Au moment où Mgr Paul Dacoury-Tabley fait son entrée dans le club des nonagénaires, me reviennent en mémoire quelques faits qui disent quelque chose de la densité et de la “sainteté” de l’enfant de Kpapékou.
Je l’ai vu participer jusqu’à l’aube à la veillée funèbre organisée pour le papa d’un prêtre.
Un prêtre avait découvert que son prédécesseur et deux évêques déjà décédés avaient détourné une importante somme destinée à l’enseignement catholique. Quand il voulut récupérer l’argent, il fut insulté puis menacé de mort par les détourneurs. Le prêtre porta l’affaire devant Mgr Dacoury qui mena sa propre enquête et aboutit à la même conclusion que le prêtre. L’ancien évêque de Gd-Bassam, preuves en main, convoqua alors les deux évêques et leur enjoignit de présenter leurs excuses au prêtre. Ce témoignage, je le tiens du prêtre devenu évêque depuis.
Quand Mgr Dacoury voulut me nommer en 2009 curé de Sainte-Anne de Port-Bouët pour une année, certains prêtres tribalistes et carriéristes de Grand-Bassam manipulés par le curé sortant se soulevèrent contre lui et moi, promettant de nous “braiser”. Évidemment, cette triste affaire divisa la paroisse. C’est deux semaines plus tard qu’un groupe de prêtres du diocèse m’appela pour me rencontrer et connaître ma version des faits. Le lendemain, je parlai de cette rencontre à Mgr Dacoury qui me dit ceci: “C’est une bonne chose mais sache que c’est moi qui les ai envoyés à toi car je leur ai dit qu’ils ne pouvaient pas se contenter d’une seule version, celle d’Isaac Aboudou, qu’il serait juste qu’ils te rencontrent aussi.”
Je l’ai entendu critiquer l’incohérence des leaders politiques ivoiriens: “Ils disent que Ouattara n’est pas ivoirien mais ils l’invitent à participer à leurs réunions.”
Une année, il avait remplacé Mgr Yago pour l’homélie de la messe pour la paix. Dacoury n’avait pas été tendre avec ceux qui, à tout bout de champ, parlent de paix tout en posant des actes contraires à la paix. Houphouët-Boigny n’avait pas aimé le propos et avait dit à un de ses proches: “Même en soutane, un Bhété reste un Bhété.”
Ceux qui ont connu cette période rapportent que l’abbé Dacoury était présent au procès des Guébiés et qu’il avait applaudi lorsqu’un prisonnier affirma que lui et ses parents soutenaient Kragbé Gnagbé parce que le régime l’empêchait de créer son parti, chose qui était prévue dans notre Constitution.
Un évêque décédé il y a peu m’a confié que, lors de sa messe de fin de mission, Mgr Yago qui l’estimait beaucoup avait lâché cette phrase:” Paul, j’aurais bien aimé que tu succèdes à moi ici mais hélas…” Peut-être les tribalistes, ceux qui croient à tort que le siège archiépiscopal d’Abidjan leur est réservé, en avaient-ils décidé autrement. Dommage!
Un autre évêque fut un de ses plus proches collaborateurs. Les deux habitaient sous le même toit. Cet évêque a témoigné que Dacoury ne dormait pas tant que lui, le prêtre, n’était pas rentré et que Dacoury partageait avec lui l’argent et les cadeaux qu’il avait reçus.
Un colloque sur la vie et l’œuvre de cet homme simple, accessible et humain aurait été le bienvenu. J’ai suggéré l’idée à des gens. Mais, comme on est dans un pays où on préfère avant tout manger, boire et danser, l’idée a été vite enterrée.
Joyeux anniversaire, Monseigneur! Ce que tu as été, ce que tu as fait, sera proclamé d’âge en âge.
Jean-Claude Djéréké