métier dont je vis. Je n’attends donc pas d’argent de la littérature. Le fait que les éditeurs se soient emparés de la littérature et en aient fait un objet de commerce est un drame pour l’écrivain, parce que la poésie qui est l’art suprême meurt des mains des éditeurs, lesquels préfèrent de petits recueils de nouvelles, de mauvais romans à la poésie, sous prétexte qu’elle ne se vend pas. C’est triste, mais le capitalisme a fini par infecter même la poésie.

On ne peut pas demander à un éditeur à ne pas tirer profit des investissements. Je pense que c’est la population qu’il faut éduquer et sensibiliser à la chose poétique.

Le goût esthétique est le résultat d’une éducation. Qu’attendre de nos Etats, de nos nations qui, déjà, sur l’essentiel même abdiquent ? Ce n’est pas sur des notions de goût esthétique qu’ils peuvent réaliser des prouesses.

Interview réalisée par Alex Kipre 

Source : Congovox