(Le Temps, 18 – 20 mai 2013) – Le régime Ouattara écrit, depuis le drame sanglant du 11 avril 2011, la page la plus noire de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Le pays et son peuple, traumatisés par les tortures, les viols, les spoliations, les expropriations, l’exil forcé de ses fils, affamés et assassinés, regardent révoltés le dictateur mener une Côte d’Ivoire surendettée à la perdition. La tragique journée du lundi 11 avril 2013 est venue achever le tableau esquissé depuis l’ex-rébellion née du coup d’Etat manqué contre le Président Laurent Gbagbo, le 19 septembre 2002. Plus de 10 ans de pillage des ressources du pays à partir de la moitié Nord du pays ont annoncé la tragédie. Celle de l’option militaire qui a donné lieu au bombardement par l’Armée française de la résidence officielle du Président de la République de Côte d’Ivoire et à l’arrestation du Président Laurent Gbagbo sous les coups de canon français. Cette journée sanglante qui marqua le point de départ de la repossession par la France de sa colonie, 50 ans après « les indépendances », donnait la preuve que Paris n’a jamais « aboli la traite ». (Bernard B. Dadié) en dépit des apparences. En Côte d’Ivoire, quoi qu’on ne parle plus de « sujets » ou d’ « indigènes », les colons, jetant bas le masque de la déstabilisation, ont effectué un retour à visage découvert. L’appât des ressources naturelles de ce pays étant plus fort que les scrupules «d’Egalité, de Liberté et de Fraternité ». Ils pouvaient compter sur leurs représentants locaux qui ont pris les armes pour déstabiliser la Côte d’Ivoire avec le soutien des sous-fifres françafricains de la sous-région. Ces chefs d’Etat africains émus jusqu’aux larmes en écoutant la Marseillaise sur les champs Elysée, «à la foire de Paris» (B B. Dadié). En Côte d’Ivoire, pour ceux qui ont aidé la France à faire chuter Gbagbo, la prime est là. Soro Guillaume et ses ex-rebelles, après les «services armés» rendus aux commanditaires de la crise «méritent» bien l’impunité dont ils jouissent aujourd’hui. Sous l’œil bienveillance que l’Onu qui, prétendument en mission de paix en Côte d’Ivoire, participe jusqu’aujourd’hui à l’assassinat du peuple. Par leurs pouvoirs délégués par l’Elysée, ils ont reçu de leurs maîtres le droit de persécuter, d’arrêter ou d’enlever, d’emprisonner, de torturer, de tuer (depuis 20102). On ne compte plus les morts qui sont tombés sous les balles et le tranchant des couteaux et des machettes des ex-rebelles. A l’Ouest, le charnier de Monoko-Zohi, les massacres (à répétion) de Guitrozon, Petit-Duékoué, Duékoué-Carrefour puis de Nahibly. Au centre les tueries collectives des gendarmes de Bouaké et des danseuses d’Adjanou de Sakassou. Au Nord, des fosses communes où l’on retrouva des contestataires pro- IB (anti-Soro) morts par suffocation dans des containers où ils ont été enfermés pour connaître une lente agonie et une fin atroce. Il fallait sans doute aux ex-rebelles (dits Forces nouvelles et par la suite «Forces pro- Ouattara» puis Frci) 1000 morts à Duékoué-Carrefour en une seule journée ce 29 mars 2011, pour «descendre sur Abidjan ». Les notes des rapports de la division des droits de l’Homme de l’Onu qui moisissent dans les tiroirs l’indiquent bien. Des crimes impunis et encouragés pour des préoccupations bassement pécuniaires. De même que la seule raison d’être du régime actuel est de brader les richesses naturelles de la Côte d’Ivoire à la France en livrant ce pays aux appétits voraces des puissances prédatrices, les ex-rebelles ne se battaient pas pour une cause. Toute l’escroquerie a consisté en fait, à le faire croire. Très vite, il est apparu que l’ambition des ex-chefs et autres seigneurs de guerre se résume à l’accumulation biens matérielles.
«Le pays livré à une nouvelle oligarchie spoliatrice»
Les casses des Agences Bceao de Bouaké, de Man et Korhogo avaient annoncé la rapine. Et depuis plus de 10 ans, Soro et ses ex-chefs de guerre pillent l’or, le diamant, le bois, le café-cacao, l’anacarde… de la moitié nord du pays. Ce vol inacceptable est perpétré avec la complicité des casques bleus de l’Onuci qui, indiquent nos sources, participent activement à la contrebande et aux trafics en tout genre des ex-rebelles. Tant et si bien que ces criminels qui ont amassé le plein d’argent par la force des armes affichent avec insolence leurs fortunes. Pour ne pas parler de butin de guerre. Des assassins juste bons pour la Cpi, roulent aujourd’hui carrosse en narguant le peuple avec les milliards de Fcfa volés à la Côte d’Ivoire. Mais leurs agissements ne sont pas passés inaperçus. Le dernier rapport (Rapport 2012) de l’Ambassade des Etats-Unis sur les Droits de l’Homme en Côte d’Ivoire déplore le fait qu’«Aucune arrestation ou autres actions judiciaires n’ont été engagées contre des personnalités de premier plan proches de l’actuel gouvernement pour des actes commis durant la crise postélectorale, notamment plusieurs personnes qui ont été accusées d’avoir commis de graves violations des Droits de l’Homme. Dans certains cas des auteurs présumés de violations des droits humains ont conservé de hauts postes au sein des Forces de sécurité». La télévision russe Prorussia.tv a décrit avec pertinence comment : «Le pays semble livré à une nouvelle oligarchie spoliatrice». Elle ne croit pas si bien dire en insistant sur le fait que les «Nations unies ont décrit un système de prédation des ressources naturelles, au profit d’un «réseau militaro-économique » mis en place par les anciens chefs des Forces nouvelles, alliés de l’actuel Président, Alassane Ouattara, lui-même ancien cadre du Fmi. Environ 10% de la récolte de cacao pour la période 2011-2012 aurait été ainsi détournée, soit la bagatelle de 153.000 tonnes. Même chose pour la noix de cajou, dont plus de 30% de la production est allée dans d’autres poches. Mais c’est également le car pour le coton, le bois, l’or ou encore les diamants. Les sommes détournées sont loin d’être anecdotiques. Rien que pour le cacao, il est question de 400 millions de dollars (soit 1,6% du PIB ivoirien en 2012) de pertes pour l’économie locale et de 76 millions de dollars de rentrées fiscales en moins». Ce pillage systématique des ressources du pays se déroule sous les yeux complices de la France et des ses alliés qui raflent la mise. La Côte d’Ivoire n’est guère plus qu’une propriété française à exploiter. Sans retenue. Et, cerise sur le gâteau, les ex-chefs de guerre et autres chasseurs traditionnels dozos ont remplacé les énarques à la tête de l’administration préfectorale. Des chefs de guerre bardés d’amulettes sous le treillis et qui, incapables de lire et d’écrire, avaient dû se faire accompagner par des scribes, il y a quelque temps, pour prendre des «cours d’état-major» à l’ex-43e Bima sur invitation de la Force Licorne. Des Dozos nommés aux plus hautes fonctions, à la place des cadres formés par l’Etat pour occuper ces postes ! Les hommes en armes de Ouattara n’ont-ils pas le droit de vie et de mort sur toute âme qui vit dans l’Ouest forestier ivoirien devenu la propriété exclusive des mercenaires et autres forbans qui écument la région ? Les populations Wê sont pourchassées, expropriées de leurs terres et de leurs plantations puis massacrées. Des milliers d’innocents abattus à bout portant ou brûlés vifs pour leur propre patrimoine.
Les Usa, alliés d’hier, dénoncent les tortures
Des villages entiers incendiés, rayés de la carte. Par les soins du mercenaire de Ouattara, le tristement célèbre Amadé Ouérémi, criminel de guerre notoire qui règne en maître sur plus de 36000 hectares de forêt de la Réserve nationale du Mont Péko, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Avec la caution et le soutien du régime Ouattara qui l’a mis en mission dans cette partie du pays. Inutile, dans ces conditions, de parler de liberté et de droits de l’Homme sous Ouattara, le dictateur qui a réussi l’exploit historique de ramener la Côte d’Ivoire à l’époque nazie. Les proches et la famille du Président Laurent, lui-même injustement et illégalement déporté à la Cpi, sont torturés dans les camps de la mort au Nord du pays. La Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) et la Maison d’arrêt militaire (Mama) ont été transformées en de sinistres «résidences » pour les pro-Gbagbo, civils et militaires. Et les placards des organisations de défenses des droits de l’Homme (Human Rights Watch, Amnesty international) ne désemplissent pas de rapports accablants sur le régime Ouattara. Pour la seule ville d’Abidjan, on dénombre au moins 12 camps de torture. Pendant que la justice des vainqueurs fait rage, les Frci continuent de commettre exactions et crimes. Rackets, braquages, extorsions de fonds sous la menace des armes et prises d’otages suivies de demandes de rançon, exécutions sommaires et extrajudiciaires sont le lot quotidien des populations «fidèles à Gbagbo».
Le rapport susmentionné est sans appel. «Les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), l’armée du pays, se sont rendues coupables d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture et de détentions arbitraires. Bien qu’originaires du Nord du pays, les Dozos, des chasseurs traditionnels qui assumaient souvent des rôles de sécurité non officiels, se retrouvaient dans tout le pays et étaient impliqués dans des violations des droits humains, notamment des meurtres et des cas de détention arbitraire au cours de l’année. Les conditions dans les prisons et centres de détention étaient dures. La corruption a persisté dans l’appareil judiciaire, qui était inefficace et manquait d’indépendance. Le gouvernement a restreint la liberté de la presse et le droit à la vie privée. Les personnes déplacées internes (Pdi) ont fait face à des conditions de vie précaires et difficiles », écrivent les services bien renseignés de Philippe Carter 3. On comprend, dans ces conditions, que des milliers d’Ivoiriens, menacés de mort, soient toujours en exil. On dénombre 10 000 réfugiés ivoiriens au Ghana, 60.000 au Liberia, 3200 personnes au Togo… à en croire les chiffres approximatifs du Hcr. Les arrestations et emprisonnements des cadres et militants du Front populaire ivoirien (Fpi) et la répression de l’opposition restent le jeu favori de la dictature installée en Côte d’Ivoire. Il va sans dire que la réconciliation nationale n’est, à vrai dire, pas vraiment à l’ordre du jour.
De sombres perspectives pour la Côte d’Ivoire
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que l’économie ivoirienne soit sinistrée sous Ouattara. Depuis l’arrivée de Ouattara les indicateurs de développement et les classements des institutions internationales relèguent la Côte d’Ivoire dans les profondeurs, parmi les derniers de la classe. Là où le Président Laurent Gbagbo avait fait gagner des points à la Côte d’Ivoire Entouré de Com’zones fait préfets et d’un gouvernement dépassé par l’ampleur de la tache, il a lui-même avoué son incapacité à remettre le pays sur les rails bons points au pays. Après avoir reconnu que l’argent ne circule pas. En fait, Ouattara a été découvert. Sa réputation d’«économiste hors pair», ses prétendues relations dans la haute sphère de la finance mondiale, sa capacité imaginaire à mobiliser et à faire pleuvoir des milliards pour transformer la Côte d’Ivoire en un eldorado en un temps record n’ont été que de la mystification pure. Ouattara tourne en rond. Et hélas avec lui, l’économie ivoirienne. Incapable de régler les problèmes d’emploi et de la cherté de la vie, sans argument face aux travailleurs et aux fonctionnaires qu’il fuit, confrontés aux élèves et étudiants qui demandent de meilleures conditions d’études, Ouattara a fait comprendre aux Ivoiriens qu’ils ne doivent rien attendre de lui pour son «mandat » en cours. Adieu les giga-universités et les hyper-hôpitaux par région, balayé le projet des millions d’emplois par ans, oublié la pluie torrentielle de milliards. Abandonnant les populations à leur sort, Ouattara se prépare déjà pour les «élections de 2015». A cette date, le pouvoir tortionnaire en place compte peut-être brandir comme réalisation les grands chantiers dont Président Laurent Gbagbo a bouclé le financement avec la Banque mondiale depuis 2008 et dont le régime n’a eu aucun scrupule à usurper la paternité. Mais les Ivoiriens seront là, en 2015, pour restituer la vérité, pour séparer le vrai du faux, pour distinguer le bon grain de l’ivraie.
K. Kouassi Maurice