Le 14 septembre 2022, le Directeur Général des Impôts était en visite au siège du GICAM dans la perspective de la préparation du budget 2023. Cette visite a permis de rétablir le pont entre le principal groupement patronal du pays et l’administration fiscale dans un contexte de tension marqué par la rupture du dialogue public-privé depuis près de deux ans en réaction au système fiscal jugé « répressif ». Au cours de cette visite, l’administration fiscale a vanté la digitalisation du processus pendant que le patronat réclamait principalement la réduction de l’imposition sur les sociétés. En matière de réforme, le GICAM a recommandé que la base de calcul des impôts migre du chiffre d’affaires vers le bénéfice en vue de respecter l’un des principes fiscaux qui veut que l’imposition porte sur le revenu.
Le dialogue des sourds entre le patronat et le fisc
On voit donc que pendant que les patrons veulent payer moins d’impôts, le Fisc cherche à augmenter ses recettes. C’est normal mais, au lieu de travailler à l’augmentation substantielle de l’assiette fiscale (Près de 90% des activités économiques se déroulent encore dans l’informel), le Fisc œuvre principalement à la surcharge de la feuille d’impôts du peu de Camerounais qui acceptent de fonctionner dans le formel. Ainsi, l’acteur économique paie chaque année un peu plus d’impôts que l’année précédente. Pire, les opérateurs économiques vont du formel vers l’informel en vue d’échapper à la pression fiscale. Ils disent que l’État les pousse dans la rue et qu’ils n’ont pas de choix.
Quant au GICAM, il demande « un système fiscal au service de l’Entreprise et de l’Économie ». On aurait pu dire que c’est formidable s’il s’agissait des entreprises qui créent localement la richesse et donc, qui sont importantes pour notre économie. Le GICAM est rempli d’importateurs encore appelés « bayam selam » qui spolient le Cameroun en vue d’aller créer la richesse à l’étranger dans les pays fournisseurs. Dans le fond, la fiscalité permet à l’État de remplir une fonction sociale à travers la redistribution de richesse. Si le gouvernement cède à la demande du GICAM en réduisant sans discrimination l’impôt sur les sociétés, alors ce serait une mesure socialement injuste dans la mesure où elle permettrait d’enrichir davantage les importateurs sans compensation sociale. Les importateurs sont un maillon important dans la lutte contre la vie chère ? Non ! Au contraire, l’État doit actionner sur la deuxième fonction de la fiscalité, qui est celle de la régulation, pour frapper à l’entrée du territoire national, les produits importés d’un droit d’assise qui viendrait instaurer l’équité entre les importateurs et les producteurs locaux. En l’état, le tissu économique local est détruit par les importateurs à travers le mécanisme de concurrence déloyale. L’État régulateur doit se réveiller pour agir et faire valoir son autonomie gouvernementale face aux lobbies étrangers.
Le DGI en mauvais messager
Dans sa lettre circulaire relative à la préparation du budget 2023, le Président de la République du Cameroun prescrivait la production locale ou mieux, la mise en œuvre de la politique de l’import-substitution. Je disais justement que ce sera une lettre morte comme toujours ! Voilà que le DGI se rend à Douala et n’en parle pas aux patrons comme si rien n’était en cours de préparation dans ce sens. Watch out ! On se serait attendu à ce que le DGI aille annoncer la (bonne) nouvelle aux patrons en leur indiquant les secteurs porteurs qui retiendront toute l’attention du gouvernement en 2023. Ainsi, il aurait pu demander aux patrons de se positionner en fonction de cette nouvelle donne. Il aurait donc pu recueillir leurs remarques en vue d’enrichir le projet de loi. On me dira peut-être que cela relève de la responsabilité du Ministre mais, à quoi servait-il alors d’aller au GICAM si ce n’était pour répercuter les instructions du Ministre ? Ce cloisonnement entre les autorités politiques et les autorités administratives est un véritable cancer dans la mise en œuvre des politiques publiques au Cameroun. Si le DGI s’est rendu au GICAM pour régler son problème personnel et non pour porter la voix du gouvernement qui parle actuellement de l’import-substitution, alors ce serait regrettable.
Dans tous les cas, la vie chère n’était pas au menu des échanges. Le DGI n’était pas en mission de sensibilisation des patrons sur les mesures fiscales que le Gouvernement entend prendre pour faciliter la vie aux camerounais. Il était pourtant en mission politique puisqu’il a parlé de « main tendue ». On attend donc encore d’entendre le Ministre des finances sur cette question.
Louis-Marie Kakdeu,
Membre du shadow cabinet SDF
Économie, Finances & Commerce