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(La Matinée, 18 – 20 mai 2013) – Après quelques mots de léthargie, le monde ivoirien des affaires a trouvé ses sensations. Les marchés grouillent de leurs visiteurs habituels, petits et grands opérateurs économiques ayant repris leurs activités. Certes, les derniers événements ont par endroit entrainé un frémissement. Mais, la reprise a été immédiate, les opérateurs économiques ayant une soif de rentabilité. La fausse note est malheureusement la rareté des pièces de monnaie, un fléau qui persiste.

Kaba Nialé

Mme Kaba Nialé, Ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’Economie et des Finances

Milles francs 500, y a pas monnaie. Les usagers des véhicules de transports sont quotidiennement soumis à cette injonction, à chaque fois qu’ils doivent se déplacer dans la ville d’Abidjan. Sur les marchés, les commerçants passent plus de temps à chercher les pièces de monnaie, qu’à servir leurs clients. Très souvent, on vous demande si vous avez la monnaie, avant de vous servir. Au lieu d’être ravis de vous avoir en face d’eux, les commerçants serrent leurs mines dès que vous leur tendez un billet pour effectuer des achats. Les boutiquiers et les caissières des supermarchés ont choisi, quant à eux, de remettre à leurs clients des bombons à la places de la monnaie attendue. Depuis longtemps, la rareté des pièces de monnaie constitue, en plus des braquages et des clients insolvables, la principale hantise des commerçants. Il s’agit d’un fléau qui gène et retarde les opérateurs économiques dans leurs transactions, tous gabarits et tous secteurs confondus. La joie procurée par la reprise des activités s’estompe, dès que l’on tend un billet à un quelconque commerçant, qui fronce plutôt les sourcils au lieu d’être content. Le problème de la monnaie se pose avec tellement d’acuité, que certains commerçants préfèrent arrondir carrément leurs prix. A cause du temps consacré à la recherche des pièces de monnaie, des commerçants perdent les clients impatients, toute chose ayant un impact négatif sur leur chiffre d’affaire.

Lorsque l’argent remplace les carreaux

Depuis la mise sur le marché des nouvelles pièces de 500, de 200 et de 250 Fcfa, certains citoyens ont adopté des styles de décoration bien étranges. Au lieu des carreaux ou tapis de sol, ils préfèrent utiliser ces pièces de monnaie. Pour certains, il s’agit de faire chic. Pour d’autres, il s’agit d’extérioriser purement et simplement les signes de leur richesse, du farot comme on dit. C’est leur droit, serait-on tenté de dire. Le drame étant que cette pratique se fait au détriment de la bonne marche des affaires sur les marchés. Dans de nombreux salons, les murs et les sols sont ainsi parés de pièces de 500, 200 et de 250 Fcfa, au grand dam des commerçants et des consommateurs qui en cherchent. Phénomène de mode pour certains, envie de faire le malin pour d’autres, cette pratique extrait du circuit financier des millions de pièces de monnaie indispensables aux transactions. En plus du déséquilibre que cela crée au niveau des échanges, cette mauvaise pratique amenuise les chiffres d’affaires des commerçants. Obligés qu’ils sont de refuser de servir certains clients par manque de monnaie. Phénomène des temps modernes, l’utilisation des pièces de monnaie dans la décoration intérieure est propre aux zones bourgeoises, où l’argent n’a de valeur que lorsqu’il est disponible en grande quantité.

Un moyen parallèle d’épargne

Dans les quartiers populaires abritant les populations défavorisées, les pièces de monnaie sont plutôt jetées dans des caisses. Afin de réaliser leur épargne quotidienne, de nombreuses personnes choisissent de ne pas dépenser les pièces de 500, 200 et 250 Fcfa qui oseront tomber entre leurs mains. Elles seront alors consignées dans des caisses en bois ou en fer, qui ne seront ouvertes que beaucoup de mois après. Ce procédé est le propre des citoyens qui souhaitent épargner, bien que n’ayant pas de comptes bancaires. D’autres procèdent ainsi pour réaliser une épargne parallèle, alors qu’ils disposent de comptes bancaires. Il va sans dire que pendant tout ce temps, ces pièces arrêtent de jouer leur rôle d’objet de changes sur les marchés, qui en est ainsi sevré.

Un fonds de commerce pour pseudo mendiants

A travers la ville d’Abidjan et principalement devant les mosquées, sont installées des personnes d’un certain âge, généralement habillées en boubou. L’objet principal et officiel de leur présence en ces lieux, est la quête de la charité. En d’autres termes, ils y vont pour mendier. Mais depuis quelques années, cette recherche de charité n’est qu’une couverture masquant ce qu’ils y font en réalité, c’est-à-dire les changes. Ces vieux que l’on aperçoit en ces lieux, se sont métamorphosés en véritables hommes d’affaires. Leur fonds de commerce est essentiellement constitué de pièces de monnaie de toutes valeurs, qu’ils vendent à des taux usuraires. Sur les marchés, ils constituent à présent des acteurs indispensables, vers qui les commerçants convergent pour acheter de la monnaie. C’est pour cela qu’en permanence, leurs grandes poches sont visiblement bourrées.

Généralement issus des pays comme le Niger, le Mali et le Burkina, ils arborent un air constamment radieux, qui témoigne de la prospérité de leurs affaires. Mis ensemble, ces opérateurs économiques d’un autre genre réquisitionnent ainsi des millions de Fcfa en pièces de monnaies, dont la rareté rend malheureux commerçants et consommateurs.

La réduction des billets de mille franc comme solution

L’économie sous régionale toute entière en pâtit, dans la mesure où ces pièces collées aux murs et aux sols sont perdues à jamais. Des dispositions s’imposent donc, afin que l’activité économique ne souffre plus de cette rareté des pièces de monnaie. La création des pièces de 200 et de 250 franc est pour beaucoup dans la rareté des pièces de monnaie. Et pour cause, ces nouvelles pièces sont le regroupement de plusieurs pièces en une seule. Leur création a fortement diminué la quantité de pièces existant auparavant, quand bien même cela n’a pas eu d’incidence sur la valeur des sommes contenues dans les poches et dans les caisses. Il y a donc lieu de créer le maximum de pièces de 25, de 50, et de 100 Fcfa en réduisant celles de 200 et de 250 Fcfa. Dans cette même optique, pourquoi ne pas réduire le nombre de billets de mille francs, par la création de plus de pièces ?

Avec moins de billets de mille francs et plus de pièces de monnaies, les petits commerçants (qui sont les plus nombreux), exerceront plus aisément. Le manque de pièces de monnaie amenuise le chiffre d’affaires des commerçants, en ce sens que cela les retarde dans leurs transactions, s’il ne réduit pas le nombre d’acheteurs tout court. Les regards sont donc tournés vers les autorités, qui doivent aussi regarder du coté des casinos et des exploitants de baby foot. Il est de notoriété que dans ces deux secteurs, ce sont les pièces de monnaie qui sont utilisées. Il ne s’agit pas de supprimer les casinos et l’exploitation du baby foot, loin de là. Il s’agit plutôt de trouver un mécanisme afin que ces derniers réquisitionnent le moins de pièces possible, afin que les autres commerçants puissent en disposer. Depuis son accession à la magistrature suprême, Alassane Ouattara plaide et agit pour que ses concitoyens soient au travail. Tout doit donc être mis en œuvre pour que cela se fasse aisément, c’est-à-dire avec le moins d’entraves possible. Il faut éliminer le maximum de facteurs bloquant la bonne marche des affaires. Les commerçants sont disposés à apporter leur pierre à la reconstruction du pays. Ils le démontrent tous les jours par leur ardeur au travail, malgré les faux frais qui réduisent leurs marges bénéficiaires. Contre vents et marées, par temps de canicules comme sous les pluies les plus torrentielles, les commerçants sont toujours à leurs postes. Lors des crises, les commerçants sont ceux qui bravent le plus de danger. Les mains nues, donc à la merci des voleurs et braqueurs de tout acabit, les commerçants vont chercher partout et par tous les moyens, les biens et services indispensables au quotidien des populations. Les doléances des commerçants sont donc à prendre avec l’attention qu’elles méritent. Les faux frais, les tracasseries persistantes à l’intérieur du pays et la rareté des pièces de monnaies les préoccupent. Il faut donc y trouver solutions pour le bonheur de tous.

Eric Tapé