Photo / © Ministère de l’Agriculture et du Développement Durable

En application de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998, relative au domaine foncier rural, le Conseil des ministres du 03 mai 2023, sur rapport conjoint du Ministre d’Etat, Ministre de l’Agriculture et du Développement Rural et du ministre du Budget et du Portefeuille de l’Etat, a adopté un décret déterminant les procédures d’immatriculation des terres du foncier rural (n° 2023-238 du 05 avril 2023). Le décret, depuis peu soulève de nombreuses interrogations au sein du corps social et invite à un débat national.

Dans le but, à en croire le communiqué final du Conseil des Ministres du 03 mai dernier, d’ « accélérer les opérations de délimitation des biens fonciers ruraux ainsi que la création des titres de propriété sur les terres du domaine foncier rural », le décret n° 2023-238 du 05 avril 2023, relatif à la détermination des procédures d’immatriculation des terres du foncier rural, pris en Conseil des Ministres, précise nettement, la procédure d’immatriculation des terres objets de concessions provisoires sous réserve des droits des tiers, la procédure d’immatriculation des terres objet de certifications foncières, la procédure d’immatriculation des terres sans maîtres non immatriculées ; ainsi que les missions et les responsabilités des différents acteurs intervenant dans la procédure, notamment celles du Conservateur de la propriété Foncière et des Hypothèques, et fixe un tarif d’immatriculation réduit tenant compte des réalités du monde rural.

Si le décret du 05 avril dernier, intervient dans le cadre de la sécurisation du foncier rural et de la prévention des nombreuses crises liées à la terre en Côte d’Ivoire, mais surtout au renforcement du dispositif n°98-750 du 23 décembre 1998, voté de façon consensuelle par l’ensemble des députés de l’époque, fort est d’admettre qu’il comporte de l’avis des Ivoiriens, notamment les populations rurales et certains politiques du pays, des limites et des zones d’ombre qui appellent à des interrogations et plus de lumière, quant à savoir les réelles motivations du déclenchement de la procédure d’immatriculation des terres sans maîtres non immatriculées, alors que plusieurs Ivoiriens, détenteurs de droits coutumiers n’ont jusque là pas pu se faire établir un certificat foncier.

Plusieurs raisons justifient le défaut de certificat foncier de nombre d’Ivoiriens, propriétaires coutumiers. La complexité des procédures, le manque d’informations des populations concernées et le coût exorbitant des opérations en sont quelques unes, et le Mouvement des Générations Capables (MGC) de Simone Ehivet Gbagbo, qui semble en savoir davantage a dans une récente déclaration laissé entendre que « pour la plupart des propriétaires terriens majoritairement à faibles revenus, se faire établir ce précieux document n’est pas chose aisée. Tout semble mis en œuvre afin de rendre complexe, voire impossible l’obtention, dans les délais impartis, du certificat foncier. En plus des lourdeurs administratives, les coûts de l’opération sont exorbitants. L’Agence Foncière Rurale (AFOR) créée en 2016 pour conduire et faciliter la délivrance du certificat foncier n’est jusque-là pas parvenue à des résultats probants.»

L’Agence foncière rurale (AFOR), en charge depuis le 03 août 2016, de la sécurisation du foncier rural et de la prévention d’éventuelles crises liées au foncier rural, a à travers divers programmes et projets pilotes, notamment  le Programme d’appui au foncier rural (PAFR) et le projet d’amélioration et de mise en œuvre de la politique foncière rurale (PAMOFOR), « élaboré et tester un processus d’enregistrement systématique rationnalisé, simplifié, à faible coût et participatif » qui a fourni à des propriétaires fonciers et utilisateurs de terres « un document formel reconnaissant leurs droits fonciers coutumiers ; que ce soit un certificat foncier, un contrat de bail ou un autre arrangement contractuel reconnu de manière formelle», mais, en réalité, plusieurs propriétaires fonciers issus des différentes régions du pays n’ont pu avoir accès à l’information et bénéficié des procédures simplifiées et moins coûteuses pour obtenir des certificats fonciers pour la sécurisation de leurs propriétés.

Au regard donc des faiblesses des programmes et projets pilotes du Gouvernement Ivoirien, devant faciliter à travers l’AFOR, la délivrance des certificats fonciers et reléguer aux calendres grecs la vieille question des terres sans maîtres non immatriculées, il semble être illusoire de donner un sens au décret n° 2023-238 du 05 avril 2023, relatif  à la détermination des procédures d’immatriculation des terres du foncier rural, qui sous entend « une menace d’expropriation et de précarisation des personnes détentrices de droits coutumiers qui n’ont pas réussi à s’établir un certificat foncier » à l’analyse du MGC et de certains partis politiques de l’opposition ivoirienne.

Que cache cette décision ? Et pourquoi maintenant ? L’Etat de Côte d’Ivoire a-t-il l’intention de verser dans son escarcelle toutes les terres du domaine coutumier ?, sont les principales inquiétudes soulevées par l’ex ministre ivoirienne en charge des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, Ohouochi Clotilde, qui a dans une contribution rappelé que depuis la loi de 1998, « un délai de 10 ans renouvelable à terme échu est accordé aux acteurs ruraux du domaine foncier coutumier pour se faire établir le fameux sésame. Cependant, les pesanteurs culturelles, la méconnaissance de la loi, les procédures longues et coûteuses d’obtention des Certificats fonciers ne leur ont pas à ce jour permis de régulariser leur situation. Face à ce constat d’échec et pour booster l’opération, l’Etat a alors, par décret N°2016-590 du 03 août 2016, créé l’Agence Foncière Rurale (AFOR) chargée de la mise en œuvre de la politique nationale de sécurisation du foncier rural. Malgré les investissements importants de l’Union Européenne, de la BAD, ou de l’AFD affectés à cette Institution, la certification des terres (délivrance des Certificats fonciers) en Côte d’Ivoire avance lentement. Seulement 4% des terres sont immatriculés, 96% étant toujours régis par les droits coutumiers.»

Pourquoi le Gouvernement Ivoirien entend-il accélérer les procédures d’immatriculation des terres du domaine coutumier ? Alors que des milliers de familles ivoiriennes, à l’ouest du pays, sont depuis la fin de la crise politico-militaire de 2011, dépossédés de leurs terres par une horde d’étrangers venus de la sous région pour prêter mains fortes aux forces militaires pro-Ouattara, dans la bataille « d’Abidjan ».

En réalité, l’épineuse question des expropriations de forceps des terres ancestrales de certains Ivoiriens, par  « des ivoiriens nouveaux », dans plusieurs régions du pays, depuis la fin de la crise de 2011, est une réalité qui mérite une attention particulière de la part de l’Etat ivoirien, qui curieusement s’échine à ne pas attaquer de fond l’un des problèmes les plus cruciaux de la société ivoirienne, qu’est le foncier rural et qui représente une menace bien réelle contre la cohésion sociale.

Et pourtant, le chef de l’Etat, Alassane Ouattara, le 04 janvier 2018, lors de la cérémonie de présentation des vœux de nouvel An, reconnaissait l’urgence de la question foncière en Côte d’Ivoire et a affirmé « le foncier reste une source de tensions et de conflits. Il s’agit d’une des questions les plus fondamentales à régler dans les prochains mois ».

Pour se faire, ce sont plusieurs dispositions légales qui ont été mises en œuvre à travers des organismes de sécurisation foncière pour transformer les droits sur l’usage du sol, dits droit coutumiers, en droits de propriété.

Préoccupés par la problématique, des esprits encore féconds et portés à la cohésion sociale et au politiquement correct, comme on en trouve encore dans le marigot politique Ivoirien, notamment au MGC de Simone Ehivet Gbagbo, qui par la voix de son porte-parole, le Professeur TRAORÉ Klognimban Dominique, propose, entre autres, « le retrait du décret en cause, la simplification des procédures d’acquisition du certificat foncier ; la prorogation du délai de 10 ans et l’accord de plus de temps aux acteurs ruraux pour qu’ils accomplissent, conformément aux dispositions législatives en vigueur, les formalités d’acquisition du certificat foncier ; l’accélération et l’extension du projet PAMOFOR (Projet d’Amélioration et de Mise en Œuvre de la politique Foncière Rurale) à toutes les localités de la Côte d’Ivoire afin que l’ensemble des détenteurs de droits coutumiers bénéficient de la gratuité du titre foncier ; l’intensification de la sensibilisation des populations sur la politique de sécurisation des terres du Domaine foncier rural et l’ouverture d’un large débat sur la question foncière. »

En attendant l’ouverture de débats démocratiques et populaires autour de la question de la sécurisation du foncier rural en Côte d’Ivoire, conformément au souhait du PPA-CI, Koné Katinan, l’ex directeur du cadastre, porte-parole du parti de Laurent Gbagbo affirme sans ambages que « contrairement aux apparences de désordre que cette prolifération de textes sur le foncier rural peut donner, l’approche du RHDP est très méthodique et emprunte de subtilités qui lui permettent d’atteindre, sans se découvrir, les objectifs cachés de ses assauts contre la loi 98-750 du 23 décembre 1998, relative au foncier rural ».

Le décret relatif à la détermination des procédures d’immatriculation des terres du foncier rural, lequel intervient au moment où des populations ne disposent pas de certificat foncier, n’est-il pas une source d’éventuels  conflits fonciers dans le pays ?

Adingra OSSEI (Correspondant)