Washington affiche son mécontentement après l’asile offert à Edward Snowden. Moscou se dit « déçu ».
MAURIN PICARD
(Le Figaro, 8 Août 2013) – EST-OUEST La décision était attendue, presque inéluctable. Barack Obama a annoncé mercredi l’annulation de son prochain tête-à-tête avec son homologue russe Vladimir Poutine. Initialement calée dans les premiers jours de septembre à Moscou, en amont du G20 de Saint-Pétersbourg les 5 et 6 septembre, la rencontre entre les deux hommes s’annonçait cruciale – quoique vouée à une impasse vu les divergences actuelles sur des dossiers aussi délicats que la Syrie, le bouclier antimissile ou la réduction des armements stratégiques. Au bord d’une nouvelle glaciation évoquant de sombres réminiscences, les relations russo-américaines devaient urgemment être relancées par cette rencontre au sommet.
Sauf qu’entre-temps est survenue l’affaire Edward Snowden, du nom de ce jeune analyste de renseignement américain passé en Russie avec armes et bagages – et quatre ordinateurs remplis de données ultraconfidentielles sur les programmes de la NSA (National Security Agency). La décision prise par le Kremlin d’accorder au fugitif un asile temporaire d’un an a déclenché la colère de Washington – et une véritable tempête diplomatique.
Depuis, le président américain se trouvait sous forte pression pour annuler sa rencontre avec son homologue russe, voire renoncer tout bonnement au G20. Il s’est gardé de boycotter le sommet des vingt pays les plus industrialisés de la planète.« Nos alliés fidèles qui comptent sur nous au G20 n’auraient pas compris », a expliqué le sénateur démocrate de New York, Chuck Schumer, sur CNN mercredi.
« À l’issue d’une réflexion entamée en juillet, précise pour sa part le porte-parole de la Maison-Blanche, Jay Carney, nous avons abouti à la conclusion qu’il n’y avait pas assez de progrès récents dans nos discussions bilatérales pour tenir un sommet États-Unis-Russie début septembre. » Il a ajouté que la décision relative à Snowden avait évidemment « joué » et qu’il serait « plus constructif de repousser ce sommet » jusqu’à nouvel ordre. Dans la foulée, l’Administration Obama annonçait les maigres mesures de substitution envisagées : comme prévu, le secrétaire d’État John Kerry et son partenaire à la Défense Chuck Hagel doivent toujours rencontrer vendredi à Washington leurs homologues russes pour évoquer les fameux « progrès » espérés afin de repartir d’un bon pied, tandis qu’Obama se rendra le 4 septembre à Stockholm, pour parler échanges commerciaux et investissements, et en lieu et place du crochet moscovite.
Barack Obama « a pris la bonne décision, estime Chuck Schumer. Le président Poutine se comporte comme un petit caïd dans une cour d’école et ne mérite pas le respect qu’un sommet bilatéral lui aurait apporté ».
La Russie a aussitôt exprimé sa « déception » devant la décision américaine, s’empressant de préciser que l’invitation restait maintenue si la Maison-Blanche venait à se raviser. « Nous sommes déçus par la décision du gouvernement américain d’annuler la visite du président Obama à Moscou, a précisé le conseiller diplomatique du Kremlin, Iouri Ouchakov. Le président américain a eu et il a toujours une invitation pour visiter la Russie. »
Regrets sincères ou larmes de crocodile ? Depuis sa réélection à la présidence de la Russie le 4 mars 2012, et avant même l’irruption de l’affaire Snowden, Vladimir Poutine entretenait des relations exécrables avec le locataire de la Maison-Blanche. Les deux chefs d’État avaient croisé le fer au sujet du soutien inoxydable de Moscou au régime syrien de Bachar el-Assad et du programme nucléaire iranien, malgré une relative unité de ton sur le retrait d’Afghanistan et l’endiguement de la Corée du Nord. Poutine avait royalement snobé le sommet du G8 organisé par Barack Obama à Camp David en 2012. Ils s’étaient par la suite croisés en Irlande du Nord en juin dernier, affichant un malaise palpable. À Obama s’efforçant de briser la glace en ironisant sur les effets de l’âge en matière de performances sportives, le maître du Kremlin avait répondu dans un grincement : « Vous essayez de me faire sourire pour détendre l’atmosphère. » En vain, bien sûr.
Il aura fallu attendre l’apparition d’Obama mardi dans l’émission satirique de Jay Leno sur NBC pour en savoir plus sur sa perception de ce fiasco russe. « J’ai été déçu, a-t-il expliqué, parce que bien que nous n’ayons pas de traité d’extradition avec eux, en général, nous avons toujours essayé de travailler la main dans la main lorsqu’un hors-la-loi, supposé ou avéré, se trouvait dans (notre) pays. Mais ils n’ont pas fait ça pour nous. D’une certaine manière, cela illustre les changements en cours dans notre relation avec la Russie. » Avant de conclure : « Il arrive qu’ils replongent dans une mentalité de guerre froide. Comme je le leur dis régulièrement, tout cela devrait être derrière nous. »