(Le Patriote, 28 août 2013) – Diplômé de Sociologie, Emmanuel Yao N’Goran a faite toute carrière à l’ONU. Après avoir occupé plusieurs postes de responsabilité, il est, aujourd’hui, administrateur de questions sociales et chef du Groupe de la société civile et des relations publiques, Division du développement social, Département des affaires économiques et sociales, au siège de au sein de l’organisation onusienne, à New York, aux Etats-Unis. En marge de ses nombreuses activités professionnelles, il écrit également des livres. A son actif, une trilogie sur son pays, dont la dernière œuvre s’intitule « Côte d’Ivoire, le socle humain de la Reconstruction et de la Réconciliation». Dans cet entretien, Emmanuel Yao N’Goran, revient sur les thèmes qu’il aborde dans cet ouvrage et analyse froidement les origines de la crise ivoirienne, et explique pourquoi la réconciliation en Côte d’Ivoire traîne encore les pas.
Dans « Prémonitions d’un conflit fratricide », l’un des trois livres de votre trilogie sur la Côte d’Ivoire, vous annonciez un affrontement sanglant en Côte d’Ivoire, mais le livre ne paraîtra qu’en septembre 2011, soit trois mois après la crise postélectorale. N’est-ce pas un peu le médecin après la mort ? Qu’est-ce qui a empêché la sortie d’une œuvre, qui était visiblement censé alerter les Ivoiriens sur l’imminence du danger qui les menaçait ?
Je dois avouer que j’ai effectivement eu le sentiment du médecin après la mort. Mais mon intention était que ces ouvrages sortent avant et non après la crise, surtout que « Prémonitions d’un conflit fratricide » était censé nous alerter sur le danger vers lequel on courrait. Ce qu’il faut savoir, c’est que ces deux ouvrages avaient été écrits avant même l’élection présidentielle de 2010. J’ai bouclé par exemple, « Les chantiers de la Réconciliation ivoirienne » en 2008, avant de solliciter des éditeurs pour sa publication. Lors de mes vacances au pays en 2008, j’avais discuté avec Les Editions Le Réveil, sans suite. C’est quand je suis reparti à New York que j’ai pris attache avec un éditeur ivoirien installé au Canada, Arouna Dramé, qui a accepté d’entamer en octobre 2010 le processus d’édition, dans un premier temps, du livre « Les Chantiers de la éconciliation ivoirienne », qui est finalement sorti pendant la crise postélectorale en février 2011. Quant à « Prémonitions d’un conflit fratricide», je l’ai bouclé vers avril 2011, parce qu’il comporte deux groupes de textes : des lettres ouvertes publiées sur Abidjan.net pour la plupart et des notes écrites tout juste avant le scrutin de 2010, et ce jusqu’en avril 2011. Il s’agit de textes qui, dans l’ensemble, interpellent sur les violences de la crise postélectorale. J’avais voulu que le livre soit publié en pleine crise postélectorale, histoire de sensibiliser les populations sur la nécessité de mettre un terme à ce confit, mais je crois que l’éditeur a eu peur de l’issue incertaine de la crise postélectorale. Et donc la crise passée, je lui ai resoumis le manuscrit, avec une préface pour situer le fond de mes pensées, l’expression démocratique et le résultat que cela avait donné en novembre 2010. Je conviens donc que c’est un peu le médecin après la mort. Sinon, le premier texte de « Prémonitions d’un conflit» date de 2004 et porte sur le fait que l’espace public ivoirien était surchargé de questions inutiles, notamment celles liées à la nationalité, avec en prime la manipulation. J’avais dit qu’il fallait s’intéresser au programme des hommes politiques qui prétendent diriger la Côte d’Ivoire plutôt que de s’attacher à des questions d’origine, qui avaient déjà donné la pleine mesure du dommage que cela pourrait causer pour tout le pays.
Cette année, vous vous signalez avec le troisième livre de cette trilogie qui s’intitule « Côte d’Ivoire. Le socle humain de la Reconstruction et de la Réconciliation», paru chez « L’Encre Bleue », et qui remet quelque peu au goût du jour les idées de vos deux premiers ouvrages…
Effectivement. Puisque c’est une trilogie, ce livre, qui a été bouclé en avril 2012, reprend les idées des deux des premiers ouvrages, mais en situant cette fois, ce qui est nouveau, les enjeux de la reconstruction et de la réconciliation pour notre pays.
Dans ce livre, vous analysez notamment les origines profondes de la crise ivoirienne et vous laissez croire que le Président Houphouët-Boigny avait voulu, à l’image de Léopold Sédar Senghor, abandonner son pouvoir à un moment de son long règne. Avec le recul, pensez-vous que cette crise que la Côte d’Ivoire a vécue est quelque part due au fait que Houphouët-Boigny n’a pas préparé sa succession ?
Je mets cela aux comptes des conjectures ou même des rumeurs. Mais, à l’analyse, on se rend compte que les prémices de la crise portent sur des questions d’insuffisance économique à partir des années 80, avec des ajustements structurels et surtout la fin du miracle économique ivoirien. A un moment donné de son règne, le Président Houphouët était confronté à un problème de gestion politique et aussi de participation politique. Il pouvait se retirer et mettre en avant l’action de ses héritiers. Et ils auraient pu s’entendre. Je vois les choses de cette manière. Mais, ça n’a pas été fait. Nous avions donc, à sa mort, à gérer la succession et là aussi nous sommes tous comptables de ce qui s’est passé, parce que la crise procède d’un déficit d’inclusion au niveau de la participation politique pour ce qui est du leadership de notre pays. Ce sont des questions qu’on peut revisiter, ressasser. On peut essayer de revenir en arrière pour tirer des leçons, afin de lancer notre pays dans la voie qui lui sied le mieux, à savoir celle du rassemblement, de l’union et de la convergence.
En 89, Houphouët-Boigny disait que la Côte d’Ivoire n’était pas prête pour le multipartisme. Avec le recul, avait-il raison selon vous ?
Je pense que le Président Jacques Chirac à l’époque l’avait aussi dit et je le note dans le livre. On a pris cela pour une attaque à notre dignité, à notre capacité de nous organiser. La démocratie existe en Afrique traditionnelle dans nos systèmes de gestion politique, mais la démocratie moderne telle qu’elle est, telle que nous l’avons connue, a constitué l’espace public en regroupement ethnique, il ne faut pas avoir peur de le dire. Je pense qu’étant donné que la population, de manière générale, n’a pas un niveau d’éducation d’une certaine dimension, le jeu politique tel qu’exécuté, nous ramène à des ressorts grégaires, ethniques et c’est à déplorer. Mais, nous ne pouvons rien faire contre cela parce que nous ne saurions ramener notre pays à l’état des démocraties villageoises. Il faut donc faire avec. Toutefois, il faudrait peut-être que l’élite politique elle-même, à travers l’interface principale qu’elle constitue, prenne des garde-fous pour ne pas que nous retombions dans ce que j’appelle le piège de l’ethnicisme.
Justement, en évoquant les causes lointaines ou quelques éléments d’explication de la crise, vous indexez cette ouverture au multipartisme. Pensez-vous qu’elle a été mal gérée ?
Oui, on l’a mal géré.
Pourquoi ?
Principalement, parce que le multipartisme est parti de revendications de syndicats, surtout d’enseignants du supérieur et du secondaire. L’école a été manipulée et la logique syndicale qui est le bras de fer de contestations permanentes est différente de la logique politique qui est la quête de compromis, de recherche du juste milieu. Ça a été donc mal négocié. Je pense que la démocratie n’est pas à vouer aux gémonies, mais c’est la manière dont nous l’avons appliquée dans notre pays qui doit être reprise, revisitée pour que nous puissions trouver le juste milieu, parce que peut-être qu’on le dira, on en parlera plus tard, ce pays est d’une seule souche, ce pays est d’un socle de convergence, de rassemblement, de partage. Et utiliser certains faits, certains éléments qui pourraient en première lecture, apparaître comme des éléments de dissemblance pour alourdir l’espace public, le jeu politique, cela ne porte aucun résultat probant pour la gestion du pays, pour la gestion de l’espace public, qui doit être une gestion d’inclusion.
A ce propos, vous rappelez un peu dans le premier chapitre du livre, le peuplement de la Côte d’Ivoire, avec l’arrivée sur son sol de différents groupes ethniques et surtout vous vous insurgez contre les termes «autochtone», «allochtone» ou «allogène ». Est-ce à dire que si la Côte d’Ivoire a vécu tous ces remous sociopolitiques, c’est parce qu’elle a du mal à assumer qu’elle est avant tout une terre d’immigration et d’intégration ? N’est-ce pas aussi parce qu’elle dénie son histoire ?
Je pense qu’il faudrait que nous sachions tous que la Côte d’Ivoire, comme d’ailleurs la plupart des pays de la sous-région, part d’une souche commune qui est l’Empire ancien du Ghana dont la capitale était Koumbi Saleh. Ce ne sont pas des histoires, mais bien des faits d’histoire, des faits de vérité. Les quatre groupes ethniques principaux de la Côte d’Ivoire sont tous issus des ramifications de l’Empire du Ghana entre le Mali et la Mauritanie. Donc, lorsque pendant la crise postélectorale, des Dan ou des Mandé du Sud, dont les Gouro, s’en prennent aux Malinké, aux Sénoufo ou encore aux Baoulé, et que des êtres humains sont brûlés sur la base de leurs origines, c’est regrettable. Car, les Mandé du Sud ont tracé la route de la cola avant les Mandé du Nord. Ainsi, lorsqu’on a la cola d’un côté et l’or de l’autre, on retrouve les deux pendants, les deux faces d’une même médaille, parce que la cola sert à nouer les alliances, elle sert à resserrer les liens entre les individus et les communautés. L’or est le pendant de l’expression du pouvoir politique, du pouvoir économique et aussi de la famille. On sait que chez les Akan, l’or est d’une grande importance parce qu’il établit la transmission du pouvoir politique, la prééminence de l’affiliation de la famille. Et tous ces groupes ethniques sont de la même souche. Il y a des éléments des groupes tampon comme les Tagouanan qui sont à cheval entre les Malinké, les Sénoufo et les Akan. Et lorsqu’on va en profondeur, on se rend compte que finalement toutes les luttes, qui portent sur les questions d’identité dans notre pays sont de fausses luttes parce qu’il n’y a qu’une seule identité. Vous savez, le premier titre que j’avais voulu donner à ce livre est « Côte d’Ivoire égale une seule ethnie». Il faut que nous puissions rassembler tout ce qui est éparpillé, pour recréer cette Côte d’Ivoire qui est d’intégration. Lorsqu’on prend le chemin de fer qui relie Abidjan à Ouagadougou, tout le long du trajet, on voit les osmoses, les angles de partage qui sont dégagés entre les différents peuples qui constituent la Côte d’Ivoire et on ne saurait revenir à une Côte d’Ivoire repliée sur elle-même à partir de deux, trois ou quatre groupes ethniques pour parler de l’identité ivoirienne. L’identité ivoirienne est faussement plurielle. Elle est nécessairement de convergence. Elle ne saurait être de dissension, de création, de fausse identité grégaire pour que les uns et les autres se replient sur eux-mêmes. On ne s’en sortirait pas. Ce n’est pas la voie qui est la plus porteuse pour notre pays.
Dans votre ouvrage, vous accusez implicitement les hommes politiques d’avoir un peu manipulé les populations pour leurs intérêts précis. Si vous aviez un message à leur passer après ce que la Côte d’Ivoire a vécu, que leur diriez-vous ?
Qu’il sache que nous sommes toujours dans un état de transition. Ce pays ne peut pas être géré comme un pays normal. Lorsqu’on connaît une crise qui porte sur des questions d’identité et qui fait disparaître plus de 3000 personnes, on ne peut plus gérer ce pays-là comme on l’a fait jusque-là. J’ai l’impression en regardant mon pays, en regardant la manière dont il est géré, qu’on a oublié ce qui s’est passé hier. Ce n’est même pas encore terminé. Il faut que tout ce qui peut créer des problèmes entre nous, soit mis de côté, il faudrait que nous jouions sur ce qui peut nous rassembler. Je parle dans ce livre d’un observatoire sur les questions d’identité et de citoyenneté. Je pense que c’est très important. C’est de cette manière que la Côte d’Ivoire pourra revenir à elle-même. Et les chapelles politiques doivent le comprendre. Je le dis principalement pour deux d’entre elles dont je suis proche, parce que je suis un Ivoirien, c’est le RDR et le PDCI. Il faudrait que nous comprenions que nous avons promis une certaine espérance à l’humanité, le pays de la vraie fraternité. Cela est inscrit en lettres d’or dans notre hymne national. Donc, il faudrait que nous dépassions tout ce qui peut alourdir l’espace public pour promouvoir le partage d’ouverture. Et c’est de cette manière que nous pourrons réussir à rebâtir la Côte d’Ivoire. Un pays se réconcilie d’abord avec lui-même, puis se reconstruit à partir d’une architecture physique mais également à partir de la réaction d’une âme, d’un esprit d’intégration, de rassemblement, de partage. C’est cela que j’essaye de prôner à travers mes écrits.
Pourtant, il y a une dizaine d’années, vous avez porté aussi le débat sur l’ivoirité…
Je ne le nie pas. En toute sincérité, j’ai effectivement contribué au débat sur l’ivoirité avant de me rendre compte à partir de 2000, 2002 et 2003 que tout ce que nous faisons était à bannir pour que nous puissions tous aller de l’avant dans la reconstruction de notre pays. Et c’est pour ça aussi que vous verrez dans le livre qu’un chapitre porte sur la nécessité de tourner définitivement la page de l’ivoirité.
Justement sur cette question, vous ne tranchez pas véritablement dans votre livre. Vous dites par exemple à la page 101, à propos de l’ivoirité : «… Du fond des argumentaires qui se dégageaient de l’essentiel des réflexions portant sur l’ivoirité, il y avait autant la quête de la synthèse des cultures ivoiriennes dans un élan de convergence que la richesse d’un projet politique embrassant le nationalisme et soutenant la défense et le maintien d’un régime». Dîtes-nous sincèrement, si l’ivoirité était un concept culturel, comme certains le pensent, ou vraiment un concept xénophobe, comme beaucoup d’Ivoiriens en sont persuadés ?
Voilà, il y a eu peu de tout dans l’ivoirité. Il y a une sincérité qui est la quête d’une synthèse culturelle. Je ne saurais me juger moi-même, mais si vous lisez toutes mes contributions sur l’ivoirité, il y a ces éléments-là qui apparaissent parce que nous savons tous que nous sommes issus de milieux de symbiose, d’osmose, de partage. Il n’y a pas de pureté ethnique en Côte d’Ivoire. Moi, j’ai des cousins, des frères qui sont de toutes les ethnies de la Côte d’Ivoire et au-delà. Dans l’équipe qui a soutenu l’ivoirité, il y avait des universitaires et des hommes politiques. Il y a eu des excès, je l’avoue. Il y a eu des gens qui parlaient d’Ivoirien aux fibres multiséculaires ou bien des Ivoiriens de circonstance. Dans ce projet-là, on entrevoyait un jeu politique en faveur d’un pouvoir et donc cela a alourdi le débat sur l’ivoirité. Et puis, moi personnellement, je me suis dit, j’ai des frères, j’ai des cousins dont les pères sont d’autres pays de la sous-région, je ne peux pas donner de nom pour ne pas paraître nombriliste et indiquer des voies de connaissance de ces personnes, mais je me suis dit si j’ai des frères qui se sentent gênés par ce discours-là, quelle que soit la bonne foi que j’y mets, je dois être interpellé. En 2003, un ami qui m’avait invité à déjeuner, m’a conseillé de faire attention au débat sur l’ivoirité, arguant que cela générait des graines de division, de haine ethnique. C’était un vendredi. Quand, je suis rentré, je n’ai pas dormi. Le lendemain, samedi, je n’ai pas non plus fermé l’œil. Le dimanche, je n’ai pu également dormir. Et le lundi, je me suis dit que si les autres perçoivent dans ce que j’écris, des éléments qui sont de nature à diviser les Ivoiriens, il fallait que je revienne en arrière. Et c’est ce que j’ai fait. Sur la question de l’ivoirité, ma position est claire. Tous ceux, qui ont porté ce discours dont la portée a été ressentie de manière négative, doivent se soumettre à un acte de contrition. Il faudrait également que nos frères qui se sont sentis victimes de l’ivoirité comprennent que c’est une erreur que leurs frères ont commise. Et dans l’élan de ce mouvement de rassemblement des héritiers de Félix Houphouët-Boigny, il faudrait que nous puissions tous aller de l’avant. Il ne faudrait pas que ceux qui ont mené le combat de l’ivoirité au profit d’un groupe ou d’un autre soient indexés, soient frappés d’ostracisme. Les intellectuels, dans le sillage du président Bédié, qui ont porté le débat sur l’ivoirité, devraient se retrouver aux côtés du Président Ouattara. Cela serait bien pour la réconciliation. Il faudrait que de telles actes symboliques soient posés pour ne pas qu’on puisse revenir à ces ressentiments-là. Parce que la meilleure manière d’aller de l’avant est de faire comme le président Félix Houphouët-Boigny qui a eu des contradicteurs, des adversaires, mais en définitive, leur a tendu la main.
L’heure est aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, à la réconciliation, un sujet qui cristallise la 5ème et dernière partie de votre livre. De l’avis général, elle piétine encore, deux ans après la fin de la crise postélectorale. Comment expliquez-vous cela ?
La réconciliation piétine parce qu’elle est abordée principalement sur la plan politique. Je l’ai dit dans ce livre, la réconciliation ne doit pas être principalement un espace de gestion des problèmes politiques qui sont en suspens. De l’extérieur, c’est comme ça qu’on voit la réconciliation. D’un côté, on voit le camp du chef de l’Etat, le Président Alassane Ouattara, et puis de l’autre, celui de. M. Laurent Gbagbo, l’ancien Président. Il faut aller au-delà. Il y aussi la nécessité de la vérité et de la justice dans la réconciliation. Il faudrait que les uns et les autres reconnaissent en toute humilité les erreurs et les fautes qui ont été commises. Quand dans un pays, il y a des individus qui ont été brûlés, sur qui on a jeté des briques, quand il y a eu des obus sur des marchés, sur des quartiers, en tenant compte de la composition de la population de ces endroits, il faudrait qu’on arrive à un moment où on doit se dire qu’on a commis des erreurs et surtout demander pardon à ses frères et sœurs qui ont été meurtris. On ne peut pas passer par perte de profit les dommages et les crimes qui ont commis dans le cadre de cette crise-là. La réconciliation piétine parce que nous sommes à seulement deux ans et demi de la fin de la crise postélectorale. Les plaies sont encore vives. Et je pense que c’est dans la persévérance, dans la durée que nous devons situer la quête d’un retour à l’harmonie qui a été brisée. Je suis confiant, je sais que les Ivoiriens sont capables d’arriver à s’entendre de nouveau. On pourrait par exemple utiliser certains espaces, certaines structures, certaines institutions de régulation sociale traditionnelle comme le Toukpè, même les groupes humains, les masques symboles de nos traditions, notamment celui du poro pour rapprocher et réconcilier les Ivoiriens. Il faudrait aussi mettre en place, un programme post-crise en faveur du nord et de l’ouest, les régions qui ont beaucoup souffert de la crise.
Pourquoi dites-vous que le pardon est la dernière voie vers la réconciliation ? D’aucuns pensent que c’est par là qu’il faut commencer…
Pour moi, la réconciliation commence par la quête ou la contrition. L’individu, qui a commis une faute, doit d’abord la reconnaître puis se repentir. Cela peut susciter le pardon. Le pardon, c’est l’acte qui relève de la personne qui a été offensée et qui accepte de laisser tomber le tort qu’il a subi, l’offense dont il ou elle a été victime. C’est en ce sens que ça se situe à la fin. Mais, le tout n’est qu’un processus, je dirais, de justice transitionnelle qui doit être engagé dans la quête de la vérité et puis de la réparation. Ceux, qui ont fait tuer plus de 3000 personnes dans notre pays, ne peuvent pas s’en sortir comme ça parce que cela participe de l’impunité. C’est parce qu’en Afrique, on ne sanctionne pas suffisamment que des individus se mettent à agir de la sorte. Depuis que notre crise est terminée, vous avez vu qu’ailleurs il n’y a pas eu de problèmes majeurs, des élections ont été organisées, ceux qui les ont perdues, ont reconnu leur défaite. C’est parce que tout le monde sait aujourd’hui que la CPI (Cour Pénale Internationale) est là et qu’elle peut frapper tout le monde. Donc, il faut la réparation en termes d’un processus judiciaire qui aboutira à la punition de ceux qui ont commis des fautes et à des dommages pour les victimes. Je pense que cela est très important et de tout le temps, j’ai milité en faveur d’une réconciliation qui allie toutes ces différentes étapes-là. Je suis aussi content que la justice ivoirienne élargisse de manière provisoire certains cadres du FPI.
Pensez-vous que c’est vraiment un signe pour la réconciliation ?
C’est un signe pour la réconciliation. Cela est bon surtout lorsque ce n’est pas imposé. Je ne suis pas pour le jeu de la surenchère qui consiste à dire que si on ne libère pas untel on ne peut pas arriver à la paix. Cela n’est pas bon. N’oublions pas que notre pays a été meurtri. Il faudrait qu’on aille dans un élan de consensus de la quête du compromis, de la recherche de l’harmonie. Je pense que ce jeu-là dans la sincérité est porteur sur le terrain politique.
Après cette trilogie, doit-on s’attendre à un autre livre sur la Côte d’Ivoire ?
Oui, il y en aura. C’est sûr. Ça dépend de mon éditeur, L’Encre Bleue. J’envisage écrire un livre sur la nécessité de revenir au système d’entraide et de partage dans notre pays pour aller contre cette idée-là qui consiste à chercher une prise en charge par tous les moyens plutôt que de revisiter les structures traditionnelles d’entraide, de solidarité. En attendant, mon 4ème livre, qui porte sur la rumba, vient de paraître et est dans les librairies. J’y évoque la rumba congolaise, sa splendeur, ses offreuses et ses profondeurs. C’est un livre qui parle de la rumba, mais ce n’est pas un livre de délectation musicale pure et simple, c’est un appel à la renaissance africaine à partir du Bassin du Congo.
Réalisée par Y. Sangaré